mercredi 21 novembre 2012


MISE AU POINT

Psychiatrie

L'ANXIÉTÉ EN MÉDECINE GÉNÉRALE


Le médecin généraliste est confronté à toute la gamme des manifestations de l'anxiété. Comment juger du caractère pathologique de l'anxiété ? Quelle prise en charge proposer ?


L'anxiété est normale lorsqu'elle joue un rôle adaptatif et permet au sujet de se préparer à répondre à des stimulis menaçants ou inhabituels. "Il s'agit d'une émotion physiologique, rappelle le Pr Boulenger, contre laquelle il est inutile de lutter et qu'il ne faut pas toujours vouloir supprimer". Son intensité et sa durée varient selon les situations, et "l'on parle d'anxiété pathologique dès lors que les symptômes sont trop fréquents, intenses ou inadaptés et qu'il existe un retentissement sur les activités du sujet, professionnelles, sociales, de loisir…". Entre l'anxiété normale et les troubles anxieux caractérisés tels que les définit le DSM-IV, il existe des formes intermédiaires, généralement classées dans les "troubles de l'adaptation avec anxiété". Sans oublier les manifestations anxieuses au cours des affections psychiatriques.
Dans la population générale française, les troubles anxieux les plus fréquents sont les phobies - prévalence sur un an et sur la vie entière de 4,7 % et 11,6 % pour la phobie spécifique, et de 1,7 % et 4,7 % pour la phobie sociale – et le trouble anxieux généralisé (TAG), avec pour ce dernier des chiffres de prévalence de 2,1 % sur un an et 6 % sur la vie entière (1). La fréquence est deux fois plus élevée chez la femme que chez l’homme. Certains facteurs de risque favorisent la survenue de l'anxiété pathologique (encadré 1).

L'ETAPE DIAGNOSTIQUE
"Afin de ne pas méconnaître un état anxieux, qu'il s'agisse ou non d'un trouble anxieux caractérisé, le généraliste peut repérer les sujets constamment inquiets, ceux qui consultent de façon répétée pour des troubles somatiques fonctionnels, ceux qui sont vulnérables aux changements ou qui supportent mal les émotions". Les patients dépressifs ont par ailleurs très souvent un trouble anxieux associé (encadré 3). La distinction entre les différentes entités, même si elles ont en commun de nombreux éléments sémiologiques, est utile au plan thérapeutique, qu'il s'agisse de l'aspect pharmacologique ou psychothérapique (2). Par exemple, un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine peut être proposé à un patient souffrant d'un trouble anxieux caractérisé, mais n'est pas indiqué en cas de trouble de l'adaptation avec anxiété.
A noter que l'échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression Scale), utile pour le dépistage d'un trouble anxieux ou d'un épisode dépressif majeur, ne permet pas de faire le diagnostic spécifique de tel ou tel trouble anxieux.

Les troubles de l'adaptation avec anxiété
-› Les troubles de l'adaptation avec anxiété, non classés parmi les troubles anxieux, constituent des formes de transition entre l'anxiété normale adaptative et les troubles anxieux caractérisés. La souffrance est importante par rapport à la nature de l’événement stressant et la symptomatologie assez intense pour retentir sur le fonctionnement du sujet, d'où son caractère pathologique, mais sans remplir les conditions requises pour correspondre à l'un des troubles anxieux classés dans le DSM IV. Le principe est le même pour les troubles de l'adaptation avec humeur dépressive, dans lesquels les symptômes de la lignée dépressive sont présents, mais dont l'intensité est insuffisante pour porter le diagnostic d'état dépressif majeur. Les troubles de l'adaptation s'intègrent dans le contexte plus large des pathologies "subsyndromiques".
-› Les troubles de l'adaptation ont pour autre caractéristique d'être réactionnels (dans les 3 mois) à la survenue d'événements stressants parfaitement identifiables : maladie ou hospitalisation, problèmes familiaux ou conjugaux, soucis professionnels… ; il peut s'agir aussi de périodes charnières de la vie (mariage, naissance, veuvage, retraite). L'existence d'un facteur déclenchant fait que l'on désigne parfois ce type d'anxiété par le terme d'anxiété réactionnelle. Quoi qu'il en soit, ces événements n'ont pas le caractère traumatique majeur (viol, agression, catastrophe naturelle, attentat, accident) retrouvé chez les personnes qui développent par la suite un état de stress post-traumatique (authentique trouble anxieux) (2). Certains événements considérés comme "neutres" (déménagement) peuvent induire un trouble de l’adaptation chez certains patients vulnérables. Pour une même situation, certains sujets développeront un trouble de l'adaptation, alors que le stress post-traumatique, lié à des traumatismes majeurs, dépend moins de caractéristiques individuelles.
-› Enfin, les troubles de l'adaptation sont transitoires, cessant après la disparition du facteur causal (dans les 6 mois).
-› Si un diagnostic de trouble anxieux a déjà été posé antérieurement, c'est ce diagnostic, et non celui de troubles de l'adaptation avec anxiété, qui doit être retenu.

