mardi 30 juillet 2013

Damien et Nicolas Delmer. Dignes de mourir

28 juillet 2013

 Atteints de mucoviscidose, ces jumeaux réclament le droit de mourir dans la dignité et espèrent la loi promise par la gauche.

«Ma mort lui serait certainement trop pénible.» Lorsque Damien, 33 ans, évoque son éventuel décès prochain, il a d’abord une pensée pour Nicolas, 33 ans. Lequel, une fois admis qu’il pourrait ne pas s’en remettre, s’en voudrait d’empêcher Damien de mourir : «Je ne veux pas lui imposer de vivre la torture et l’agonie, juste pour moi.»Etrange jeu de politesse de deux jeunes hommes devant la mort. Où la courtoisie consisterait à ne décéder qu’en second. Les jumeaux Delmer sont pareillement atteints de mucoviscidose. Damien est à un stade plus avancé. «Je m’y fais, je n’ai pas le choix», dit-il.
Amélie les bains
Damien et Nicolas Delmer.

COMMANDE N°2013-0755
(Photo Christian Bellavia)
Deux tuyaux dans le nez et le souffle court, Damien a oublié qu’il fallait enlever un petit capuchon à l’appareil qui lui envoie du sérum physiologique dans les veines, «pour m’hydrater», dit-il. «Ça m’épuise de parler.» C’est lui qui a écrit l’an dernier au président Hollande pour lui demander d’autoriser «chacun à décider de sa propre délivrance». Il a bien sûr parlé de ce courrier à Nicolas, mais sans le lui donner à lire. «Pas la peine, dit le jumeau. L’un est pour l’autre le miroir de sa propre souffrance. Je sais que cette demande est légitime.» Le débat sur la fin de vie revient avec la promesse élyséenne d’un projet de loi d’ici à la fin de l’année. Damien et Nicolas Delmer en savent ce qu’ils en lisent sur le blog de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Ils n’en retiennent surtout que ce qu’ils en vivent.
La chatte Minette arrache un sourire à l’un, lovée sur une chaise de la cuisine. Le chat Copain, qui entre par le vasistas au-dessus de l’évier, coûte un soupir à l’autre. Les autres félins de la nichée, Cerise et Misha, sont à l’abri, à l’ombre, quelque part. Il est midi et les volets du pavillon sont baissés pour échapper aux trente degrés de température qui écrasent ce jour la petite cité d’Amélie-les-Bains. C’est là, juste sous la montagne, dans les Pyrénées-Orientales que les deux sont venus échapper à l’humidité du Val-d’Oise en 2011, «les murs de la maison étaient moisis». Une quinte de toux, puis Nicolas se ressert un verre d’eau. «Avant, entre 18 et 20 ans, j’avais peur de la mort, reprend-il. Maintenant que ça s’aggrave, j’ai de moins en moins peur.» Comme si l’inéluctable avait fini par se laisser domestiquer, comme si la mort était le cinquième chat de la maison.
Les deux frères n’ont pas de gestes particuliers l’un pour l’autre, ni de regards. Ils sont côte à côte et une même voix semble sortir d’un seul gosier. Ils sont deux, mais chacun transpirant et respirant la part de l’autre. «Sans lui, je n’aurais pas survécu», lâche Damien. «Nous sommes des jumeaux fusionnels», croit utile de préciser Nicolas. Lequel devient intarissable en évoquant son master 2 de psychologie clinique obtenu en 2009 à Saint-Denis. Cette science, dit-il, l’aurait aidé à «donner du sens» à son existence : «Elle m’a permis d’avoir une autre image de moi-même.»
Damien, lui, n’a pas supporté l’atmosphère enfumée de l’université. Malgré la loi Evin, il crachait «du sang le soir en rentrant». Il peint, depuis son passage aux Beaux-Arts, des natures mortes qui tapissent les pièces à vivre du pavillon. Une toile tout en rose et gris, attend sur un chevalet à côté du réfrigérateur. «Pas la force de la terminer, souffle-t-il. Pas la force de sortir les tubes de couleurs du carton, de tenir la main en suspension.»
