mardi 18 décembre 2012

Le rapport Sicard propose de respecter la volonté des malades jusqu'à donner la mort

LE MONDE | 

Le professeur Didier Sicard lors de son arrivée à l'Elysée, mardi 18 décembre.
Le professeur Didier Sicard lors de son arrivée à l'Elysée, mardi 18 décembre. | AFP/PATRICK KOVARIK

Il avait promis "de ne pas se défiler". Il a tenu parole. Le professeur Didier Sicard a remis au président de la République, François Hollande, mardi 18 décembre, le rapport de la "commission de réflexion sur la fin de vie en France" (ici en PDF). Six mois n'auront pas été de trop pour explorer les conditions de la mort et envisager si, conformément à la proposition 21 du candidat Hollande, il faut ouvrir la voie à une"assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité". Il en ressort des propositions fortes esquissant "une solution à la française"au débat sur la fin de vie.
Le constat du professeur Sicard est sans appel : il faut "mieux faire droit aux attentes et espérances des citoyens à l'égard de la fin de vie". Prenant acte que la majorité des Français souhaitent être aidés médicalement pour mourir (56 % selon un sondage réalisé par la mission), il propose que la loi Leonetti soit appliquée non pas à la lettre mais dans son esprit et qu'une sédation terminale (administration d'opiacés entraînant le coma puis la mort) puisse être administrée par les médecins aux patients qui l'auraient demandé de façon réitérée. Sans le recommander explicitement, la mission Sicard ouvre par ailleurs la réflexion sur le suicide assisté, soit la possibilité laissée à un malade incurable d'absorber un produit létal: si la société devait adopter cette direction, ce serait à l'Etat d'en assumer la responsabilité, pointe le rapport. Enfin, la mission écarte l'euthanasie dite active, un geste médical radical, estimant qu'elle franchirait "la barrière d'un interdit".
L'extrême sensibilité du débat a conduit M. Hollande a réagir vite. A peine reçues les propositions de la mission, l'Elysée a annoncé, mardi matin, qu'il saisissait le Comité consultatif national d'éthique. Il attend son avis sur trois points : les directives anticipées écrites par les patients, que la mission veut voir améliorées ; les "conditions strictes pour permettre à un malade conscient et autonome, atteint d'une maladie grave et incurable, d'être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie" ; les conditions pour"rendre plus dignes les derniers moments d'un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d'une décision prise à la demande de la personne ou de sa famille ou par les soignants". Un projet de loi sera présenté au Parlement en juin 2013.
L'INÉGALITÉ DES FRANÇAIS FACE À LA PRISE EN CHARGE DE LA FIN DE VIE
Dans son rapport, le professeur Sicard porte un regard sévère sur une médecine sourde aux attentes des patients. "Chaque jour voit croître dans notre société une revendication très largement majoritaire (entre 80 % et 90 % selon les sondages d'opinion) de personnes répondant positivement à une demande de légalisation d'euthanasie, lit-on dans le rapport. Il ne s'agit pas de revendications simplistes ou naïves de personnes qui n'auraient pas compris la question. Il s'agit d'une demande profonde des personnes interrogées, de ne pas être soumises dans cette période d'extrême vulnérabilité de la fin de vie à une médecine sans âme." Des débats organisés dans plusieurs villes de France, la mission a ainsi retenu "le malaise, voire la colère" et surtout "la hantise [des Français] de basculer dans une situation de fin de vie insupportable, de souffrir ou de voir souffrir leurs proches".
Le constat est glaçant. La mission, composée de neuf membres (médecins, philosophe, juriste...), qui a mené près de 80 auditions, dénonce une inégalité des Français face à la prise en charge de la fin de vie, notamment dans l'accès aux soins palliatifs. Le monde soignant en prend pour son grade. Tout d'abord la médecine, qui privilégie la performance technique et peine à entendre que les malades puissent vouloir cesser de vivre. Puis les différentes structures (hôpital, maisons de retraite, hospitalisation à domicile) et institutions, très cloisonnées.
C'est l'hôpital, où meurt la majorité des Français, qui est particulièrement visé. Considérant la mort comme un échec, il l'a abandonnée aux soins palliatifs. Une séparation qui empêche la diffusion de la culture de la prise en charge de la douleur. En cause, aussi, les soins palliatifs eux-mêmes qui ne pourront "jamais résoudre la totalité des situations, même si ces structures devaient être en nombre plus important". Entre les lignes, on lit une critique sévère envers leurs défenseurs, qui ont laissé croire, dans un certain angélisme, qu'ils pouvaient à eux seuls régler la question des bonnes conditions de la fin de vie.
"LA POSSIBILITÉ D'UN GESTE ACCOMPLI PAR UN MÉDECIN, ACCÉLÉRANT LA SURVENUE DE SA MORT"
La mission s'en prend également fortement au "laisser mourir", l'interprétation actuelle que font les médecins de la loi Leonetti sur la fin de vie et qui permet de soulager la douleur d'un malade au risque de hâter sa mort mais sans intention de la donner. "Privilégier des sédations légères et courtes, dans l'intérêt du soignant qui ne veut pas se faire accuser d'euthanasie, peut être d'une grande cruauté pour la personne", assène le rapport. D'où la principale recommandation de la mission : lorsque la personne en fin de vie demande expressément à interrompre tout traitement susceptible de prolonger sa vie, il faut, après décision collégiale, "lui apporter la possibilité d'un geste accompli par un médecin, accélérant la survenue de sa mort", indique le rapport, sous la forme d'une sédation terminale.
La mission ne dit rien d'une éventuelle clause de conscience pour les médecins – vendredi 12 décembre, l'Académie de médecine a rappelé qu'"aucun médecin ne saurait consentir à donner la mort". La mission se place sur un autre plan, celui du respect des dernières volontés du malade. Elle ne préconise pas de légiférer à nouveau mais recommande une réflexion pour édicter de "bonnes pratiques" de l'exercice médical, et ainsi faire sortir les médecins d'une certaine"déresponsabilité""La mort, c'est le moment de la vie où l'autonomie de la personne devrait être la plus respectée", explique au Monde le professeur Sicard.
Mais la mission ne s'en tient pas là. Se tournant vers les expériences étrangères, notamment la Suisse ou l'Etat de l'Oregon, aux Etats-Unis, elle ouvre la voie au débat sur le suicide assisté, "qui serait réservé aux personnes atteintes d'une maladie évolutive et incurable au stade terminal, dont la perspective d'être obligée de vivre jusqu'au terme leur vie (...) peut apparaître comme insupportable". Si cette solution était adoptée, la mission préconise de ne pas en laisser la responsabilité aux associations militant pour le droit à mourir : elle estime que l'Etat et les médecins doivent s'impliquer dans la délivrance des médicaments et le suivi des malades.
Enfin, la mission rejette toute hypothèse d'euthanasie, comme elle se pratique en Belgique ou aux Pays-Bas, soit l'administration par un médecin et sur demande du malade d'un produit létal qui entraîne immédiatement la mort. Un geste radical qu'elle estime différent "d'une assistance au suicide où l'acte létal est accompli par la personne malade elle-même". La mission y voit le "danger de franchir la barrière d'un interdit".
Lors d'un débat public organisé à Lille, une femme avait exprimé au professeur Sicard sa reconnaissance d'avoir mené une telle réflexion sur la fin de vie. L'ancien président du comité d'éthique lui avait répondu : "Tous les jours, je remercie le président de la République de m'avoir confié cette tâche, et tous les jours je le maudis. C'est passionnant et si complexe..."

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