jeudi 9 mai 2013

Les services de l'Etat sont "à l'os"

LE MONDE | 
Ce n'est pas la misère, mais c'est parfois déjà la pauvreté. Dans les ministères, dans les services déconcentrés, les contraintes budgétaires se font durement sentir. Ici, ce sont des factures payées aux entreprises avec trois mois de retard. Là, c'est une partie d'un tribunal de grande instance (TGI) interdite au public pour cause de chute de moellons. Ailleurs, c'est la gendarmerie privée, pour la deuxième année consécutive, de tout achat de véhicules...
En 2012, les dépenses de l'Etat, hors charges de la dette et pensions, ont diminué de 300 millions d'euros. Or, elles augmentent spontanément de 6 milliards d'euros par an, selon la Cour des comptes, et de 7 milliards, selon le ministère du budget. La baisse de 2012, inédite, a donc exigé une vigilance de tous les instants. Cet effort va se poursuivre. En 2014, il faudra trouver 7,5 milliards d'euros d'économies, a prévenu le ministre délégué au budget, Bernard Cazeneuve. Pour obtenir une baisse effective de 1,5 milliard.
"CAPACITÉ À FONCTIONNER"
Dans cet environnement rude où, de l'aveu d'un budgétaire, "ce n'est plus du train de vie de l'Etat qu'il est question, mais bien de la capacité des services publics à fonctionner", 2013 est une année charnière. Quelques semaines après le vote d'un budget truffé de hausses d'impôts, Bercy a annoncé un gel supplémentaire de crédits, au grand dam de plusieurs ministres.
"Les services sont à l'os. Le respect des normes budgétaires se traduit déjà par près de 8 % d'économies sur le fonctionnement et l'investissement en trois ans. On ne peut pas faire plus", déplore-t-on au ministère de l'intérieur. Sauf à ce que l'Etat ne puisse plus payer l'essence des voitures de police ou faire face aux besoins des demandeurs d'asile...
A la chancellerie, où l'on admet pudiquement "une certaine tension sur le fonctionnement", le surgel gomme tous les efforts faits en 2012 pour retrouver des marges de manoeuvre. Il fait planer la menace d'une baisse des crédits d'investissement qui, jusque-là préservés, avaient permis d'entamer la réhabilitation ô combien nécessaire des Baumettes et de Fleury-Mérogis. Pour pouvoir soutenir une véritable baisse des crédits dans la pénitentiaire, il faudrait que le nombre de détenus (67 000 pour 57 000 places) diminue. Or, développer les alternatives à la prison, comme le bracelet électronique ou le placement en semi-liberté, coûte cher.
Cette année, les crédits de fonctionnement des services judiciaires sont censés baisser de 7 %. Il va falloir tailler partout et l'Etat ne recule devant aucune petite économie. Les procureurs et les présidents des 33 cours d'appel et des 181 TGI sont ainsi invités à opter pour de moyennes cylindrées. La suppression de leurs logements de fonction (alors que les préfets conservent les leurs) est à l'étude. A peine engagée, la bataille fait rage.
REPORT OU ARRÊT DE CERTAINES OPÉRATIONS
Toutes les économies ne sont pas bonnes à faire. Le recours systématique au partenariat public-privé pour financer hôpitaux, tribunaux ou prisons a montré ses limites, notamment financières. Le surgel de 2013 va contraindre l'administration à reporter certaines opérations, à arrêter des chantiers déjà lancés.
"On fera des économies, mais on aura des pénalités... Cela vaut aussi pour la réduction à trente jours des délais de paiement de l'Etat, impossible à tenir", observe-t-on dans l'immeuble magnifique mais vétuste qui abrite les services de Christiane Taubira, place Vendôme. Faute d'argent, le manque de magistrats complique le contrôle de l'hospitalisation d'office, le renouvellement des tutelles ou la collégialité de l'instruction.
Trouver des gisements d'économies supplémentaires est extraordinairement difficile. Car l'Etat est un paquebot aux dépenses rigides et les restrictions accumulées au fil des années pèsent lourd. Le ministère de la défense, par exemple, assume des effectifs nombreux et sous différents statuts, ainsi qu'un fort volant de dépenses de fonctionnement courantes et exceptionnelles. La loi de programmation militaire de 2008 (qui court jusqu'en 2020) avait prévu des militaires moins nombreux mais mieux équipés. Las, le coût des restructurations a été sous-estimé et le ministère a essuyé les conséquences financières de la non-exportation du Rafale. Cela a pesé sur l'équipement des armées. Le ministère estime en être arrivé "à un seuil de rupture" : "Le gap entre nos crédits et nos besoins s'accroît depuis 2010. Cette année, il atteint 2,2 milliards..."
RÉORGANISER L'ETAT
La stratégie des bouts de chandelle s'épuise. Pour ne pas froisser les élus locaux, on a maintenu 3 600 brigades de gendarmerie en activité. Et tant pis si 150 d'entre elles enregistrent moins d'une plainte par semaine ! La carte des compagnies républicaines de sécurité (CRS) date de 1945. Plutôt que d'y toucher, Nicolas Sarkozy a fait ramener de 80 à 60 les effectifs d'une compagnie sans en diminuer le nombre. Autant d'astuces qui n'ont qu'un temps.
Faire plus suppose d'être créatif, ce qui n'est pas impossible. La chancellerie rêve par exemple de pouvoir recycler les 400 millions d'économies envisagées sur les frais de justice, avec la mise en place d'une plate-forme nationale des interceptions judiciaires.
D'autres économies sont possibles, à condition de réorganiser l'Etat – c'est l'un des objectifs de la modernisation de l'action publique. Laissons parler ce haut fonctionnaire proche de la majorité : "Soit on va plus loin sur les effectifs, en ne remplaçant qu'un fonctionnaire sur trois ou sur quatre partant à la retraite, et on décale en fin de quinquennat les promesses de recrutement ; soit on joue sur le catégoriel et on gèle les avancements, ce qui ne peut se faire qu'au niveau interministériel ; soit on taille dans les dépenses d'intervention : ainsi Bercy a chiffré à 2 ou 3 milliards d'euros d'économies, dès la première année, le gel de l'indexation des prestations sociales." Explosif.

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