Nicolas reçoit torse nu. Damien qui ne pèse que 50 kilos pour 1 m 67, porte une chemisette jaune défraîchie. Le premier a des lunettes sur le nez. Le second, chaussé de la même monture ou presque, porte en outre deux bracelets à chaque bras, «des pierres thérapeutiques, explique-t-il. Du cristal de quartz de roche régulateur d’énergies». Rictus de Nicolas qui se serait bien passé de l’ouverture de ce chapitre : «J’essaie d’être prudent avec tout ce qui tourne autour des médecines douces…» La crainte, tout d’un coup, de passer, lui et son frère, pour des zozos ésotériques à la poursuite du remède philosophal. «Il est permis de chercher hors la science officielle et ses paradigmes des réponses cohérentes qui peuvent aider dans sa maladie», dit-il en manière d’excuse. Lui a des bouquins, telles Etats modifiés de conscience, plutôt que des gris-gris. Ce sont d’autres explorations qu’il a entreprises, vers «le sixième sens, la télépathie, la médiumnité. Les expériences de mort imminente».Vers quelque chose qui ressemblerait à de l’espoir. «Je suis athée, vraiment athée, poursuit-il. Mais je veux penser que le passage de la vie à l’état de mort n’est pas aussi noir que je peux l’imaginer.» Entre l’un qui est animé de suffisamment d’énergie pour chercher à la réguler et l’autre qui s’accroche, dans le courant qui l’emporte, à toutes les brindilles du rivage, les jumeaux Delmer sont des militants du droit à mourir, sacrément accrochés à la vie. «Comme tous»,relève Damien. Dans les pays où ce droit est accordé, seulement 50 % de ceux qui pourraient en bénéficier y ont recours, dit-il. Les autres sont «apaisés». C’est cette idée de pouvoir garder jusqu’au bout la gestion et le contrôle de sa personne, d’«échapper à la déchéance»,dont Damien a besoin, «Ce serait un point de stress en moins, assure-t-il. Une détente de l’esprit qui augmenterait mes défenses immunitaires, un élément de qualité de la vie qui me permettrait de prolonger mon existence.» Les deux se regardent, ils en riraient presque : «Le droit à mourir pour vivre mieux…»
Un voisin passe voir si personne n’a besoin de rien. Le bruit de vaisselle au fond de la cuisine, c’est l’aide-ménagère qui s’affaire. Le colocataire aide Damien aux prises avec son respirateur. Leur père «a appelé hier» du Pas-de-Calais où il réside. Leur demi-sœur et leurs trois demi-frères, quadra et quinquas, «passent à l’occasion, avec leurs enfants». L’allocation adulte handicapé suffit à payer leur part de loyer, l’assurance de la voiture et le forfait des portables. Ça pourrait être pire. Nicolas dit juste regretter ne pas avoir l’occasion de «rencontrer des filles». Damien préfère ne rien en dire du tout. La vie s’agite autour d’eux, avec beaucoup de naturel. Leur mère, décédée d’un AVC, ou l’amie de Nicolas, trépassée à trente ans de la même mucoviscidose,les accompagnent. «La mort imprègne notre réalité», observe Nicolas. Cette permanence de la Camarde est comme un bouclier pour lui : «Ce qui serait traumatique et destructeur, au contraire, ce serait l’inattendu.» Il songe au«déchirement psychologique» qui les attend. «Il devrait y avoir des exercices de préparation à la mort de l’autre», dit-il. A cheval entre deux mondes, Damien cultive sans le vouloir cette drôle d’ambiguïté. Il redit son choix pour «une mort dans la dignité parce qu’il est légitime de vouloir mettre toutes les chances de son côté».
Leur site : terredesoleils.org

Damien et Nicolas Delmer en 4 dates

10 novembre 1979 Naissance de Damien et Nicolas Delmer à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise).
1998 Baccalauréat en science et technologie du commerce à L’Isle-Adam (Val-d’Oise).
2007 Décès de leur mère.
2011 Installation à Amélie-les-Bains (Pyrénées-Orientales).
Photo Christian Bellavia

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