mercredi 5 septembre 2012

L'évaluation de l'efficience, tendon d'Achille de la coordination en santé ?

03.09.12 - 17:50 - HOSPIMEDIA 
À l'occasion des 2e universités d'été de l'ANAP, plus de 300 professionnels ont débattu sur les enjeux de la coordination entre acteurs de santé. Au cœur des préoccupations, l'efficience de la coordination et l'évaluation de son impact qualitatif et médico-économique, facteur clé de la pérennité, du déploiement et du financement des initiatives.
Si l'évaluation qualitative et médico-économique d'une coordination entre acteurs de santé pour une prise en charge optimisée des patients, dans le cadre de parcours de soins, ne faisait l'objet d'aucun atelier spécifique des universités d'été de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), organisées les 31 août et 1er septembre à Strasbourg (Bas-Rhin), cette question sourdait de nombreux débats, conférences et retours d'expérience. Ainsi, le chiffre de plus de deux milliards d'euros possiblement "économisables" grâce aux hospitalisations évitables, évalué par le HCAAM (1) (lire aussi notre article du 08/03/2012 et notre brève du 24/06/2011), revenait comme un leitmotiv dans les échanges.
Tout comme la réalisation de projets pour optimiser la prise en charge des personnes âgées que le haut conseil préconisait, auquel travaille un comité installé en avril par le ministère de la Santé (lire notre article du 25/05/2012 et notre brève du brève du 04/04/2012) (2). Signe de l'intérêt de l'enjeu de la coordination des acteurs en santé, plusieurs agences sanitaires, dont la Haute autorité de santé (HAS), présente, se sont déjà saisies ou se saisissent du sujet et ce même si les réseaux de santé, par exemple, ne font pas partie du champ de compétence de l'évaluation de l'ANAP. Ainsi, l'idée que l'efficience de la coordination des acteurs de santé peut impacter l'efficience des établissement se diffuse de plus en plus.

Pas dans les gènes français ?
Philippe Ritter, président du conseil d'administration de l'ANAP, s'est félicité de la variété des participants, venus des secteurs sanitaires et médico-social, du libéral et de l'hôpital, du public et du privé. "Cela créé des obligations pour tous ceux qui travaillent à l'ANAP, le fait par exemple que des professionnels libéraux, et/ou dans les maisons de santé, des réseaux, se tournent vers notre agence sur leurs problématiques, alors que la mission propre de l'ANAP concerne les établissements", a-t-il relevé. "Effectivement, si l'on parle de parcours de soins ou de santé, on ne peut pas s'arrêter aux portes des établissements", a-t-il souligné, ajoutant "qu'on le veuille ou non, il faudra que l'ANAP élargisse son approche des problèmes". "Si tout le monde est conscient que la coordination des acteurs est aujourd'hui une nécessité, il y a encore beaucoup à faire pour que ce soit une réalité généralisée et généralisable", a-t-il poursuivi, estimant que cette coordination n'était pas dans "les gènes français", dans un pays où "des cloisonnements existent dans le domaine de la santé, des réflexes de défense du territoire et des réticences à l'évaluation de l'action peuvent apparaître, à ne pas vouloir se comparer à ce que fait le voisin". "Il faut convaincre de l'efficience et du service rendu par la coordination les acteurs de santé, les patients et enfin, et surtout, les financeurs", a-t-il conclu, pointant le fait que les initiatives ne pourraient "prospérer si l'évaluation n'offrait pas la démonstration critique d'un retour sur investissement". "Il y a là un message qu'il s'agit de relayer au niveau national", a-t-il appuyé, précisant par ailleurs que les ARS, autorités déconcentrées censées être "autonomes et en responsabilité de la coordination territoriale", aient été "un peu trop ligotées" dans la pratique et pourraient recueillir l'appui de l'ANAP sur cette question.

Quels outils d'évaluation ?
Lors de plusieurs ateliers, des représentants de l'ANAP ont soulevé la question de l'évaluation. Des retours d'expériences ont fait état de réseaux, même bien implantés, efficients et/ou novateurs, menés par des professionnels motivés, pas toujours assurés de conserver leurs financements d'une année sur l'autre. Par exemple, sur le volet des parcours de personnes âgées, si les rapports d'activité des offreurs intègrent souvent un volet "évaluation", ils ne sont que peu exploités dans la mesure où il n'existe pas de cadre homogène et informatisé permettant de traiter ces informations sur un territoire.
L'évaluation de l'impact des articulations entre professionnels reste "embryonnaire". "Des données sur les conventions ou adhésions sont généralement disponibles mais ne permettent pas toujours une compréhension des conséquences pour les usagers, les professionnels ou les financements publics", a expliqué le Dr Marie-Dominique Lussier, charge des projets sur les parcours à l'ANAP. Les indicateurs de coût à l'usager constituent une première approche, sous réserve d'une définition précise de la notion de "file active". Des pistes de réflexion pourraient être approfondies, selon l'ANAP, sur la définition d'indicateurs concernant les usagers, l'exploitation des données du PMSI (3) ou encore le suivi d'une cohorte de personnes accompagnées par une structure de coordination.

