mardi 11 septembre 2012

Vers la fin de l'"ADN poubelle"

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 
Est-ce une nouvelle grande percée dans la connaissance du fonctionnement de notre génome ? C'est ce que porte à croire, sans doute, la lecture de la trentaine d'articles parus cette semaine dans les revues NatureScienceGenome Biology et Genome Research. Au terme de huit années de décryptage, les auteurs de cet ambitieux travail soulignent, dans l'"encyclopédie" de notre ADN, les "pages" qui gouvernent l'activité de nos gènes. En mettant ces données à la libre disposition des laboratoires du monde entier, les participants au projet international Encode (Encyclopedia of DNA Elements) assurent offrir un outil pour mieux comprendre le développement des maladies.
"Il y a parfois un côté "orchestré" chez ces journaux scientifiques de prestige, s'amuse Stanislas Lyonnet, professeur de génétique à l'université Paris-Descartes et responsable d'une équipe de l'Inserm.Ils sont à l'affût de l'excellence scientifique mais aussi de la publicité autour. Si la concurrence éditoriale est féroce, il peut se faire des arrangements entre ces revues, destinés à mieux valoriser des travaux difficiles et coûteux." Ou comment créer un "buzz" scientifico-médiatique...
"Les résultats d'Encode étaient attendus de longue date", poursuit le généticien. Lancé en 2004, ce consortium a vocation à prolonger les travaux du projet Génome humain. Car si le séquençage complet du génome humain, en 2003, eut un écho retentissant, ce n'était pas non plus la "révolution biomédicale" annoncée. Comme beaucoup le prévoyaient, il était loin de tout expliquer. "Il fallait aller plus loin. L'étape suivante consistait à "annoter" le génome pour marquer les régions importantes dans le fonctionnement des gènes", raconte Stanislas Lyonnet.
Ce fut une des grandes surprises de 2003 : les gènes (régions de l'ADN servant à produire les protéines qui structurent ou font fonctionner nos cellules) ne représentent que 2 % de notre génome."Pour autant, les 98 % restants ne sont pas dénués de fonctions", indique Elphège Nora, de l'Institut Curie.
En effet, les séquences d'ADN du génome humain ont été comparées à celles du génome d'autres espèces. "Cette comparaison a révélé qu'au cours de l'évolution certaines séquences d'ADN en dehors des gènes ont été conservées entre les espèces, explique Stanislas Lyonnet. Cela signifiait que ces séquences jouaient un rôle important - alors inconnu." C'est ce que le projet Encode s'est proposé d'étudier : cartographier les fonctions du génome au-delà des gènes - caractériser l'"épigénome" et le "régulome".
Mobilisant une armée de laboratoires, Encode a recruté une écrasante majorité d'équipes américaines et britanniques, épaulées par un petit bataillon de laboratoires suisses et espagnols, de chercheurs à Singapour et au Japon - mais pas une équipe française...
Cette armée a déployé l'artillerie lourde des technologies à haut débit d'analyse du génome, appuyée par un arsenal bio-informatique puissant, capable d'essuyer le feu des 15 milliards de bytes de données produites. Une force de frappe rendue nécessaire par l'infinie complexité des analyses fonctionnelles du génome, démultipliée par rapport à l'analyse linéaire de la séquence d'ADN.
En 2007, Encode publiait les résultats de l'étape pilote du projet, sur 1 % du génome humain. Une démarche aujourd'hui étendue à tout le génome, grâce à "l'incroyable amélioration des méthodes d'étude de l'ADN et de ses enroulements, qui font appel aux nouvelles générations d'appareils écloses il y a trois ans", précise Stanislas Lyonnet.
"Une des découvertes les plus remarquables d'Encode est que 80 % du génome humain sont dotés d'une fonction biochimique, résume dansNature Joseph Ecker, du Howard Hughes Medical Institute et du Salk Institute (La Jolla, Californie). Cela enterre l'idée largement répandue que notre génome est majoritairement formé d'"ADN poubelle"" - expression inventée par le généticien britannique Richard Dawkins, en 1976, pour qualifier les régions du génome "non codantes", c'est-à-dire qui ne sont pas des gènes.
Les chercheurs ont aussi scruté les liens entre les fonctions du génome et les prédispositions connues à des maladies. "Une partie très importante (71 %) des variants génétiques associés à 400 maladies communes se trouvent non pas dans la partie codante des gènes, mais au sein de leurs régions régulatrices ou juste à côté", précise Elphège Nora. Voilà pourquoi de nombreux changements de l'ADN ont été trouvés associés à des maladies, alors même qu'ils ne sont pas situés dans un gène. Encode confirme aussi que la dérégulation précoce d'un gène laisse une marque qui peut entraîner une maladie bien plus tard chez l'adulte.
Pour Daniel Vaiman, chercheur Inserm à l'Institut Cochin (Paris),"Encode donne une grille de lecture du génome humain. C'est un magnifique outil perfectible. Mais il ne résoudra pas tous les problèmes liés à l'étude des maladies". Il ne délivre pas de nouveau concept."C'est de la Big Science qui sort du champ habituel de la biologie. L'ego du chercheur disparaît au profit de la solidarité du consortium. Cette façon de faire n'est pas prise en compte dans l'évaluation des chercheurs français."
C'est sans doute une des raisons de l'absence de la France dans ce projet phare. Mais non la seule. "Dans les années 1990, la France a joué un rôle pionnier en établissant la première carte au monde du génome humain, rappelle Stanislas Lyonnet. Jusqu'en 2003, sa place a été très compétitive. Mais ensuite, le choix scientifique n'a pas été fait d'ouvrir les portes du Centre national de génomique à des approches plus variées et aux nouvelles technologies exploitées par Encode."
Le chercheur se veut cependant optimiste : "La France peut jouer un rôle appréciable dans l'utilisation intelligente de ces données, pour comprendre les fins rouages des processus génétiques en cause dans des maladies."

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