mardi 5 mars 2013

Génériques et psychotropes : revoir la copie ?
Publié le 24/02/2013
Psychiatre universitaire à Innsbruck (Autriche), le Pr. Fleischhacker confirme dans un éditorial que le débat sur l’opportunité (économique) de substituer des médicaments génériques aux spécialités de marque ne se cantonne pas à la France, dans la mesure où l’impératif de contenir les dépenses de santé constitue un phénomène partagé au même titre que la maladie.
Cette « pression » sur les prescripteurs s’explique par le fait que « dans le monde entier, de nombreuses molécules ont perdu la protection des brevets. » Il est donc tentant d’inciter à «changer les molécules initiales pour des génériques » (switch from original to generic drugs), moins coûteux et présumés « bio-équivalents. » L’Agence Médicale Européenne[1] (et son homologue aux États-Unis, la Food and Drug Administration) considèrent que « les médicaments génériques remplissant les critères de bio-équivalence sont interchangeables avec les médicaments originaux dans la pratique. » Mais le sont-ils réellement, et toujours ?
L’auteur indique par exemple que l’American Epilepsy Society[2] recommande de « ne pas substituer un générique à une spécialité antiépileptique de marque », sans l’accord préalable « du patient et du médecin prescripteur. » On est loin de l’actuelle mesure française « tiers-payant contre générique » que certains jugent pénalisante, pour le choix du prescripteur comme celui du patient[3].

Cette réserve des neurologues américains est-elle transposable aux psychotropes ? L’auteur rappelle que les cliniciens « ont compris que le passage des médicaments d’origine aux génériques peut entraîner des problèmes d’efficacité et de tolérance chez certains patients. » Certes, les génériques contiennent les mêmes principes actifs que les spécialités homologues. Pourtant, certains excipients peuvent influencer divers phénomènes : effet allergisant, dissolution du produit, bio-disponibilité, etc. Et au sein d’un groupe homogène de patients, il existe de « larges variations interindividuelles » dans la sécurité et la tolérance d’un médicament.
Mais surtout, il ne faut pas méconnaître l’incidence occulte du changement (générique versus spécialité) sur l’observance. Cette compliance au traitement est déjà un problème délicat, en cas d’affection chronique imposant un traitement au long cours : aussi ne faut-il pas « sous-estimer l’influence des préférences et des habitudes du patient. » Passer d’une spécialité de marque à un générique « ou même d’un générique à un autre » (du même registre) peut « saper un équilibre délicat », obtenu pour un médicament spécifique. En outre, un effet nocebo[4] (action indésirable d’un placebo, liée à la simple idée de recevoir un médicament non pris réellement) peut « compliquer le processus de traitement », à la suite duquel les patients rencontrent parfois « des difficultés de tolérance compromettant en retour les problèmes d’observance. »
L’auteur note que ces arguments ne doivent pas être interprétés comme une incitation à « décourager l’utilisation courante des génériques de médicaments psychotropes », mais soulignent « l’importance d’une réflexion judicieuse sur le rapport bénéfices/risques », celle de « l’intuition » et du « sens aigu de l’observation clinique », en particulier au moment de passer à un générique (ou d’en changer).



Dr Alain Cohen

Fleischhacker W : Are original, branded psychotropics and generic medications interchangeable? Acta Psychiatrica Scandinavica, 2013; 127: 8.

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