Les troubles anxieux caractérisés
Les pathologies anxieuses avérées répertoriées par le DSM IV sont les phobies spécifiques, la phobie sociale, le trouble anxieux généralisé, le trouble panique avec ou sans agoraphobie, le trouble obsessionnel compulsif et l'état de stress post-traumatique. Les trois premiers sont les plus souvent rencontrés en médecine générale. A noter que le DSM V, à venir, n'apportera pas de modifications majeures dans la description des différents syndromes.
-› LE TROUBLE ANXIEUX GÉNÉRALISÉ (TAG) se définit par la persistance depuis plus de 6 mois d’une anxiété chronique avec soucis permanents, incontrôlables et envahissants, se rapportant à des situations banales (famille, travail, santé, situation financière…). Le patient reconnaît le caractère excessif de ses inquiétudes, sans pour autant pouvoir les contrôler. Les cognitions sont axées sur l'anticipation d'hypothétiques événements négatifs. Le sujet reste ainsi constamment en état d'alerte. Les symptômes somatiques associés sont des tensions musculaires rachidiennes, des céphalées, des tremblements, des troubles digestifs, une fatigue en lien avec l'hypervigilance, des troubles du sommeil. Le flou qui entoure la symptomatologie rend le TAG difficile à diagnostiquer.
Les symptômes s'installent sur la durée, et évoluent de façon fluctuante, avec alternance de phases aiguës et de phases de rémission.
Le TAG est par ailleurs fréquemment associé à un autre trouble anxieux, à d’autres affections psychiatriques ou à des addictions. L’existence d’un syndrome dépressif est à rechercher systématiquement (encadré 2).
-› LA PHOBIE SOCIALE se caractérise par une peur marquée et persistante d’une ou plusieurs situations sociales ou de performance au cours desquelles le patient craint d’être jugé négativement lorsqu’il se trouve face à des inconnus ou des personnes occupant une position d’autorité. L'exposition à la situation redoutée déclenche une réaction d'anxiété, et le sujet évite d'y être confronté, au point d'altérer tout son fonctionnement et ses relations avec autrui.
L'âge moyen d'apparition de cette pathologie très invalidante se situe entre 10 et 20 ans, avec un pic à l'adolescence, et persiste souvent à l'âge adulte (3). En l'absence de prise en charge, des complications telles qu'un épisode dépressif majeur ou des addictions peuvent apparaître, notamment l'alcoolisme. L'alcoolisation ponctuelle avant d'affronter une situation anxiogène est fréquente.
La timidité, la crainte de parler en public et le trac n’appartiennent pas au diagnostic de phobie sociale.
-› LES PHOBIES SPÉCIFIQUES se limitent à un stimulus précis : certains animaux, obscurité, vide ou endroit élevé, orages, espaces clos, voyage en avion, vue du sang… La présence du stimulus incriminé provoque une anxiété intense, mais il peut exister en l’absence du stimulus une anxiété anticipatrice ou des conduites d’évitement. Les phobies spécifiques restent généralement peu invalidantes.
-› L’ATTAQUE DE PANIQUE OU CRISE D’ANGOISSE AIGUË est un épisode limité dans le temps et se manifeste par un malaise intense, brutal, associant des symptômes somatiques et une anxiété majeure avec impression de catastrophe imminente. La répétition des épisodes finit par induire un trouble panique de nature chronique, au cours duquel le patient anticipe en permanence le renouvellement de l’attaque de panique ou évite les situations où ses crises pourraient avoir des effets qu’il juge catastrophiques (absence de secours, impossibilité de fuir, risque d’accident). On parle alors d’agoraphobie.
-› LE TROUBLE OBSESSIONNEL COMPULSIF (TOC) se caractérise par la survenue d'idées, pensées ou impulsions intrusives qui s’imposent au sujet. Elles sont très anxiogènes et insupportables pour le patient, l'amenant à développer des rituels (compulsions) afin de lutter contre elles.
-› L’ÉTAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE est secondaire à des événements traumatiques majeurs, le sujet revivant sans cesse le traumatisme et cherchant à éviter les situations qui pourraient le lui rappeler.

