dimanche 7 juillet 2013

Pédophilie : l'expérience "Dunkelfeld"

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 

« Aimez-vous les enfants plus que vous ne l'aimeriez ? » L'affiche sur laquelle est posée cette question a été diffusée en Allemagne en 2005, dans le cadre de la campagne de prévention du projet Dunkelfeld.
« Aimez-vous les enfants plus que vous ne l'aimeriez ? » L'affiche sur laquelle est posée cette question a été diffusée en Allemagne en 2005, dans le cadre de la campagne de prévention du projet Dunkelfeld. | KEIN TÄTER WERDEN !

La question occupait toute la "une" de Zeit Magazin du 25 octobre 2012 :"Que devrait-on faire d'un homme attiré par les enfants ?" La réponse tenait en deux mots, mais encore fallait-il tourner la page pour la lire :"L'aider". Cette réponse peut choquer. Surtout dans un pays particulièrement concerné par le scandale des prêtres pédophiles. Elle repose pourtant sur une expérience unique au monde, le Projet de prévention Dunkelfeld, mené il y a huit ans par une équipe de l'hôpital La Charité, à Berlin : considérer les pédophiles comme des malades et, à défaut de les guérir, les aider à ne pas suivre leur penchant.
Tout a commencé en 2005. Selon les statistiques de la police, 20 000 enfants sont chaque année victimes de violences sexuelles en Allemagne. Et encore, chacun reconnaît que ce chiffre est largement sous-évalué. Dans aucun autre domaine, l'écart entre la réalité d'un phénomène criminel et sa reconnaissance publique ne serait aussi élevé. Selon une étude de la revue Sexuologie parue en 1997, 8,6 % des jeunes filles, 2,8 % des jeunes garçons et 13,3 % des femmes ont été, en Allemagne, victimes de violences sexuelles au cours de leur vie. Mais la plupart du temps, nulle autorité n'en est avertie.

