jeudi 13 juin 2013

Tabac, alcool, drogue, la méthode Reynaud


À quelques semaines du plan gouvernemental, l’addictologue Michel Reynaud a remis vendredi ses propositions à la présidente de la MILDT. Il se prononce en faveur d’une réforme de la fiscalité sur l’alcool et pour l’organisation d’états généraux des addictions qui précéderaient l’adoption d’une loi d’orientation.

Réduire les dommages liés aux addictions plutôt que prôner une abstinence irréalisable, telle est la philosophie du rapport « Les stratégies validées pour réduire les dommages liés aux addictions » qu’a rendu vendredi 7 juin le Professeur Michel Reynaud, chef du département psychiatrie et addictologie des hôpitaux universitaires Paris sud. Remis à la présidente de la MILDT, Danièle Jourdain-Menninger, ce rapport fait plusieurs constats. Celui de l’augmentation des consommations, tout d’abord, avec un tabagisme s’accroissant notamment chez les femmes, une augmentation du binge drinking (alcoolisation ponctuelle importante) chez les jeunes et une stabilisation de la consommation du cannabis à des niveaux élevés (la France était en 2011, le pays avec la plus forte proportion de jeunes consommateurs de cannabis). D’autre part, il relève une méconnaissance globale des dommages sanitaires et sociaux liés au tabac (70 000 morts par an) et à l’alcool (49 000 morts par an, implication dans 30 % des violences, et 30 % des viols).


L’addictologue souligne aussi l’ignorance par la population aussi, de la dangerosité des différents produits psycho-actifs. L’alcool est en effet le produit le plus dangereux, associant des dommages sanitaires et sociaux majeurs. Quant au tabac, c’est le principal facteur de mortalité. Enfin le cannabis, s’il est source de dommages sanitaires, cause surtout des dommages sociaux majeurs. Alors que les Français mettent au premier rang en termes de dangerosité, le cannabis, l’héroïne et la cocaïne.

Une politique de réduction pragmatique des dommages

Face à cette situation, le rapport préconise une politique pragmatique axée sur la réduction des dommages liés aux produits psycho-actifs, en agissant sur plusieurs axes : partir de la demande de l’usager, s’y adapter et l’accompagner dans une démarche de soins progressive ; pratiquer une prévention ciblée sur les jeunes (au sein des familles, des lycées, des facultés, des points d’accueil jeunes), les populations précaires, les femmes (surtout enceintes ou isolées); améliorer la fluidité du dispositif des soins.

D’autres mesures sont recommandées comme d’améliorer la formation en addictologie aujourd’hui insuffisante des acteurs de la chaîne de prévention : médecins, personnel paramédical, policiers. Dans chaque CHU devrait être développée une unité de soins, d’enseignement et de recherche en addictologie, selon le rapport.

Le Pr Reynaud propose aussi une "législation comparable pour les délits liés à la consommation de drogues licites ou illicites", par exemple les accidents de la route ou les violences. Il convient, dit-il de "rapprocher au maximum les actions pour pénaliser la consommation" qu'il s'agisse de drogues illicites, d'alcool ou de tabac.

L'expert se déclare également favorable au relèvement de la fiscalité pour l'alcool avec une taxation en fonction du degré d'alcool dans les boissons, qui reviendrait à taxer davantage qu’aujourd’hui le vin, tandis que le prix du tabac est lui régulièrement relevé, avec par exemple la hausse prévue de 5 % des taxes en juillet. Dans le même ordre d’idées, le rapport préconise une meilleure régulation du marketing concernant l’alcool sur internet, avec notamment un retour à l’esprit de la loi Evin, qui n’autorise la publicité que sur certains sites autorisés.

Enfin, il suggère de modifier les interactions santé/ police/ justice, en utilisant mieux la justice pour orienter vers le soin. Une évaluation addictologique devrait ainsi pouvoir être proposée aux personnes interpellées pour abus d’alcool ou consommation de cannabis (le rapport préconise une contravention systématique dans ce dernier cas). Il appelle aussi de ses v?ux, la mise en place d’une conférence de consensus pour optimiser cette articulation entre police, justice et santé.

Tout cela ne peut prendre place que dans le cadre d’un objectif devenu priorité présidentielle, impliquant au premier chef le renforcement du « plan addiction », en jachère depuis 2012. Le Pr Reynaud propose d’ailleurs, outre la création d’une fondation Action addictions, l'organisation d'États généraux des addictions pour aboutir à l'élaboration d'une loi d'orientation. Sera-t-il entendu ? Réponse le mois prochain, puisque le gouvernement doit présenter son plan addiction en juillet.
Dr Alain Dorra

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