dimanche 7 octobre 2012

Trisomie 21 : vers la fin de l'amniocentèse

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 
Aux Etats-Unis, où leur commercialisation a démarré à l'automne 2011, ils s'appellent MaterniT21 ou Harmony Prenatal Test. En Suisse, Allemagne et Autriche, ils sont disponibles depuis quelques semaines sous le nom de PrenaTest. En France, où deux protocoles d'études sont en cours, il va encore falloir patienter. Mais certaines femmes enceintes n'hésitent pas à faire le déplacement chez nos voisins européens et à dépenser environ 1 200 euros pour en bénéficier.
L'avènement de nouveaux tests de dépistage prénatal de la trisomie 21, par analyse d'ADN foetal dans le sang maternel, fait couler beaucoup d'encre. Pour la plupart des professionnels de santé, qui mettent en avant les perspectives de diminution du recours aux amniocentèses et donc la baisse des fausses couches liées à ces examens, ces techniques sont un progrès. Mais elles suscitent les critiques d'organisations, comme la Fondation Jérôme-Lejeune, qui pointent des risques de dérives eugénistes. Le tout dans un contexte concurrentiel féroce entre les sociétés de biotechnologie qui ont investi ce secteur potentiellement très lucratif.
Propriétaire d'une licence exclusive, la firme américaine Sequenom est en procès avec tous ses concurrents américains. LifeCodexx a obtenu son autorisation pour une exploitation dans certains pays européens.
Actuellement, en France, le dépistage de la trisomie 21 est proposé systématiquement aux femmes enceintes, et il est accepté par 80 % d'entre elles. Depuis début 2010, ses modalités ont évolué. Effectué au premier trimestre de la grossesse, il fait appel à une échographie et au dosage, le même jour, de deux marqueurs sanguins. En fonction du résultat de ces examens et de l'âge maternel, un logiciel évalue la probabilité d'anomalie chromosomique. Au-delà d'un risque supérieur à 1/250, une analyse des chromosomes foetaux (caryotype) est proposée, pour confirmer ou infirmer le diagnostic.
Le prélèvement se fait soit par une biopsie de trophoblaste - futur placenta - au premier trimestre de la grossesse, soit par une amniocentèse au deuxième trimestre. En 2010, 55 568 prélèvements pour caryotype foetal ont ainsi été pratiqués en France, selon le dernier bilan des laboratoires de cytogénétique prénatale. Un diagnostic de trisomie 21 a été porté dans 1 934 cas (3,48 %) - conduisant alors souvent à une interruption médicale de grossesse -, et plus de 96 % des femmes ont été rassurées. Mais le risque de fausse couche (0,5 à 1 % des amniocentèses) conduit tout de même chaque année à plusieurs centaines de décès de foetus, de 280 à 560 selon les estimations pour 2010.
Les nouveaux tests, fondés sur l'examen de l'ADN du foetus circulant dans le sang maternel par des séquenceurs à haut débit, devraient permettre d'éviter la majorité de ces examens invasifs. Jusqu'à présent, ils n'ont été évalués que chez des femmes à haut risque de trisomie, mais leurs excellentes performances lors des études cliniques ont déjà conduit à leur commercialisation dans plusieurs pays. Ils sont proposés comme alternative à l'amniocentèse, chez des femmes avec un risque élevé de trisomie lors du dépistage.
Le professeur Yves Ville (chef du service de gynéco-obstétrique de l'hôpital Necker, Paris) a été le premier en France à se lancer dans une évaluation clinique, en collaboration avec le laboratoire du Génoscope. "Nous avons déjà analysé 350 prélèvements, dont 35 avec une trisomie 21, et il n'y a eu aucune erreur, ni dans un sens ni dans l'autre", indique ce spécialiste, fervent partisan d'une mise à disposition rapide de cette méthode non invasive pour les femmes à risque. Il précise être conseiller clinique pour la firme américaine Sequenom et dit avoir commencé à prendre contact avec les autorités sanitaires françaises.
Un autre protocole est en cours, conduit par le biologiste Jean-Marc Costa, directeur adjoint du laboratoire Cerba, et le professeur Alexandra Benachi, chef du service de l'hôpital Antoine-Béclère (Clamart). Le positionnement est un peu différent puisque Cerba est un laboratoire d'analyses médicales spécialisées et non de recherche."Passer d'un test de recherche à un test de routine, c'est changer de monde. Il faut d'abord une validation analytique, puis une étude clinique et enfin une autorisation par l'Agence régionale de santé", précise le docteur Costa, qui fut pionnier dans le développement des analyses d'ADN foetal dans le sang maternel pour la détermination du sexe et du rhésus sanguin.
Reste à savoir dans quels délais ces nouveaux tests obtiendront les autorisations nécessaires, et selon quelles modalités (stratégie, prise en charge par l'assurance-maladie). Le Comité national d'éthique a par ailleurs été saisi sur le sujet. "Il faudrait pouvoir en disposer assez vite, pour éviter que des patientes aillent le faire pratiquer à l'etranger, comme c'est souvent le cas actuellement pour les dons d'ovocyte, estime le docteur François Jacquemard (Paris). Il n'est éthiquement pas possible d'interdire à des femmes d'aller le faire ailleurs dès lors que cela permet d'éviter de prendre le risque d'un prélèvement foetal."
Ce spécialiste insiste toutefois sur le fait qu'il s'agit d'un "test de dépistage de haut niveau, à réserver aux femmes à risque, mais pas d'un examen de diagnostic ". Autrement dit, si le test ADN sanguin est positif - en faveur d'une trisomie -, le diagnostic doit, en tout cas pour l'instant, être contrôlé par un caryotype. En revanche, un résultat négatif permet de minorer de manière très importante le risque, et donc d'éviter la réalisation d'un prélèvement foetal.
Le professeur Alexandra Benachi est sur la même ligne. "Dans un deuxième temps, ces tests sanguins seront peut-être proposés en première intention pour le dépistage, tout en maintenant une échographie qui reste un examen indispensable", ajoute-t-elle. Comme ses confrères, elle insiste en tout cas sur la nécessité de bien informer les femmes.
La question du diagnostic prénatal par analyse d'ADN foetal dans le sang maternel dépasse largement le cadre de la trisomie 21. Dans un avenir proche, bien d'autres maladies génétiques pourront être ainsi recherchées. Il est même désormais possible d'obtenir le génome complet d'un foetus. "Avec le séquençage à haut débit, il faut savoir ce que l'on cherche, sinon on est déconnecté d'un projet médical, met en garde le professeur Dominique Bonneau, généticien au CHU d'Angers.La question, c'est où placer la barre, et que faire des données générées. Si on trouve par exemple une mutation dans un gène de forte prédisposition au cancer du sein chez un foetus, faudra-t-il avertir les parents ?"

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