dimanche 11 novembre 2012

Petits « bavardages » entre e-patients...


Sur Internet, on peut tout commenter, critiquer et évaluer. Même les médecins. Plusieurs annuaires en ligne référencent les professionnels de santé, au même titre que les restaurants et les coiffeurs. Les internautes sont invités à laisser leur avis de façon anonyme, ce qui entraîne parfois quelques dérapages. Face à ces pratiques, la profession s'interroge. Les médecins, eux aussi doivent-ils être notés ? Et si oui, par qui ?

Vous vous demandez ce que vos patients pensent de vous ? Un petit tour sur Internet vous permettra peut-être d'obtenir une réponse. En effet, plusieurs sites proposent à leurs utilisateurs de noter les professionnels et de donner leur avis sur de nombreux commerces et services de proximité. C'est ce qu'on appelle la recommandation sociale. Jusqu'ici, les commentaires concernaient surtout la restauration et le tourisme. Mais les praticiens commencent eux aussi à être auscultés par leurs patients. En témoignent les avis d'internautes de plus en plus nombreux sur les différents annuaires de référencement.

« Excellent médecin tant par sa qualité d'écoute que par ses très bons diagnostics. Très disponible », peut-on ainsi lire sur le site justacote.com au sujet d'un médecin rennais. « C'est un médecin bienveillant, droit et à l'écoute, sérieux et professionnel sans être alarmiste », félicite une internaute sur Qype.fr, un site concurrent. Et si les avis sont majoritairement positifs, les critiques peu flatteuses ne manquent pas. « Très désagréable. Il me répond très mal et s’énerve. Je crois qu’il a un ego surdimensionné », peste une utilisatrice nantaise. On trouve aussi des remarques liées à la disponibilité des praticiens, le temps d'attente ou encore les tarifs pratiqués. « Médecin sans reproche particulier, si ce n'est qu'il est en honoraires libres, soit 40 € la consultation », note un patient parisien sur Google adresses, le service de recommandation sociale du géant de l'informatique.
Face à l'évaluation des internautes, tous les médecins ne réagissent pas de la même façon. Ainsi, Patrick Teboul, généraliste à Paris gratifié d'une dizaine de commentaires sur les différents sites considère que « c'est une très bonne chose, tant qu'il n'y a pas d'abus. Un médecin fait partie de la société moderne, il ne doit pas être enfermé dans une tour d'ivoire », estime-t-il. Il y voit même certains avantages : « Cela permet à des gens d'autres quartiers, qui n'ont pas l'occasion de passer devant ma plaque, de me connaître ».

Alors que ce praticien lit et répond aux critiques des internautes, d'autres ignorent royalement ces évaluations. C'est le cas du généraliste nantais qu'une utilisatrice qualifiait de « très désagréable ». Interrogé sur son ressenti, il n'a pas semblé s'en émouvoir. « Je n'ai pas Internet, donc je ne suis pas au courant de ce genre de choses. De toute façon je n'ai pas le temps de m'y intéresser. Et puis mes patients me font confiance, je n'ai pas vu l'affluence baisser à mon cabinet », assure-t-il.

L'acte médical, une prestation comme les autres ?

Mais, que les commentaires soient positifs ou négatifs, c'est souvent les qualités humaines des médecins qui sont discutées sur ces sites. Et c'est bien le caractère subjectif de ces avis que dénonce Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins en charge des questions relatives aux nouvelles technologies. Ce cardiologue constate que « les usagers considèrent l'acte médical comme une prestation comme les autres », ce qui les pousse à évaluer leur médecin comme s'ils jugeaient leur coiffeur. « On peut donner une appréciation sur la qualité de la nourriture et de l'accueil d'un restaurant. Mais il est difficile d'admettre de noter les médecins sur la qualité de leur accueil ou leur capacité d'écoute sans apprécier le critère principal : la qualité du diagnostic. Non pas que ce ne soit pas important, mais ça reste des éléments subjectifs, de nature commerciale et non pas de nature médicale », plaide-t-il.

Bien que tous les professionnels de santé ne voient pas la recommandation sociale d'un mauvais ?il, ils s'accordent pour dénoncer les dérives liées à l'anonymat. En cause, des commentaires particulièrement élogieux qui seraient, paraît-il, postés par certains praticiens pour attirer les patients et, à l'inverse, des attaques malveillantes pouvant porter atteinte à la réputation du médecin. Marc

Paris, porte-parole du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), confirme l'existence de telles pratiques mais minimise leur impact sur les patients. « Je ne pense pas que les usagers le prennent pour quelque chose de fiable. Ça reste un point de vue individuel à prendre en tant que tel. Je ne pense pas que les gens y accordent trop de crédit », estime-t-il.
D’autant que cette volonté des patients d'échanger de l'information sur leur médecin n'est pas nouvelle. « Avant, il y avait le bouche-à-oreille pour dénicher un bon médecin. Mais pour les générations connectées, c'est par internet que ça se passe », note Jacques Lucas. Un point de vue partagé par Marc Paris. « Ces sites de référencement n'ont fait que rendre plus visible une pratique qui existe depuis toujours. Mais si ça existe, c'est que ça remplit un vide. Les gens sont désemparés quand ils cherchent des informations sur les médecins », fait-il remarquer.

L’Ordre songe à un « GPS-Patient »

C'est en partant de ce constat que Denis Granger a créé entrepatients.net/fr. Un des objectifs de cette plate-forme, lancée en octobre, est de permettre aux patients d'accéder à une information de qualité sur les professionnels de santé sans tomber dans les travers des sites actuels. D'ici la fin de l'année, les médecins qui le souhaitent pourront être évalués sur le site selon des critères voulus objectifs. Ainsi les patients pourront noter la disponibilité de leur médecin, sa capacité d'écoute, l'accompagnement ou encore la propreté des infrastructures. Pour éviter toute dérive, les internautes devront certifier sur l'honneur être patient du praticien évalué et les commentaires ne seront pas autorisés.

Du côté du CNOM, l'heure est au réalisme. Jacques Lucas est bien conscient que la population est demandeuse d'informations de qualité sur les médecins. « Nous sommes opposés à ces pratiques mais ce n'est pas parce qu'on va faire un communiqué que les sites en question vont arrêter. D'autres prestations sont déjà évaluées par les citoyens, il vaut mieux que le corps médical s'y prépare, même si cela ne nous fait pas plaisir », prévient Jacques Lucas. Dans cette optique, il est rentré en contact avec la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) et le ministère de la Santé afin de mener « une action concertée avec le support de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) ». Le but est de « créer un GPS pour que le patient puisse s'orienter dans le système de santé. Donner des informations validées, fiables et loyales ». À terme donc, une évaluation des médecins, sur le modèle qui prévaut aujourd'hui pour les hôpitaux, pourrait donc voir le jour.
Cette démarche, si elle aboutit, viendra répondre aux attentes du CISS qui demande à ce que les patients puissent bénéficier d'une « information qualitative et validée par un organisme dont c'est le rôle ». Marc Paris ajoute même que de telles données seraient également « intéressantes pour les professionnels de santé qui pourraient ainsi améliorer leurs pratiques ». En attendant qu'un tel organisme voie le jour, n'hésitez pas à aller vérifier si l'on parle de vous sur la toile...
Dossier réalisé par Emmanuel Daniel

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