dimanche 28 avril 2013

Feu vert à un dépistage génétique de la trisomie 21

LE MONDE | 
C'est un pas important vers l'autorisation et l'encadrement de nouveaux tests génétiques fœtaux pour dépister la trisomie 21 dans le sang maternel. Dans son avis numéro 120, qui devait être rendu public jeudi 25 avril, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'est déclaré favorable à l'introduction progressive de telles analyses dans le cadre du programme actuel de dépistage de la trisomie 21. Ces analyses de l'ADN fœtal permettent en effet de réduire fortement le recours aux examens telles les amniocentèses, potentiellement à risque pour le fœtus, estime le Comité d'éthique.
Mais au-delà de la trisomie 21, la plus fréquente et la plus emblématique des anomalies chromosomiques, cet avis d'une longueur inhabituelle (40 pages, plus 7 de glossaires) fournit une feuille de route pour anticiper les bouleversements à venir dans le domaine du diagnostic prénatal et les conséquences possibles du séquençage intégral du génome humain sur le choix de mener ou non une grossesse à terme.

"Le Comité ne souhaite pas seulement être prescriptif, mais aussi sensibiliser le public et les décideurs, ouvrir une discussion sur tout ce que recouvrent ces techniques, qui progressent à une vitesse vertigineuse", justifie Patrick Gaudray, l'un des deux rapporteurs, généticien et directeur de recherche au CNRS.
Lire intégralement les gènes d'un futur bébé n'est plus une fiction. Le premier séquençage d'un génome humain avait été obtenu en 2003, après quinze ans de recherches. Avec des séquenceurs à haut-débit, les scientifiques sont désormais capables d'analyser le génome entier d'un fœtus par un simple examen sanguin maternel.
DES ORGANISATIONS POINTENT DES RISQUES D'EUGÉNISME
Depuis quelques mois, les Etats-Unis et plusieurs pays d'Europe commercialisent des tests ADN sanguins permettant de rechercher, avec une bonne fiabilité, des anomalies chromosomiques comme les trisomies 21, 13 et 18, dans les premières semaines de grossesse. Au grand dam d'organisations qui, comme la Fondation Jérôme Lejeune, pointent des risques d'eugénisme. Le coût est de l'ordre de 1 200 à 1 500 euros.
C'est dans ce contexte que le CCNE a été saisi du sujet, le 31 juillet 2012, par la direction générale de la santé (DGS). Sur le sujet précis de la trisomie 21, les "sages" ont donc donné leur feu vert au test génétique sur sang maternel, estimant qu'il constitue "un progrès du point de vue éthique".
Le dépistage actuel, proposé systématiquement à toutes les femmes enceintes (et accepté par 85 % d'entre elles) repose, depuis 2010, sur une stratégie dite combinée. Une échographie et un dosage de deux marqueurs sanguins sont d'abord effectués au premier trimestre de la grossesse. En fonction de leurs résultats et de l'âge maternel, un logiciel évalue la probabilité d'anomalie chromosomique. Si le risque est supérieur à 1/250, une analyse des chromosomes fœtaux, ou caryotype, est proposée. Cet examen de référence, obtenu par biopsie de villosités choriales (futur placenta) au premier trimestre, ou par amniocentèse au deuxième trimestre, peut induire une fausse couche dans 0,3 % à 1 % des cas. Soit potentiellement plusieurs centaines de décès fœtaux par an en France.
Les nouveaux tests génétiques sur sang maternel ont d'excellentes performances. Un risque initial évalué à 1/100 à l'aide des tests actuels (marqueurs sanguins plus échographie) est ainsi ramené aux environs de 1/10 000. Ils permettent donc de diminuer sensiblement le recours aux prélèvements invasifs et les dangers pour les fœtus. "Sans modifier intrinsèquement le fond de la procédure actuelle ", insiste le Comité d'éthique.
Ces tests pourraient donc être progressivement introduits dans la stratégie de dépistage, en étant proposés aux femmes à risque élevé, en alternative aux examens invasifs. Le CCNE insiste toutefois sur le fait qu'il s'agit d'un test de dépistage et pas encore, à ce jour, d'une méthode de diagnostic remplaçant le caryotype sur cellules fœtales. En clair, un test ADN positif nécessite, en tout cas pour l'instant, une confirmation par un caryotype. Un test négatif dispense en revanche d'examen complémentaire. Dès lors, les "sages" plaident pour leur "prise en charge par la solidarité nationale, à supposer que le coût en soit devenu acceptable".
L'éventualité de proposer ce test génétique pour la trisomie en première intention à l'ensemble des femmes enceintes n'est en revanche pas encore d'actualité. A ce jour, "les limites sont d'ordre technique, organisationnel et économique plutôt que d'ordre éthique", précise le CCNE, qui évalue qu'au tarif actuel, le coût annuel serait "considérable", de l'ordre de 1 milliard d'euros.
La situation risque d'évoluer rapidement. "Dans un avenir proche, il sera techniquement plus simple, et peut-être moins onéreux, d'effectuer un séquençage entier du génome fœtal que de sélectionner des régions d'intérêt et d'en réaliser un séquençage ciblé comme c'est aujourd'hui le cas", prévoit l'avis. De telles analyses pourraient potentiellement identifier des maladies génétiques monogéniques (comme la mucoviscidose, les myopathies...), des prédispositions à des pathologies multifactorielles (diabète, cancers...), et des variants génétiques dont l'interprétation n'est pas évidente.
"Le fait que la technique permette de séquencer l'ensemble du génome fœtal justifiera-t-il sa lecture complète, voire la communication de l'ensemble des données qui ont été lues ?", s'interrogent les membres du Comité d'éthique. Ils se prononcent plutôt pour une restitution sélective de celles-ci, sur des critères pertinents et rigoureux, "au premier rang desquels devraient figurer la particulière gravité et l'incurabilité de la maladie au moment du diagnostic". Jusqu'ici, ce sont en effet ces caractéristiques qui ont été retenues par le législateur pour une demande d'interruption médicale de grossesse, et non une liste limitative de pathologies.
Le Comité d'éthique insiste par ailleurs sur la problématique centrale de l'information des couples, mais aussi sur la nécessité d'une meilleure prise en charge par la société des personnes porteuses d'un handicap ou atteintes d'une maladie. Et il déplore, comme dans un précédent avis, la"très grande faiblesse de la recherche sur les handicaps en général, et la trisomie 21 en particulier".

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