mardi 16 octobre 2012

Légalisation ou dépénalisation du cannabis, une arlésienne politique

Le Monde.fr | 
Manifestation pour la légalisation du cannabis en mai 2011 à Paris.
Manifestation pour la légalisation du cannabis en mai 2011 à Paris. | AFP/JACQUES DEMARTHON

Olivier Besancenot, Lionel Jospin ou Noël Mamère en 2002, Nicolas Sarkozy en 2007, Daniel Vaillant et Jean-Michel Baylet en 2011, Cécile Duflot et désormais Vincent Peillon qui, sur France Inter, dimanche 14 octobre, s'est prononcé pour une dépénalisation du cannabis à titre personnel, s'attirant les foudres de Matignon. Le point commun de tous ces responsables politiques ? Tous ont relancé le débat sur le cannabis, un sujet qui prend la forme d'une arlésienne politique... sans que rien n'évolue.
  • Que dit la loi ?
La loi du 31 décembre 1970 "relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et la répression du trafic et de l'usage illicite de substances vénéneuses" classe l'usage de produits stupéfiants, dont fait partie le cannabis, dans les délits, stade intermédiaire jugé en tribunal correctionnel, entre la contravention (qui concerne le tribunal de police) et le crime (la cour d'assises).
La loi prévoit des peines maximales d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende pour tout usage de produits stupéfiants. Depuis mars 2007, cette peine peut être assortie d'un stage de sensibilisation aux dangers de la drogue. Les peines s'alourdissent quand il s'agit de détention de stupéfiants ou de trafic de drogue (voir la liste sur le site du ministère de l'intérieur).
Ce texte est régulièrement critiqué pour les sanctions"disproportionnées" qu'il propose. Les peines maximales sont rarement appliquées et une certaine tolérance s'applique aux consommateurs.
Réponse judiciaire aux usages de stupéfiantes (baseÎle-de-France)Affaires classéessans suiteAvertissements ourappels à la loiAutres alternativesaux poursuitesInjonctionsthérapeutiquesOrdonnancepénaleAutres poursuites(travaux d'intérêtgénéral, amende...8.5%19.5%10.5%7.1%52.8%
  • Dépénalisation ou légalisation ?
Les critiques de la loi de 1970 se répartissent en deux camps : d'un côté, les partisans de la dépénalisation, de l'autre, ceux souhaitant aller plus loin, jusqu'à la légalisation.
Avec la dépénalisation, l'usage de la drogue ne fait plus partie des délits et n'est donc plus puni pénalement. La culture et le commerce restent interdits mais la consommation est soit autorisée, soit sanctionnée d'une contravention (la "contraventionnalisation").
Avec la légalisation, le cannabis deviendrait une substance légale, à l'image du tabac. Il pourrait donc être vendu en commerces, en bureaux de tabac ou bien uniquement en pharmacie, comme certains le proposent.
UNE ARLÉSIENNE POLITIQUE
  • Entre 1997 et 2002, le gouvernement Jospin divisé
La question revient régulièrement dans le débat politique, et notamment à gauche. Entre 1997 et 2002, le gouvernement de la "gauche plurielle" mené par Lionel Jospin s'est divisé à plusieurs reprises sur le sujet. Deux de ses ministres, l'écologiste Dominique Voynet (environnement et aménagement du territoire) puis Bernard Kouchner (santé), appellent à "ouvrir le débat". Leur appel ne sera pas suivi.
Mais Lionel Jospin lui-même relance le débat lors de la campagne présidentielle de 2002. Bien que se prononçant contre la dépénalisation, le premier ministre estime alors que "fumer du cannabis est certainement moins dangereux que boire de l'alcool avant de conduire". Le cannabis devient un thème de la campagne, Noël Mamère, candidat des Verts, Olivier Besancenot, candidat du NPA, se prononçant pour une "légalisation" du cannabis.
  • 2003 : le gouvernement Raffarin renonce à contraventionnaliser l'usage
Si la droite s'est toujours prononcée contre une dépénalisation et, encore plus, contre une légalisation, le gouvernement dirigé par Jean-Pierre Raffarin envisage en 2003 de contraventionnaliser l'usage du cannabis. Cette mesure est alors prônée par Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur. Concrètement, la consommation de cannabis serait punie, dans les textes, d'une amende et non plus d'une peine d'emprisonnement, comme le prévoit la loi de 1970 sur les stupéfiants– une peine rarement appliquée.
La proposition se heurte à l'opposition de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), dont le président affirme que la contraventionnalisation pourrait "être interprétée comme le signal d'une faible dangerosité des stupéfiants".
Le gouvernement recule finalement et renonce à modifier la loi de 1970, se contentant de faire passer dans les tribunaux des "instructions générales de politique pénale" avec comme objectif d'appliquer des"sanctions plus visibles, plus rapides et plus systématiques" et d'insister sur "la prévention et le traitement de la récidive"selon Didier Jayle.
  • 2007 : Sarkozy avance de nouveau la contraventionnalisation
Alors en pleine campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy critique la loi de 1970, qu'il juge "répressive", "ridicule" et n'ayant "aucun sens". Le candidat de l'UMP, invité de la radio Skyrock, ressort sa proposition de 2003 : "Je propose la contraventionnalisation et le fait que chacun qui se retrouve dans cette situation puisse être soutenu et aidé pour s'en sortir." 



