Une étude bat en brèche le sentiment de judiciarisation de la santé
LE MONDE | Par Laetitia Clavreul
Que les médecins se rassurent : leurs patients ne cherchent pas le contentieux à tout prix. Alors que depuis plusieurs années, un sentiment de judiciarisation de la santé et de "dérive à l'américaine"domine, l'Institut droit et santé de l'université Paris-Descartes, a tenté d'analyser les faits. Un travail de deux ans, qui a permis d'expertiser 50000 décisions de justice rendues de 1999 à 2009, et qui démonte les idées reçues sur la hausse des demandes de réparation. Que ce soient les procédures administratives pour les contentieux concernant l'hôpital, les procédures civiles et pénales, ou encore disciplinaires, c'est une stabilité qui est constatée, voire une baisse, ces dernières années. Un livre en a été tiré, qui sort mercredi 12 décembre.
23 REQUÊTES POUR 100 000 ADMISSIONS À L'HÔPITAL
"Le discours ambiant est révélateur d'un malaise général de la part des médecins, mais il ne repose ni sur une réalité économique, car leurs revenus n'en souffrent pas, ni sur une réalité contentieuse, qui serait le signe d'une défiance des malades envers eux", commente Didier Tabuteau, codirecteur de l'Institut, pour qui, avec cette étude, "l'idée de dérive contentieuse est morte".
Sur dix ans, les litiges restent très rares: de l'ordre de 23 requêtes pour 100000 admissions à l'hôpital, ou, pour la médecine de ville, moins de 5 affaires nouvelles pour 1 million d'actes. Les auteurs remarquent d'ailleurs que le risque de contentieux par tête de médecin est plus faible que par tête d'avocat (2,6 réclamations pour 100 professionnels, contre 4,2, entre 2003 et 2009).
Mais dans la mesure où la société s'est judiciarisée, où les actes médicaux sont devenus plus techniques, donc plus contestables, "cette peur du contentieux est logique", estime Anne Laude, codirectrice de l'Institut, qui explique que, pour autant, "il n'y a pas de volonté du patient de s'acharner". Preuve s'il en est, "la faiblesse des contentieux au pénal – les plus emblématiques, donc les plus redoutés par les médecins – qui ont été divisés par deux", explique-t-elle. Le taux de plaintes est passé de 2 pour 1000 médecins en 1999 à moins de 1 en 2009. Les spécialités les plus exposées sont la chirurgie, l'obstétrique, l'anesthésie.
LES PROCÉDURES À L'AMIABLE PLUS COURANTES
L'étude montre un report sur les procédures à l'amiable, bien moins stigmatisantes pour les médecins puisqu'ils n'ont alors pas à venir s'expliquer devant les tribunaux. Elles sont devenues la voie la plus courante en cas de litige – 54 % en 2009, contre 14 % en 2004. Une conséquence de la loi sur le droit des malades de 2002, qui a fait naître les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation qui, après expertise, permettent aux patients d'être indemnisés par les assureurs ou par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux.
Il n'est pas sûr cependant que le ressentiment des médecins s'en voie modifié, vu le contexte. Il y a d'abord l'explosion des primes d'assurance – pas totalement justifiée, car certes les montants des condamnations ont augmenté, mais pas le nombre de contentieux –, qui fait redouter dans certaines spécialités une crise des vocations. Il y a aussi les affaires médiatisées, comme celle du Mediator ou des prothèses mammaires PIP, mal vécues par les praticiens.
Les demandes de réparation pourraient par ailleurs à l'avenir augmenter si les actions de groupe (class-actions) étaient un jour autorisées en France. Cette procédure adaptée aux dommages dits"sériels" (Distilbène...) permettrait d'accélérer les procédures et de diminuer les coûts pour les plaignants. Ceux-ci pourraient alors moins hésiter à se lancer dans une demande de réparation, même pour de petits dommages.
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