mardi 27 novembre 2012

Harcèlement au travail : « J’ai pensé au suicide »

Salariés, fonctionnaires ou même patrons, ils ont connu le harcèlement au travail et reviennent sur ce long « cauchemar ».


Quand on vous répète à longueur de journée que vous êtes une merde, vous finissez par le croire. » Quand Sylvie*, évoque son quotidien professionnel les mots sortent douloureusement : « Ce genre d’histoire, ça peut détruire une vie. J’ai fait un début de dépression. Je pleurais devant les enfants. J’avais envie de me tirer une balle », raconte cette trentenaire occupée à constituer avec son avocat un dossier de plainte pour harcèlement. Sylvie n’est pas salariée, elle gère une boutique franchisée mais décrit le cauchemar que semble lui faire vivre la propriétaire de son magasin : « Je travaillais plus de cent heures par semaine, je ne tenais plus et quand j’ai voulu prendre quelques jours, c’est devenu terrible. On m’a dit de démissionner puisque je n’étais pas capable d’assumer mon travail. » La jeune femme parle de la pression constante, des insultes, des larmes… Elle évoque aussi ces « griffes » dont elle se sent encore prisonnière. Aujourd’hui, Sylvie va mieux, elle a décidé de se battre et rassemble scrupuleusement mails et documents pouvant démontrer le harcèlement dont elle a été victime.

Christiane, fonctionnaire de police a aussi vécu cette épreuve pendant 5 longues années. C’était avant 2002, avant la loi sur le harcèlement moral. Elle se souvient d’un chef qui l’a prise en grippe et décrit sa « mise au placard », les faux rapports transmis à la hiérarchie, les missions retirées, l’avancement bloqué, le dénigrement : « J’ai vraiment pensé au suicide, chaque soir quand je rentrais en voiture, je voulais me jeter sous les roues d’un camion. » Grâce au soutient d’un délégué syndical, la police des polices s’est finalement mêlée de l’affaire et le supérieur de Christiane est parti à la retraite un peu plus tôt que prévu. Mais, 10 ans après, le souvenir de cette époque reste encore douloureux.
Sébastien a, lui, souffert de harcèlement lorsqu’il travaillait dans un supermarché. Après un accident du travail, il constate : « J’ai eu des tâches que je ne faisais pas avant », mais aussi le double de travail, ou la pression insupportable de son responsable qui tente de le pousser à la démission. Sébastien a perdu beaucoup de poids et a commencé une dépression. En y repensant lui aussi parle de « cauchemar. »

Peu de dossiers devant les tribunaux

Ces témoignages de harcèlement ne sont que quelques exemples du mal-être et de l’emprise perverse qui peuvent naître en milieu professionnel. Hier à La Chapelle-de-Guinchay, une conférence destinée aux professionnels abordait ce thème du harcèlement moral, mais aussi celui du harcèlement sexuel (lire ci contre.) Parmi les intervenants Aline Saenz-Cobo, vice-procureure au tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône a constaté : « En pratique, nous voyons peu de plaintes pour harcèlement et encore moins de condamnations. »
La loi de 2002 sur le harcèlement moral et la toute nouvelle loi de 2012 sur le harcèlement sexuel prévoient pourtant toutes les deux des peines pouvant aller jusqu’à 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende. La magistrate soulève plusieurs hypothèses pour tenter d’expliquer pourquoi les faits de harcèlements passent si rarement la porte des tribunaux : « Certains dossiers passent plutôt par la voie prud’homale, mais on peut aussi y voir une peur. Peur de l’après-procés, peur d’être considéré par les autres employeurs comme un ‘‘empêcheur de tourner en rond’’ qu’il ne vaut mieux pas embaucher », Aline Saenz-Cobo note aussi que, dans les dossiers de harcèlement, les affaires sont souvent « longues et douloureuses. » Il est en effet difficile de réunir suffisamment de preuves pour constituer le délit. « Il est rarissime qu’un auteur soit condamné à de la prison ferme », indique la magistrate. Hier une des intervenantes rappelait : « Les employeurs ont une obligation de prévention et c’est dans leur intérêt. Le harcèlement coûte cher en baisse de productivité ou en arrêts maladies ».
* Prénom d’emprun

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