mardi 18 juin 2013

[Interview] Christie Ravenne, retraitée
"Un vide juridique total et une maltraitance physique, morale et financière qu’on nous impose"

Dans son ouvrage "Gagatorium - Quatre ans dans un mouroir doré" (1), Christie Ravenne, retraitée âgée de 81 ans, raconte ses quatre années vécues dans une résidence services de Bretagne. Une descente aux enfers sur le plan sanitaire et financier. Entretien.

Hospimedia : "En 2007, vous emménagez dans une résidence services pour personnes âgées. Qu’en attendiez-vous ?

Christie Ravenne : À l’époque je souhaitais me rapprocher de mes petits-enfants, en Bretagne. J’avais déjà eu quelques coups durs côté santé, alors je me suis dit pourquoi ne pas regarder du côté des résidences services ? Je pensais que pour les jours où je ne suis pas en forme, je n’aurais qu’à appuyer sur un bouton pour obtenir de l’aide… Je me suis laissée séduire par cette formule, d’autant que lorsque j’ai visité la résidence, il y avait de jolis jardins, des danseurs de madison dans le grand salon…

H. : Mais votre témoignage souligne d’abord l’inadaptation des lieux à la population accueillie, pouvez-vous nous en dire plus ?

C. R. : Dès mon emménagement, j’ai constaté que la moyenne d’âge se situait plutôt aux alentours de 85/90 ans. Il y avait des patients Alzheimer ou en voie de le devenir, des vieux très peu autonomes qui oublient en permanence où ils habitent, des personnes grabataires qui doivent se contenter d’un passage infirmier à domicile le matin et le soir, et restent dans des couches souillées toute la journée… Ça m’a fait un choc. Il y avait seulement trois personnels permanents : la directrice, la comptable et l’hôtesse d’accueil. La nuit, un étudiant en médecine assurait une présence. J’ai réalisé que j’avais commis une grosse erreur. D’autant que j’avais acheté deux appartements, afin que la location du second m’aide à payer les charges du premier.

H. : Votre témoignage démonte aussi les ressorts d’une organisation qui dilapide les ressources de ses résidents…

C. R. : Cela a été ma deuxième déconvenue. Outre les charges de mes appartements, j’ai découvert que 480 € de redevance s’ajoutaient, sans que j’utilise aucun des services. La comptable refusait de répondre à mes questions. J’ai fini par noyauter l’association des usagers et le syndic des copropriétaires pour comprendre qu’on nous facturait des frais sur l’utilisation du hall d’entrée ou celle du restaurant (en dehors des repas, réglés à part). Ces frais étaient décidés à l’Assemblée générale de l’association par les propriétaires bailleurs. Et ceux-ci faisaient travailler des entreprises amies sur les travaux des parties communes, instauraient une subvention traiteur pour soi-disant permettre d’offrir des repas accessibles à tous… Quand la locataire de mon second appartement est décédée je me suis retrouvée avec 2 000 € de charges par mois. De quoi me ruiner car je suis restée 2 ans et demi sans locataire. En fait, la directrice plaçait en priorité les appartements appartenant à la SCI fondée par les promoteurs de la résidence…Une véritable mafia !

H. : En quoi estimez-vous que l’État est responsable de la situation ?

C. R. : Il n’existe pas de loi sur la gestion des résidences services pour personnes âgées en France. C’est un vide juridique total et une maltraitance physique, morale et financière qu’on nous impose. Mais la responsabilité revient également aux familles qui laissent leur parent ici, trop contentes d’avoir trouvé "une place" et ne s’inquiètent que lorsque le patrimoine de leur aïeul a fondu. Je les ai entendues ces mamies qui pensent que leur famille les déteste parce qu’elles "coûtent trop cher" et souhaitent mourir. Moi j’ai décidé de me battre et j’ai trouvé de l’aide auprès de deux associations de soutien aux consommateurs. Ensemble nous avons commencé à explorer à fond le fonctionnement de l’association, les textes légaux, les charges, etc. Nous avons relevé les anomalies, écrit des courriers, je me suis désengagée d’une partie des frais qu’on me réclamait… Cela a représenté un travail considérable et j’y ai laissé ma santé. J’aurais pu intenter des procès mais la gestion des services était agencée de telle sorte qu’il m’aurait fallu au moins cinq actions en justice. J’avais déjà 81 ans, ce n’était pas envisageable… J’ai finalement trouvé acquéreur pour mes appartements.

H. : Aujourd’hui, réinstallée dans un appartement de ville, comment allez-vous ?

C. R. : En quatre ans dans cette résidence, j’ai l’impression d’avoir vieilli de 15 ans mais moralement tout va bien. Je m’étais promis dès le départ d’écrire et de témoigner pour ceux qui n’ont pas la parole. Mes petites mémés comme je les appelle… Depuis la parution de mon livre, je reçois des courriers de toute la France. J’ai appris qu’une association* est en train de se constituer et que le député-maire de Marcq-en-Baroeul, Bernard Gérard, travaille sur une proposition de loi concernant les résidences services. C’est une grande satisfaction pour moi."
(1) "Gagatorium - Quatre ans dans un mouroir doré" (288 pages - ISBN 9782213672298) est paru aux éditions Fayard le 10 avril 2013.
(2) L’Association de défense des victimes des résidences services pour seniors (ADVRSS) peut être contactée via l’adresse email de son fondateur : bruno.audon@hotmail.fr
Propos recueillis par Sandra Mignot

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