dimanche 14 avril 2013

«La situation des enfants de "Kinshasa Kids" ne peut pas laisser indifférent»



Photo Marc-Henri Wajnberg
Sekemwadi. Qu’est-ce que le phénomène kuluna à Kinshasa? quelle est son origine ? Quelle difference il y a-t-il entre le phénomène kuluna («bandits des rues») et les enfants des rues, que l'on appelle les «shegués» ? Les shegués sont-ils tous des «kuluneurs» ?
Marc-Henri Wajnberg. Les shegués sont des enfants des rues. Ils ont été rejetés par leurs parents. Les raisons en sont multiples, cela peut être pour une cause de famille décomposée, pour cause de précarité financière. La guerre a amené sont lot d’orphelins, une partie de ces enfants sont considérés comme sorciers (shegués), mais pas tous. Dans la rue les enfants vivent en bande, certains parviennent à survivre en trouvrant de petits travaux. D’autres finissent pas tourner mal et rejoignent des bandes plus âgées, violentes, que l’on appelle les «Kuluna».
Sésame. Bonjour, quelle fabuleuse découverte que ce film qui nous montre l’Afrique telle qu’elle est, riche en humanité, solidarité entre les enfants et ce de façon spontanée, mais ont-ils d’autres choix ? La femme qui tient le restaurant a l’air d’avoir trouvé une issue ... mais combien s’en sortent ainsi ?
M-H. W. Bonjour Sésame. Merci pour votre appréciation du film. Il est très difficile de s’en sortir quand on est shegués, car l’Etat ne fait rien (ou bien peu) pour s’occuper de la réinsertion de ces enfants. La réinsertion est gérée par des associations privées, en général des ONG, financées par l’aide internationale.
La femme qui tient le restaurant, c’est Joséphine, elle est musicienne dans l’orchestre OSK, (Orchestre Symphonique Kimbanguiste), elle n’est évidemment pas du tout une shegué. Elle a une famille, se débrouille par différents travaux qui lui permettent de survivre, son restaurant, et la vente de vêtements qu’elle va acheter en gros à Brazzaville.
Jacques. Pourquoi finalement n’avez-vous pas réalisé le documentaire sur les enfants shegués? Trop compliqué? Y reviendriez-vous?
M-H. W. Je l’ai réalisé, il s'appelle «Enfants sorciers, Kinshasa», il sortira bientôt sur France 5.

