lundi 10 décembre 2012

"Il est plus facile de pirater un ordinateur qu'un cerveau"

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 
Le professeur Steven Laureys, neurologue et chercheur, dirige le Coma Science Group à Liège (Belgique). Les travaux de son équipe portent principalement sur l'étude de la conscience et de ses altérations.
Vous utilisez des interfaces cerveau-machine avec électroencéphalogramme (EEG) chez vos patients atteints de lésions cérébrales. Dans quelles indications ? Ces dispositifs, qui sont étudiés depuis longtemps par les neuroscientifiques, peuvent être utiles pour démontrer l'existence de signes de conscience chez certains individus et pour communiquer avec eux. C'est par exemple le cas lors de troubles moteurs majeurs comme le locked-in syndrome[pseudocoma par atteinte du tronc cérébral] ou la sclérose latérale amyotrophique évoluée, où les patients sont incapables de réaliser le moindre mouvement alors qu'ils ont toutes leurs facultés cognitives.
En fait, l'électroencéphalogramme est l'une des méthodes, parmi les moins invasives, qui nous aident à décoder l'activité neuronale. Celle-ci peut être alors enregistrée, analysée, puis traduite en une commande. Avec ces systèmes, qui permettent de court-circuiter leurs lésions cérébrales, des malades peuvent ainsi retrouver un moyen de communiquer avec les médecins et leurs proches ; ils peuvent aussi contrôler un appareil - ordinateur ou fauteuil par exemple - par la pensée.
Décoder l'activité neuronale par électroencéphalogramme pourrait-il permettre de voler les pensées de quelqu'un ? C'est un grand fantasme, mais il est plus facile de pirater un ordinateur qu'un cerveau.
Aujourd'hui, on ne peut pas prendre vos données cérébrales personnelles à votre insu. Certes, le décodage de l'activité neuronale à partir de l'analyse d'ondes cérébrales est possible en laboratoire, mais les interfaces cerveau-machine restent encore très complexes à mettre en oeuvre et nous demandent beaucoup de travail.
Il existe encore beaucoup de défis techniques et informatiques à résoudre. Cela explique d'ailleurs pourquoi ces systèmes sont encore peu utilisés au quotidien par ces patients. En pratique, il n'est pas évident de réduire une fonction cognitive (vigilance, mémoire...) à une région cérébrale ou à une onde spécifiques.
Il faut se rappeler que le cerveau est bien protégé à l'intérieur de la boîte crânienne, et qu'un signal obtenu par un électroencéphalogramme de surface correspond à l'activité de milliers de neurones. Pour enregistrer une activité plus fine, représentant seulement quelques cellules nerveuses, il faut implanter des microélectrodes à l'intérieur du cerveau, ce qui est beaucoup plus invasif.
Cela dit, vu la vitesse des progrès technologiques dans ce domaine, on ne sait pas de quels outils disposeront nos enfants, peut-être allons-nous vers l'implantation de micro-implants cérébraux ! On ne peut pas exclure l'hypothèse d'un piratage du cerveau, même si cette perspective semble encore bien lointaine.
Le principe d'interface cerveau-machine avec analyse des ondes cérébrales par électroencéphalogramme a été repris pour créer des jeux vidéo. Les casques EEG utilisés pour ces applications ludiques sont-ils aussi performants que ceux employés pour la recherche ? Il existe effectivement une série de jeux où l'objectif est de faire bouger un objet sur un écran, en fonction des ondes captées par un système d'électrodes de surface vendu dans le commerce. Mais si le principe reste sensiblement le même que celui des EEG effectués en médecine ou en recherche, la qualité du signal diffère. Contrairement aux casques EEG utilisés dans les hôpitaux, ceux destinés au grand public font appel à des électrodes sèches, sans gel, ce qui conduit à des signaux relativement plus pauvres.
De plus, leur nombre d'électrodes est beaucoup plus limité, d'où une perte possible d'informations. Enfin, il semble qu'une partie des données enregistrées par ces casques corresponde en fait à des activités musculaires et non cérébrales. Mais, là aussi, prédire l'avenir est un exercice difficile, tant les technologies progressent rapidement pour un coût de plus en plus modeste.

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