mardi 22 janvier 2013

"Parloirs", documentaire de Didier Cros - Extraits vidéo

Le Monde.fr | 

"Parloirs", diffusé mardi 22 janvier à 22 h 15 sur France 2, est le second film tourné par le documentariste Didier Cros au centre de détention de Châteaudun, où il s'est rendu pendant un an.
"Parloirs", diffusé mardi 22 janvier à 22 h 15 sur France 2, est le second film tourné par le documentariste Didier Cros au centre de détention de Châteaudun, où il s'est rendu pendant un an. | DR

De notre corps social en souffrance, Didier Cros s'efforce d'ausculter les points névralgiques. Là où ça grince, où ça coince ; là où, comme par hasard, les citoyens n'ont pas de droit de regard. Après La Gueule de l'emploi, documentaire très remarqué consacré à une session de recrutement pour une compagnie d'assurances, le réalisateur a pu – fait unique – circuler librement, pendant un an, dans le centre de détention de Châteaudun (Eure-et-Loir). Il en a tiré deux films : Sous surveillance, diffusé sur France 2 en juin2012, primé au Festival international des programmes audiovisuels de Biarritz, et Parloirs, programmé sur la même chaîne, mardi 22 janvier à 22 h 15, dans "Infrarouge".
Voir aussi : trois vidéos, un extrait du documentaire Parloirset deux bonus du DVD Sous surveillance – Parloirs à paraître en mars
Entretien avec un documentariste qui veut "observer le système au travers des individus." "Ou plutôt, précise-t-il, l'impact du système sur les individus."
Comment votre projet de filmer en prison a-t-il été accueilli ?
France 2 a immédiatement manifesté son intérêt, notamment parce qu'on était sur un terrain inédit. La dernière fois qu'une caméra a pu pénétrer dans un parloir, c'était il y a une quinzaine d'années et pour une seule séquence. Ce qui en dit long sur les difficultés extrêmes à pouvoir tourner en prison... Il y a en France une volonté de dissimuler aux regards la réalité carcérale.
On a dû attendre près de deux ans avant de recevoir une autorisation – très restrictive – de l'administration pénitentiaire. Le directeur du centre de détention de Châteaudun a compris pour sa part que je n'étais pas là pour faire un film militant, mais pour chercher à rendre compte de la complexité du monde carcéral, dans une démarche raisonnée et sensible. Finalement, j'ai pu circuler librement dans cette prison pendant un an.
Comment avez-vous travaillé sur place ?
J'ai profité du temps qui m'était laissé pour construire du lien, aussi bien avec les surveillants qu'avec les détenus, en m'efforçant d'afficher une neutralité ; ce qui est très difficile dans un environnement où chacun est censé choisir son camp. J'ai passé trois mois, sans caméra, à naviguer des uns aux autres pour me faire accepter, puis trouver les personnages du film.
Comment les avez-vous choisis ?
De nombreux détenus étaient d'accord pour participer. La difficulté venait surtout des familles. Le système carcéral, la société dans son ensemble, leur font peser la responsabilité d'avoir un mari ou un fils en prison. Aussi leur est-il difficile d'accepter d'être reconnues comme telles à l'écran. Je souhaite, par ce film, rendre hommage à leur résistance, leur courage et leur abnégation. On remarquera par ailleurs ce que j'ai constaté : les femmes – en particulier les mères – sont très présentes au parloir, alors que les pères sont plutôt absents.
Vous avez finalement pu réaliser sur place un autre film, consacré aux surveillants, mais votre projet initial était "Parloirs". Pourquoi ce lieu ?
Il est beaucoup plus facile pour le spectateur de s'identifier à un visiteur qu'à un détenu, dont la parole n'est pas audible car jugée non valable. Par le biais des familles, le parloir permet donc au spectateur de se projeter dans la problématique carcérale. Ce qui restitue indirectement une part d'humanité aux détenus.