COMMENT TRAITER L'ANXIETE ?
"Dans tous les cas, les informations prodiguées par le médecin sur la nature de l'anxiété, sur le caractère habituel de certaines manifestations physiques au cours des épisodes aigus et l'absence de maladie somatique grave, sur les traitements, sont de nature à rassurer le patient et permettent de réduire l'inconfort lié au sentiment éprouvant de ne pas maîtriser ses émotions".
L'adaptation du mode de vie est recommandée (4) : réduction de la consommation de café, d’alcool et de tabac, bon équilibre alimentaire, pratique régulière d'une activité physique, réorganisation du sommeil.

Les psychothérapies
-› Plusieurs approches psychothérapiques structurées peuvent être proposées en cas d'anxiété, au premier rang desquelles se placent les thérapies cognitivo-comportementales (TCC). Celles-ci consistent à aborder les problèmes en se basant sur l’analyse des mécanismes d’acquisition et de maintien des comportements anormaux, afin d'apprendre à les contrôler et à les modifier. Les TCC sont limitées dans le temps, avec un maximum de 25 séances environ et possibilité de rappels (5). Plusieurs techniques peuvent être utilisées : restructuration cognitive, relaxation, exposition aux situations anxiogènes, jeux de rôle.
D'autres psychothérapies sont centrées sur l’individu et ses conflits psychiques : psychothérapie d’inspiration analytique, psychanalyse. Elles sont utilisées soit sur demande du patient, soit en raison de troubles de la personnalité.
Dans son guide Affection de longue durée sur la prise en charge des troubles anxieux graves (4), la HAS mentionne également la thérapie "self help", ou gestion de l’anxiété par soi-même. Celle-ci consiste pour le patient à réaliser lui-même des exercices (relaxation, contrôle respiratoire, gestion émotionnelle, exposition et affirmation de soi) en se basant sur un ouvrage pratique conçu comme un guide d'autothérapie (bibliothérapie). Pour autant, il s'agit bien d'une forme structurée de psychothérapie, et le contact avec le thérapeute reste indispensable.
Toutes ces psychothérapies structurées sont parfois difficilement réalisables en raison du manque de thérapeutes ou de la réticence des patients.
-› En médecine générale, sauf formation spécifique, le médecin est plutôt amené à proposer une thérapie de soutien ou d'accompagnement.

Les médicaments
-› Les benzodiazépines restent le traitement de référence en cas d'anxiété aiguë et subaiguë. Mais comme l'indique l'Afssaps dès 2001 (6), elles ne constituent pas le traitement de fond d'un trouble anxieux. L'arrêt et la diminution progressive des doses doivent être envisagés avec le patient dès la première prescription, et en raison du risque de dépendance, physique et psychique, la durée de traitement maximale préconisée est de 12 semaines, sevrage progressif inclus (4).
-› D'autres anxiolytiques tels que l'hydroxyzine, l'étifoxine, la buspirone, sont utilisables pour traiter les symptômes anxieux. À prescrire toujours pour des périodes courtes. À noter que la buspirone a aussi l'AMM pour l'anxiété généralisée, pour les troubles de l'adaptation avec anxiété et pour l'anxiété post-traumatique.
-› Certains antidépresseurs, de la classe des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et de celle des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA) sont recommandés dans le traitement de fond des troubles anxieux caractérisés et sont les molécules de première intention (4). Leurs AMM varient selon le trouble anxieux considéré (tableau 1), "mais globalement, il existe un effet classe de ces antidépresseurs sur les troubles anxieux". En revanche, comme le rappelle l'Afssaps (7), des symptômes anxieux isolés ou ne correspondant pas à un trouble anxieux caractérisé ne sont pas une indication à un traitement antidépresseur. "Le délai d'action des ISRS et des IRSNA sur les troubles anxieux est sensiblement le même qu'en cas de dépression, et leur effet est progressif. La posologie et la durée de traitement se rapprochent également de celle de la dépression, soit environ 6 mois, avec diminution progressive des doses. Pour l'heure, il n'y a pas d'arguments pour maintenir au long cours un traitement par ISRS ou IRSNA dans ces indications. Lors de l'arrêt du traitement, il faut bien distinguer une éventuelle réapparition du trouble anxieux de l'anxiété propre au syndrome de sevrage. Celle-ci peut en effet se manifester même lorsque la réduction posologique est progressive".
Parmi les imipraminiques, seule la clomipramine dispose d'une AMM, dans le trouble panique et le TOC. En raison de leur moins bonne tolérance, les imipraminiques sont réservés aux pathologies résistantes.
-› La prégabaline, médicament antiépileptique, est indiquée également dans le TAG (150 à 600 mg/j).

Dr Pascale Naudin-Rousselle (rédactrice, fmc@legeneraliste.fr) sous la responsabilité scientifique du Pr Jean-Philippe Boulenger (Service de Psychiatrie Adulte, Hôpital La Colombière, 39 avenue Charles Flahault, 34295 Montpellier ; courriel : jp-boulenger@chu-montpellier.fr

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