dimanche 4 novembre 2012

Les SDF ou le tragique de répétition

LE MONDE | 
Cet homme est, décidément, un formidable révélateur : à lui tout seul, Louis Gallois pointe du doigt quelques-unes des impuissances et des pusillanimités françaises les plus criantes – et les plus déprimantes.
Ainsi, plus personne ne peut ignorer que l'ancien patron de la SNCF et d'EADS remettra au gouvernement, le 5 novembre, son rapport sur l'érosion de la compétitivité des entreprises nationales. Le remède de cheval qu'il s'apprête à recommander pour soigner ce mal français défraye en effet la chronique depuis une dizaine de jours, plusieurs ministres et jusqu'au chef de l'Etat s'étant chargés de désamorcer, par avance, le choc de ses propositions.
Mais M. Gallois a une autre corde à son arc : président de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociales, il sera l'un des acteurs-clefs de la conférence nationale de lutte contre l'exclusion organisée par le gouvernement les 10 et 11 décembre.
A ce titre, il vient de lancer un autre pavé dans la mare. A la veille de l'hiver et alors qu'un sans-abri est mort, de froid autant que de misère, dans une rue de Paris ce week-end, il dresse un diagnostic sévère, dans un entretien à La Croix : "Les besoins vont bien au-delà" des 15 000 places d'hébergement d'urgence et de logement adapté que le gouvernement prévoit de créer en cinq ans. "Il y a en outre un problème budgétaire" : les crédits annoncés pour 2013 étant équivalents aux crédits consommés en 2011, ces nouvelles places d'hébergement "ne sont donc pas financées".
Il aura fallu dix ans pour que les Français prennent conscience du déclin de leurs industries. Rien de tel pour le lancinant problème des SDF (sans-domicile-fixe) et du mal-logement en France.
Sans remonter au dramatique appel de l'abbé Pierre en 1954, les cris d'alarme n'ont pas manqué. L'on n'a pas oublié le "zéro SDF" promis par Lionel Jospin lors de sa campagne présidentielle de 2002. Pas davantage les propos impeccables du candidat Nicolas Sarkozy, en décembre 2006, à Charleville-Mézières : "Je veux que, d'ici à deux ans, plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir et d'y mourir de froid. Parce que le droit à l'hébergement est une obligation humaine. Si on n'est plus choqué quand quelqu'un n'a pas de toit et qu'il est obligé de dormir dehors, c'est tout l'équilibre de la société qui s'en trouvera remis en cause."
En janvier 2008, encore, François Fillon en faisait un "chantier prioritaire". C'était après l'installation spectaculaire de tentes le long du canal Saint-Martin par Les Enfants de Don Quichotte, après une conférence de consensus réunissant toutes les associations de solidarité, après le rapport du député (UMP) Etienne Pinte, unanimement salué.
Cinq ans plus tard, les mêmes mots et les mêmes engagements solennels reviennent en boucle, dans une sorte de "tragique de répétition", selon l'expression amère mais tellement juste de Martin Hirsch, quand il était haut-commissaire aux solidarités.
Pis, cinq ans plus tard, l'on compte toujours davantage de sans-domicile-fixe, condamnés à la rue ou, au mieux, à ces abris de fortune, cabanes et bidonvilles qui s'accrochent où ils peuvent à la lisière des grandes villes. Ils étaient 86 000 en 2001, selon l'Insee. En 2011, un rapport de la Cour des comptes estimait leur nombre "proche de 150 000". Et pour des centaines de milliers d'autres, Français ou immigrés, pauvres ou surendettés qui survivent dans les zones grises du mal-logement (campings, squats, caves–), la "rue" reste une hantise permanente.
Non pas que rien n'ait été fait. Au contraire. Entre 2004 et 2010, les capacités d'accueil en centres d'hébergement d'urgence, en centres d'hébergement et de réinsertion sociale, en maisons-relais ou en places d'hôtel sont passées de 51 000 à 83 000, selon la Cour des comptes. Et les crédits correspondant ont atteint 1 130 millions d'euros en 2010, contre 750 millions cinq ans plus tôt.
Mais la crise est passée par là, transformant l'hébergement des sans-abri en une course-poursuite sans fin entre les efforts réalisés et les besoins grandissants. Crise économique évidemment, avec la précarité croissante qu'elle entraîne pour beaucoup. Mais aussi crise endémique du logement social, toujours aussi insuffisant, et qui se solde bien souvent par des années d'attente pour les demandeurs, même pour ceux qui devraient bénéficier de la loi sur le droit au logement opposable (DALO), votée en mars 2007 et dont la mise en œuvre est si laborieuse qu'elle n'a, en rien ou presque, réglé le problème.
Le résultat est, hélas, prévisible. Dès la fin de cet été, le système de l'hébergement était, une nouvelle fois, au bord de l'asphyxie. Une enquête de la Fnars réalisée dans 37 départements montrait que le 115, le numéro d'urgence des sans-abri, avait dû rejeter 70 % des demandes au mois de juillet. Et le Samu social de Paris assure qu'il ne trouve pas de solutions pour répondre à 400 des 1 200 appels qu'il reçoit chaque jour.
Le 20 septembre, la ministre du logement, Cécile Duflot, annonçait une rallonge budgétaire de 50 millions d'euros. Le 17 octobre, le premier ministre adressait une circulaire aux préfets, leur rappelant que"l'accès à un logement ou un hébergement est un droit dont nul ne doit être exclu" et leur demandant de préparer la pérennisation, pour le printemps 2013, des dispositifs d'accueil spécifiques à la période hivernale. Promesse entendue depuis des années et restée, jusqu'à présent, lettre morte.
Comme celle, faite par Mme Duflot, le 27 octobre – quatre jours avant la trêve des expulsions locatives –, de recourir "si nécessaire" à la réquisition de logements ou de locaux vacants pour accueillir des sans-abri. Instituée par une ordonnance de 1945 et complétée par une loi de 1998, cette procédure n'a plus été utilisée depuis 1995 mais elle a été évoquée par la plupart des prédécesseurs de Mme Duflot. Sans suite.
Quand on estime la pénurie à 800 000 logements et que l'on compte, selon l'Insee, 2,3 millions de logements vacants dans le pays, on peut légitimement conclure qu'il y a quelque chose de détraqué au royaume de France. Simpliste ! rétorqueront experts et bons esprits. En attendant, ce qui saute aux yeux, c'est une honte nationale à laquelle on ne saurait se résoudre.
courtois@lemonde.fr

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