Brice. Comment ça se passe un tournage à Kinshasa? Etiez-vous surveillés par les autorités? Quelles contraintes aviez-vous ?
M-H. W. C'est très compliqué de tourner à Kinshasa. Il faut d’abord demander des autorisations officielles, que l’on obtient relativement facilement... moyennant paiement. Mais cela ne suffit pas, car chaque quartier a son organisation et sa police, à qui il faut aussi demander l’autorisation, que l’on obtient, moyennant... paiement. Ensuite, nous avons officiellement un membre de l’ANR - les services de renseignement - qui accompagne le tournage, et qui le surveille. Cela se gère aussi moyennant... Et, par ailleurs, dans certains quartiers plus dangereux, nous avions des amis kinois qui nous accompagnaient.
Ceci étant dit, c’est toujours très chaud de sortir une caméra, car Mobutu avait mis en place l’idée que toute personne qui filmait ou photographiait voulait montrer le mal du pays, et était un espion. Cette règle a été reprise par Khabila père, puis Khabila fils. Aujourd’hui, la loi a changé, et l’on peut donc filmer avec autorisation, mais il est resté dans la tête des gens que ce n’était pas bien de filmer. La difficulté est donc grande, car la violence peut surgir à chaque instant, vis-à-vis de tous réalisateur ou photographe, qu’il soit Congolais ou étranger, blanc ou noir.
Odile. Est-ce qu’il y a eu des moments où vous vous êtes senti en insécurité ? Aviez-vous des gardes du corps, un chauffeur pour vous déplacer ?
M-H. W. Oui, je me suis senti en difficulté particulièrement durant les repérages, car j’étais seul, accompagné d’un chauffeur, et d’un responsable de l’ANR, et cela ne suffisait pas pour me protéger. Je me suis fait plusieurs fois agresser. Par contre, durant le tournage, comme l’équipe était plus importante, les agressions étaient moindres.
Robert. Combien étiez-vous lors du tournage ? Comment avez-vous pallié le manque d’éclairage ? Aux difficultés de la prise de son ?
M-H. W. Nous étions une quinzaine de personnes de l’équipe durant le tournage, plus les enfants, les éducateurs, et les chauffeurs, ce qui faisait en moyenne 25 personnes. Pendant la journée, nous fonctionnions avec l’éclairage naturel, et le soir, nous avions un groupe électrogène qui nous accompagnait dans l’autobus. Mais nous avons essayé de fonctionner avec un éclairage très basique, le même éclairage que l’on trouve dans les petits appartements, lampes classiques et néons. Il nous est arrivé quelques fois que le câble se débranche, et autres galères... Pour la prise de son, on a fonctionné une avec perche, quand elle était utilisable, et des micros cravates.
Jean. Combien de temps avez-vous passé à Kinshasa pour réaliser votre film ?
M-H. W. Je suis parti six fois en repérage, avant le tournage pour me plonger dans la cité, vivre avec les gens, comprendre leur fonctionnement et me faire accepter. Pour le tournage, nous avons eu quatre semaines de préparation, puis cinq semaines de tournage, puis un break de trois mois, et un nouveau tournage avec quinze jours de préparation, et quinze de tournage. Le tout s’est échelonné sur 2 ans et demi.
Jacques. Le film de Florent de La Tullaye et Renaud Barret,Benda Bilili se passe lui aussi dans les rues de Kinshasa. Quelle influence a-t-il eu sur le vôtre ?
M-H. W. Aucune, quand j’ai commencé mon projet, le film de Florent et Renaud n’était pas encore terminé. Et je ne l’avais donc pas vu. Par contre, j’avais rencontré le manager de Benda Bilili, les musiciens, et j’avais un projet de les utiliser. Mais j’ignorais totalement l’ampleur du film Benda Bilili à venir. Quand j’ai commencé mon tournage, le film de Florent et de Renaud était sorti, et j’ai décidé de ne pas utiliser le Benda Bilili.
Sésame. Ce film va m’accompagner longtemps, merci...
M-H. W. Merci à vous Sésame, avec un nom pareil, toutes les portes se sont ouvertes !
Lilias. N’avez-vous pas un peu mauvaise conscience d’avoir entraîné des enfants dans vos projets cinématographiques, alors que ceux-ci vont rester coincés dans leur misère une fois le tournage terminé ?
M-H. W. Aucun mauvaise conscience, au contraire. D’abord, mon projet est de réinsérer les enfants qui ont participé au tournage. A ce jour, deux le sont. Les six autres auraient pu l’être, mais l’argent que j’ai versé pour leur réinsertion, et leur retour à l’école a, par deux fois, été détourné par des éducateurs.
Je suis retourné après le tournage avec une équipe, nous avons passé un accord avec un internat qui prendrait les enfants contre paiement que nous ferions jusqu'à leur majorité. Mais un plus âgé, que nous avions engagé sur le tournage pour s’occuper des enfants a refusé qu’ils retournent à l’école, car il voit en eux une source de financement, puisque je ne les abandonne pas. Je suis en contact, aujourd’hui avec une association de réinsertion pour sortir ces enfants de l’emprise de leur éducateur, afin qu’ils puissent aller à l’école sans risquer de subir des violences de la part de ceux qui pensent que ces enfants leur appartiennent. C’est un travail de tous les jours, et je retourne très prochainement à Kinshasa, en juin, pour tenter de concrétiser cette réinsertion.
Ceci dit, ce n’est pas évident parce que ces enfants sont depuis de nombreuses années dans la rue, et la liberté que donne la rue face à la contrainte d’un internat, d’une école, d’une réinsertion, est forte. De toutes façons, ces enfants ne sont plus les mêmes. Ils ont participé pendant de nombreux mois à un travail qui parlait d’eux, de leur terrible difficulté de vivre, de leur courage, et aujourd’hui, ils ont changé. Ils savent qu’il est possible de s’en sortir, et l’exemple de Rachel, la jeune actrice, qui, après mon film, a joué dans le film Rebelle en est la preuve. Quoi qu’il en soit, ce film permet de montrer la honte de cette situation, et ne peut pas laisser le gouvernement indifférent aujourd’hui. L’ampleur que prend le film au niveau médias et festival, va devoir faire changer la loi (espérons!) et éradiquer ce phénomène.
Sésame. La musique et le rythme sont omniprésents, une véritable bouffée d’air pour les enfants et l’Afrique...
Rosalie. Existe-t-il une bande originale de votre film ? Comment se la procurer ?
M-H. W. Mon projet n'était de ne pas d'aller filmer au Congo, et puis en partir. Je voulais que mon film soit un vrai échange avec les Kinois. C’est pourquoi je continue à être en contact avec les enfants, mais aussi les autres protagonistes du film. J’avais promis à Bebson qu'après le tournage, je lui trouverai un producteur de musique pour son disque. Je n’en ai pas trouvé, je l’ai donc produit moi-même. Il y a moyen de se le procurer en contactant ma société Wajnbross Productions. Et toutes les informations sont sur le Facebook de Khinshasa Kids. Le CD s’appelle «Bebson de la rue, groupe électrogène». On y retrouve la musique de Bebson et de son groupe Trionyx. Par ailleurs, la BO du film est en cours de fabrication, et sera terminée d’ici une semaine, on y retrouve toutes les musiques du film.
La résilience par la musique est un vecteur important au Congo, où les gens n’ont pas les moyens de s’acheter des instruments, ne peuvent exprimer leurs émotions et leurs douleurs par des chansons qui évoquent les difficultés de leur vie.

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