ACTION PRÉVENTIVE
Dans son bureau de La Charité, le professeur Klaus Beier, directeur de l'Institut de sexologie de l'hôpital, voit un autre pan de la réalité. Suivant des pédophiles depuis une vingtaine d'années, il constate que leur penchant sexuel n'évolue pas et que le risque de récidive est élevé. D'où l'idée de mener une action préventive le plus tôt possible. "1 % des hommes, en Allemagne comme ailleurs, ont une attirance sexuelle pour le corps des enfants, explique ce quinquagénaire. Ils ne l'ont pas voulu. C'est une attirance qui s'exprime dès l'enfance. La plupart des hommes en souffrent et sont entravés dans leur vie sociale." Il décide donc de créer un atelier thérapeutique pour pédophiles et hébéphiles (adultes qui sont attirés sexuellement par les adolescents), et le fait savoir par une campagne de communication dont le slogan est : "Vous n'êtes pas coupables à cause de vos désirs sexuels mais vous êtes responsables de votre comportement sexuel. On peut vous aider. Ne devenez pas un délinquant."
Largement relayée par les médias, la campagne rencontre un succès incontestable voire inattendu. Le nombre d'hommes demandant à être reçus en consultation augmente considérablement. Certains viennent du fin fond de l'Allemagne. En sept ans, plus de 719 personnes ont poussé la porte de l'institut. Toutes ont été reçues en entretien par un médecin et un psychologue, 373 se sont vu proposer une thérapie gratuite. Persuadés qu'il faut venir volontairement, les médecins refusent les hommes qui sont l'objet d'une procédure judiciaire et qui pourraient être attirés par une éventuelle remise de peine. Surtout, ils cherchent à cerner qui est réellement pédophile. Car, selon le docteur Beier : "Seuls 40 % des hommes qui commettent un crime sexuel sur un enfant sont pédophiles, 60 % ne le sont pas. Ils ont des problèmes psychiques, des retards mentaux, viennent de familles problématiques où ils ont subi de nombreux traumatismes. Ils sont violents avec leurs enfants mais aussi avec leur femme. Nous travaillons avec les 40 %. C'est déjà beaucoup."
PROFIL DU PATIENT
Dans un premier temps, l'équipe apprend à déterminer le profil du patient. Est-il attiré par les enfants ou les adolescents ? Est-il éducateur ? Est-il père de famille ? Ensuite, le patient se voit proposer 45 séances de travail hebdomadaires de trois heures. Chaque séance concerne un thème : les fantasmes, l'empathie pour la victime, l'autorégulation sexuelle, la distorsion cognitive, ce phénomène qui consiste à attribuer à l'autre (en l'occurrence à l'enfant) des intentions qu'il n'a pas. La plupart des séances sont collectives. On y décrit des situations à risques. Un patient revient sur son attirance pour un enfant du voisinage, un autre explique rester plus longtemps que nécessaire dans le métro quand il y rencontre des jeunes... Le groupe développe alors des stratégies pour lutter contre ces penchants. Environ 20 % des participants prennent des médicaments afin de réduire leurs pulsions. Les médicaments les plus forts produisent une castration chimique.
La demande a été telle que des centres comparables ont ouvert dans plusieurs grandes villes allemandes ces dernières années. Environ 40 % des pédophiles traités n'ont jamais commis d'acte. Ils ont 39 ans en moyenne et sont déjà insérés dans la vie professionnelle, et travaillent parfois comme pédagogues ou éducateurs. "Cela n'a rien de répréhensible. Ils cherchent à être reconnus par ceux qui les attirent. Mais notre but est d'accueillir les plus jeunes, ceux qui peuvent se réorienter dans la vie professionnelle plus facilement", explique le professeur Klaus Beier.
Evidemment, cela nécessite une confiance absolue des patients envers l'équipe médicale. Une relation rendue possible par le secret professionnel qui, à la différence de la France ou des Etats-Unis, concerne aussi ce genre de crimes. "En Allemagne, on ne sent plus de résistances contre ce type de démarches préventives. La société s'est ouverte. On ne nous perçoit plus comme des complices de criminels", affirme Klaus Beier. Il en veut pour preuve qu'une importante association d'aide aux victimes, Hänsel et Gretel, siège au conseil de surveillance de l'institut. Une autre association importante, Weisser Ring, soutient aussi la démarche. Même si certains regroupements de victimes contestent que la pédophilie soit une maladie, le temps semble révolu où certains lançaient des appels à boycotter Volkswagen parce que la fondation Volkswagen soutenait financièrement le projet à ses débuts.
GROUPE DE SUIVI
Quatre-vingts personnes ont suivi l'intégralité du traitement. Sont-elles pour autant guéries ? Klaus Beier reste prudent : "Une guérison au sens d'une disparition du penchant pédophile n'est pas possible. Cela vaut également pour les utilisateurs d'images montrant des violences sexuelles. C'est pourquoi, à Berlin, nous proposons des groupes de suivi, et les personnes concernées peuvent à tout moment reprendre contact avec nous pour être soutenues dans le contrôle de leur comportement."
Si Klaus Beier est convaincu que les thérapies que La Charité propose permettent de faire baisser le nombre d'agressions et réduisent le degré de violence des actes commis par les pédophiles, la banalisation des images pédophiles par le biais d'Internet l'inquiète énormément. "Ce qui est certain, c'est que tous les hommes qui ont des tendances pédophiles regardent ces photos en accès libre sur Internet. Pas les autres. Je suis pour une politique plus sévère que la simple amende qui existe en Allemagne. Regarder ces photos, c'est déjà commettre un acte pédophile."



Selon lui, la société doit agir sur deux paramètres. Elle doit à la fois reconnaître que la pédophilie est un vrai problème et qu'elle est prête à aider les pédophiles. Mais elle doit aussi dire que toute personne qui abuse un enfant ou qui consulte des sites pédophiles doit arrêter, et qu'elle est prête à tout mettre en oeuvre pour le punir. "Si nous jouons sur les deux registres, il y a de grandes chances pour que la personne préfère être aidée", veut croire le professeur, qui est également docteur en philosophie.

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