dimanche 25 novembre 2012

Les vertiges de l'imagerie du cerveau

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 

En médecine comme ailleurs, il faut parfois une patience d'ange et une obstination sans faille pour faire reconnaître ses idées et ses découvertes, aussi brillantes soient-elles. Denis Le Bihan, médecin et physicien, a dû ainsi batailler pendant plus de dix ans pour faire accepter et connaître son invention, l'IRM de diffusion, qui a propulsé les examens de neuroimagerie dans une nouvelle dimension.
Dès 1985, raconte le chercheur dans son ouvrage Le Cerveau de cristal, il présente les toutes premières images de "diffusion de l'eau dans le cerveau humain" à des congrès internationaux. Mais l'accueil de la communauté scientifique a été plutôt réservé. Certains restaient sceptiques, "niant la possibilité que des images IRM puissent être réellement sensibles à des déplacements moléculaires microscopiques", se souvient le docteur Le Bihan, aujourd'hui directeur de NeuroSpin, plate-forme du Commissariat à l'énergie atomique consacrée à l'étude du cerveau par IRM à très haut champ magnétique.
"D'autres, poursuit-il, trouvaient la méthode trop complexe [...], si bien que, pour me taquiner, certains d'entre eux n'hésitèrent pas à arborer des tee-shirts où était imprimé, sur le devant : "Diffusion, perfusion..." et derrière : "... Confusion"." Mais son "insistance de Breton têtu" a fini par payer. "L'IRM de diffusion est devenue une méthode incontournable en radiologie et figure sur quasiment tous les scanners IRM installés dans le monde. Google Scholar, le Google des chercheurs, cite 320 000 références sur le sujet", souligne-t-il.
"NEUROARCHÉOLOGIE"
Elle permet notamment de visualiser très précocement une ischémie cérébrale lors d'un accident vasculaire cérébral. Surtout, en mettant pour la première fois en images le câblage cérébral, jusque-là inaccessible, elle a ouvert une voie de recherche inédite dans des maladies neuropsychiatriques comme la schizophrénie. Deux vastes programmes de recherche sont d'ailleurs en cours aux Etats-Unis et en Europe, souligne l'auteur du Cerveau de cristal, pour réaliser des atlas des connexions cérébrales ou connectome.
L'IRM de diffusion est aussi utilisée pour évaluer la maturation cérébrale chez les bébés, et même "pour faire de la "neuroarchéologie", fouiller notre cerveau afin de retrouver comment il a évolué au cours de notre vie". On peut ainsi, raconte le chercheur, reconstituer les traces d'apprentissage de pianistes professionnels, l'organisation des fibres de la substance blanche dans des structures comme le corps calleux étant directement liée au nombre d'heures de pratique de l'instrument avant l'âge de onze ans.
LE TRAITEMENT DE LA DÉPRESSION
Spécialiste mondial indiscutable des IRM cérébrales, Denis Le Bihan distille avec passion les applications, présentes et à venir, de ces examens. Et certaines sont saisissantes, comme la "reprogrammation cérébrale en temps réel", qui fait de l'IRM une possible thérapeutique.
Grâce à un entraînement en imageur IRM, des patients avec des douleurs chroniques, en échec thérapeutique, ont pu apprendre à contrôler le ressenti de leur douleur, en modulant l'activité d'une zone précise de leur cerveau, explique le chercheur. Une étude similaire a été conduite avec des dépressifs. "Là encore, écrit-il, le résultat fut remarquable, certains patients sortant complètement de leur dépression après l'examen IRM, et ne prenant plus aucune médication."
Riche en iconographie et en anecdotes, Le Cerveau de cristal est - en tout cas par moments - facile à lire et captivant, mais hélas pas toujours limpide. Les passionnés du cerveau rétifs à la physique regretteront la (trop) grande part accordée aux explications techniques et scientifiques, surtout dans la première partie de l'ouvrage, qui peut décourager la lecture.
Le Cerveau de cristal. Ce que nous révèle la neuroimagerie, de Denis Le Bihan (Odile Jacob,220 p., 25,90 €)

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