"Harcèlement textuel" de l’État
A l'occasion d'une autre table ronde, l'économiste de la santé au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Jean de Kervasdoué, a lancé l'idée que l’assurance maladie et les complémentaires pourraient verser aux réseaux un pourcentage du risque (5 à 7% du risque, évalué environ à 3000 euros par assuré et par an) "pour l'animation de la coordination, à charge pour eux de ne pas accroître les dépenses de santé et d’améliorer le service". "Nous avons bien vu que ce n’est pas le médecin traitant avec un C à 23 euros qui va coordonner la prise en charge, qui est chronophage", a-t-il appuyé, "cette solution permettant de rendre moins fragiles et instables ces initiatives du fait d'un financement limité et laissé au bon vouloir de la tutelle".
Le double accord des patients et des établissements à faire partie du réseau devrait néanmoins être requis. Didier Haas, directeur général du groupe hospitalier de la Mutualité française, a lui aussi plaidé pour une incitation financière "simple et lisible" tout en fustigeant la "complexité des dispositifs et des textes" et "les millions de signes produits chaque année au Journal officiel (JO)". Une tendance qu'Alain Coulomb, ancien directeur de la HAS, a qualifié lors d'un autre atelier de "harcèlement textuel" qui décourage et freine les initiatives.
Cependant, la question du financement en ouvre beaucoup d'autres, selon Didier Haas : Faut‐il financer au parcours ou à la personne ? Faut‐il financer via des appels à projets ? Faut‐il des enveloppes territoriales, régionales ? Quels outils de coordination : réseaux, GCS, conventions ? Quel rôle doit jouer l’ARS ? Comment gérer la pénurie et la fongibilité des enveloppes entre sanitaire et médico-social ? Quelle évolution des modes de rémunération des professionnels de santé pour favoriser des soins coordonnés ?

Outils pour les réseaux
Alain Coulomb a estimé que les réseaux de santé présentaient un "bilan contrasté", avec "une efficience variable" selon les indicateurs du Fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins (FIQCS), des files actives et des coûts par patient également variables mais "peu ou pas de véritable évaluation médico-économique".
Il a aussi présenté les grandes lignes d'un guide (lire encadré) pour accompagner l'évolution des réseaux vers un rôle d'appui à la coordination. Au nom de la HAS, Thomas Le Ludec, directeur de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, a présenté les outils déjà mis en place par l'agence pour accompagner les initiatives. Au sujet des projets-pilotes (2) sur les parcours des personnes âgées, il a indiqué que l'évaluation des effets se fonderait sur plusieurs critères : utilisation des services et dispositifs en place (pilotage du projet / degré d’intégration aux soins de 1er recours / attractivité du service pour les professionnels / pertinence du recours au service / couverture de la population cible et efficience / réactivité du service et continuité des soins), mais aussi des indicateurs de pratique clinique.
Elle mesurera également l'impact sur le recours à l'hôpital et la consommation des soins ou encore sur la satisfaction des professionnels et des patients. Côté perspectives, il a indiqué que la HAS travaillerait notamment à produire des repères pour l'organisation du travail pluri-professionnel (fiches repères pour l’intervention des soignants, des supports pour la délégation de tâches, des documents sur le volet médical de coordination mais aussi des protocoles d’interface soins primaires/soins secondaires) ainsi que des supports pour des démarches qualité et l'évaluation des parcours.
Caroline Cordier
(1) Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM)
(2) Onze projets-pilotes ont été retenus par les ARS de Bourgogne, Bretagne, Île-de-France, Limousin, Lorraine, Pays-de-la-Loire, Provence-Alpes-Côte d'Azur. L'un d'eux est animé par trois réseaux gérontologiques de Lorraine, Réseau Gérard Cuny, Résapeg et Réseau âge et santé, qui ont fait l'objet d'un retour d'expérience présenté aux universités.
(3) Parmi les données du Programme médicalisé des systèmes d'informations (PMSI) pourraient être exploités des Durées moyennes de séjour (DMS) des personnes suivies par un réseau ou les transferts et réadmissions dans les 30 jours suivant l'inclusion dans une file active.
Un guide de la DGOS pour des réseaux "en appui à la coordination" en septembre
Un guide méthodologique de la DGOS doit paraître en septembre pour accompagner l'évolution des réseaux de santé vers un rôle "d'appui à la coordination dans un territoire de proximité", dans le cadre de contractualisations avec les ARS, a annoncé la directrice générale adjointe de l'ARS Île-de-France, Marie-Renée Babel, lors de ces universités d'été. Ce guide sur la fonction "d'appui à la coordination" sera, selon l'ancien directeur de la HAS, Alain Coulomb, "lisible, facilement accessible par les professionnels de premier recours, favorisera la mise en relation des intervenants autour du parcours des patients, sur un territoire défini et en respectant le principe de subsidiarité". Les réseaux disposent d’un "savoir faire et d’une expérience reconnus dans la coordination d'appui des patients en situation complexe ou fragile et ils ont besoin d’être aidés et accompagnés à capitaliser cette expérience", a-t-il estimé. Cette évolution des réseaux permettra selon lui d'en renforcer la polyvalence et l'ancrage territorial, avec "une convergence entre réseaux gérontologie, maladies chroniques, cancérologie et soins palliatifs, la mutualisation de moyens et l'identification d'un interlocuteur unique auprès de l’équipe de premier recours".
C.C.

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