De l'extérieur, on imagine qu'il s'agit à chaque fois de retrouvailles, de moments de bonheur, alors qu'en fait c'est un espace de frustration. Le parloir montre à ceux qui sont incarcérés tout ce qui les sépare du monde extérieur, tout ce qu'ils ne vivent plus. Il est très difficile, dans ces conditions, d'arriver à maintenir un lien. D'autant que les détenus, taisant les choses lourdes qui se passent dans la prison pour ne pas inquiéter leurs familles, n'ont finalement rien d'autre à raconter qu'un quotidien répétitif. Leurs proches évitent eux aussi de leur raconter le poids de la solitude et les difficultés qu'ils rencontrent.
A cette frustration de la parole s'ajoute une frustration des corps. Les détenus ont été condamnés par la loi à être privés de liberté, et non pas de sexualité. C'est pourtant ce qui se passe dans la plupart des prisons – dont Châteaudun –, même si les petits arrangements pour acheter la paix sociale atténuent cette inhumanité.
Comment avez-vous géré vos relations avec les détenus et leurs proches ?
Je me dois de protéger les gens que je filme. Dans un parloir, espace intime de la parole en un moment difficile, surgissent des choses très profondes pour chacun. Il faut les manier avec respect et précaution. J'ai écarté des échanges qui étaient passionnants mais trop intrusifs.
Je suis rentré dans toutes ces vies bien plus loin que ne le prévoyait mon projet. Nos relations se sont construites dans tous les échanges que j'ai pu avoir avant le tournage, et se sont parfois prolongées après. Avec un film aussi délicat que celui-là, où les gens livrent une part d'eux-mêmes importante, je ne pouvais imaginer les laisser tomber une fois leur témoignage obtenu. Il s'en est suivi une sorte d'accompagnement, en fonction de la demande de chacun.
La présence de la caméra n'a-t-elle pas modifié ce que vous vouliez filmer ?
La caméra contribue toujours à changer l'environnement. Cela étant, une fois que la confiance est installée, elle peut ne pas être perturbante. Les gens qui s'expriment dans Parloirs ne sont pas dans la pose.
C'est la responsabilité de celui qui fait le film de chercher à distinguer comédie de soi et vérité, grâce à tous les entretiens menés en amont. C'est au montage que cette rigueur doit s'exprimer : un tri se fait, à partir de ce qu'on a cru comprendre des personnes qu'on filme, afin que soit restitué ce qu'on pense avoir réussi à capter d'elles-mêmes.
Il ne faut pas chercher l'exhaustivité mais la justesse. A ce titre, je me suis rendu compte que, bien souvent, ce sont ceux qui avaient d'abord refusé d'être filmés, en raison d'une méfiance – ô combien justifiée – vis-à-vis de la télévision, qui se sont révélés les plus intéressants. Le film a pu jouer un rôle de catharsis pour certains, qui y ont trouvé un moyen d'exprimer enfin leur malaise, leur souffrance.
Qu'est-ce qui vous a surpris dans cet environnement carcéral ?
Une chose qu'on oublie souvent : le bruit. C'est incroyablement bruyant, une prison. Les matériaux sont souvent de très mauvaise qualité, tout résonne : les portes qui se ferment, les clés, les pas. Toutes les télés – l'autre drogue du monde carcéral – ont leur volume à fond. Bien souvent les détenus hurlent pour se parler.
Cet environnement sonore participe beaucoup de la tension qui règne. A la fin d'une journée de repérage ou de tournage, je ressentais une forme d'épuisement, dont j'ai mis du temps à trouver l'origine.
Une diffusion à un horaire plutôt tardif est-elle le juste retour d'un tel travail ?
Si ça se limitait à cela, ce serait une frustration considérable. Mais il y a toute la partie non visible : les festivals et, surtout, toutes les projections suivies de débats citoyens, qui restituent la dimension d'utilité publique de ce genre de film.
Quels sont vos projets ?
Je souhaite faire un film sur un autre espace confidentiel : le conseil de discipline, qui cristallise la plupart des dysfonction nements de l'école aujourd'hui. Lorsqu'il se réunit, c'est évidemment un échec de l'élève, mais c'est aussi un échec du système. Il y a certainement quelque chose de riche à entendre, d'autant que tous les acteurs sont autour de la table.

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