(Voir la vidéo du Huffington Post, à 45 secondes)
Cette sortie relance le débat : Ségolène Royal promet "un grand débat public", François Bayrou affirme : "je ne suis pas fermé à la réflexion, mais je crois que la légalisation augmenterait la consommation".Conformément à la position historique des Verts, l'ancienne ministre écologiste Dominique Voynet se prononce, elle, "en faveur d'une dépénalisation de l'usage de toutes les drogues et la légalisation du cannabis".
  • Juin 2011 : Daniel Vaillant appelle à une "légalisation sous contrôle"
Le député PS et ex-ministre de l'intérieur (2000-2002), Daniel Vaillant, à Paris, le 19 mai 2011.

Dans un rapport présenté au groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Daniel Vaillant, député de Paris et ancien ministre de l'intérieur, appelle à une "légalisation contrôlée" par l'Etat. "Le vrai laxisme, c'est le statu quo", affirme-t-il.
Le rapport (disponible ici en PDF) préconise notamment de mettre en place une véritable filière nationale du cannabis, avec la culture de 53 000 hectares et une distribution sous licence dans de simples débits ou des "cannabistrots", équipés d'un fumoir. La légalisation ne remettrait pas en question l'interdiction de conduire sous l'emprise du cannabis, dont l'usage thérapeutique serait reconnu.
La proposition du député et maire du 18e arrondissement de Paris fait écho à la position de plusieurs élus locaux, comme le centriste Jean-Christophe Lagarde, maire de Drancy (Seine-Saint-Denis), ou l'écologiste Stéphane Gatignon qui, deux mois plus tôt, avait prôné la légalisation du cannabis. Dans son ouvrage Pour en finir avec les dealers, co-écrit avec un ancien policier de terrain, le maire de Sevran (Seine-Saint-Denis) en arrivait à cette conclusion après une démonstration argumentée.
Mais le rapport Vaillant rencontre l'hostilité du gouvernement Fillon et de certains socialistes, comme Manuel Valls, actuel ministre de l'intérieur. François Hollande se prononce alors pour une dépénalisation accompagnée d'une "réflexion à l'échelle européenne". L'actuel chef de l'Etat durcira sa position par la suite.
  • Septembre 2011 : le cannabis, thème de la primaire socialiste
Jean-Michel Baylet, candidat à la "primaire citoyenne", le 28 septembre 2011 à Boulogne-Billancourt.

Au cours d'une campagne à l'investiture socialiste où chaque candidat tente de se démarquer malgré le socle commun du projet du PS, le cannabis revient sur le devant de la scène. Le candidat du Parti radical de gauche (PRG), Jean-Michel Baylet, se déclare notamment favorable, le 15 septembre, à "la légalisation du cannabis pour assécher les sources de financement des trafics de drogues, ainsi que le renforcement des moyens des brigades de lutte contre les trafics de stupéfiants, qui sont à l'origine de nouvelles formes de criminalité organisée toujours plus violentes."
Martine Aubry se prononce, elle, pour une "dépénalisation de l'usage pour ceux qui ont moins de 5 grammes dans la poche", associée à un renforcement des sanctions sur les trafiquants. Ségolène Royal, Manuel Valls ou Arnaud Montebourg font savoir qu'ils sont contre la dépénalisation, arguant qu'un assouplissement de la législation sur le cannabis serait un mauvais signe donné aux jeunes quant à sa dangerosité.
  • Avril 2012 : Hollande écarte la contraventionnalisation
A quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle, François Rebsamen, sénateur et maire de Dijon, conseiller sécurité de François Hollande, avance de nouveau la proposition de contraventionnaliser l'usage du cannabis. A rebours de ses propos de 2003 et 2007, Nicolas Sarkozy juge "irresponsable" cette proposition : "Alors que tant de familles sont concernées par la montée de la drogue, envoyer le message de la fin de l'interdit pour le cannabis, c'est irresponsable", affirme le président-candidat sur Europe 1.
La proposition de François Rebsamen est aussitôt écartée par François Hollande : "Je ne la reprendrai pas pour des raisons qui tiennent à la nécessité de l'interdit, qui ne doit pas être affaibli, affirme le candidat socialiste sur Europe 1. Je ne veux pas donner le moindre signal de renoncement à une dissuasion par rapport à cette consommation de cannabis."
  • Juin 2012 : Duflot réaffirme la légalisation prônée par EELV
De l'échiquier politique, Europe Ecologie-Les Verts (EELV) est l'un des rares partis à se prononcer pour une légalisation du cannabis. Selon les écologistes, autoriser à terme la culture, la vente et la consommation de la substance permettrait de porter un coup majeur aux trafics qui prospèrent dans de nombreux quartiers. "Nous lancerons une réflexion pour déterminer les modalités d'une légalisation de la production, de la distribution et de la consommation, conformément à la recommandation de nombreux rapports internationaux, expliquait le projet du parti pour la dernière élection présidentielle, adopté en décembre 2011. La prescription de cannabis thérapeutique sous toutes ses formes sera évaluée."
La position d'EELV est rappelée par Cécile Duflot, encore secrétaire nationale du parti et déjà ministre du logement, en juin : "Je sais que ce n'est pas la position du gouvernement, mais là, je suis la secrétaire nationale d'EELV, et je dis quelle est notre position", déclare-t-elle sur RMC et BFM TV
Cette sortie oblige Jean-Marc Ayrault, le lendemain, à rappeler que le sujet "n'est pas à l'ordre du jour" et que "la fermeté reste d'actualité".Quelques mois plus tard, le premier ministre doit une nouvelle fois reprendre un de ses ministres sur le sujet, Vincent Peillon cette fois-ci.

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