dimanche 23 septembre 2012

La violence scolaire, au-delà des clichés

20 septembre 2012

AU RAPPORT Alors que plusieurs agressions d'enseignants ont été récemment médiatisées, une étude inédite est publiée. Principale observation : les personnels du premier cycle sont plutôt heureux.

Par SYLVAIN MOUILLARD
«Je ne m’attendais pas à trouver une école à feu et à sang. En ce sens, je n’ai pas été surpris par les résultats», lance illico Eric Debarbieux, qui présentait ce jeudi une enquête inédite (1) sur le climat et la violence scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires. Quelques jours aprèsplusieurs faits divers médiatiques, le nouveau délégué ministériel en charge de la prévention et de la lutte contre les violences à l'école se garde de tout alarmisme : «Les enseignants du cycle primaire sont plutôt heureux, mais avec des nuances.» Dans un document de 75 pages, il dresse avec son collègue Georges Fotinos les enseignements de son vaste travail statistique : d’avril à mai 2011, 11 820 personnels du premier degré ont répondu aux 80 questions de l’enquête en ligne.

Les observations

Un climat scolaire globalement bon... mais des inquiétudes chez les jeunes enseignants. 91,6% des personnels interrogés jugent le climat scolaire «plutôt bon» ou «bon». Le bémol concerne les jeunes enseignants (moins de six ans d’ancienneté), d’autant plus quand ils travaillent dans des établissements défavorisés. Un quart d’entre eux ont une vision négative du climat scolaire. L’illustration chiffrée du découragement qui peut saisir les jeunes professeurs des écoles, nommés dans des zones sensibles.
Des violences essentiellement verbales. 62% des enseignants disent qu’ils ont été «peu ou pas victimes d’actes de violence ou de délinquance» au cours de la dernière année scolaire ; 26% se jugent «victimes très occasionnelles» et 8,3% «victimes répétées». Les faits peuvent émaner des élèves, de leurs parents, ou du corps enseignant. Premiers faits évoqués, les injures (35,8% des personnels) ; suivent les menaces (17,1%), l’ostracisme, c’est-à-dire la mise à l'écart par les collègues (14,5%), le harcèlement (14%). Les violences physiques sont plus rares. 5,6% des enseignants interrogés ont déjà été bousculés violemment, des situations qui dans 90% des cas n’ont pas entraîné d’interruption du travail. 3,6% ont subi des coups et 0,04% ont été blessés par des armes.
Les conflits avec les parents plus fréquents. 20,1% des personnels interrogés ont subi des insultes et 12,7% ont été menacés. A noter que ce sont les directeurs d'école qui sont le plus victimes des parents. Une situation qui pèse sur leur motivation : 40% d’entre eux affirment penser à quitter leurs fonctions.
Les personnels les plus touchés. Les enseignants en ZEP risquent deux fois plus «d'être victimes de violence de la part de leurs élèves». Ceux évoluant au sein de classes spécialisées sont nettement plus touchés par les insultes. «Rien d'étonnant, glisse Eric Debarbieux, c’est là où l’on regroupe les élèves en difficulté.»

Les pistes

Si pour la majorité des enseignants, le climat scolaire reste épanouissant, beaucoup se disent écœurés par l’image qu’on renvoie de leur métier : à la fois chez les parents, dans la presse etc. Sur les 11 820 personnes qui ont répondu à l’enquête, 8 000 ont détaillé dans une question ouverte leur ressenti. «Je m’attendais à ce que 90% d’entre eux demandent l’arrêt des suppressions de poste. Ce thème est présent, certes, mais pas en premier», note Eric Debarbieux.
En revanche, les enseignants sont très demandeurs de formation (30% des suggestions). «Beaucoup d’enseignants disent qu’ils ne savent pas gérer les relations avec les parents. Ils demandent une formation continue non pas sur leur discipline, mais professionnalisante : comment gérer un conflit, tenir une classe, travailler sur la psychologie. De la même façon, travailler en équipe n’est pas naturel. Cela demande une formation.» Les auteurs de l'étude proposent de «libérer du temps pour libérer la vie d'équipe et la communication avec les familles». Et qu’on ne rétorque pas que cela risque de restreindre le nombre d’heures de cours, et donc de faire baisser le niveau : «Ouvrez un manuel d’histoire de CM2 : vous vous rendrez compte de l’invraisemblable encyclopédisme de nos programmes», dénonce Eric Debarbieux.
Deuxième priorité exprimée dans les réponses : une très forte critique de la hiérarchie, notamment des inspecteurs de l'éducation nationale. Les enseignants dénoncent un environnement «malsain, voire pourri», selon l'auteur de l'étude. Le sentiment d’infantilisation et d'être noyé sous le paperasse est également récurrent.
Eric Debarbieux, qui compte sur son nouveau rôle de délégué ministériel pour souffler quelques pistes au ministre Vincent Peillon, abonde : «Il faut développer et faire évoluer le rôle des personnels spécialisés, comme les Rased (Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté). Le modèle des support teachers, qui a fait ses preuves dans d’autres pays, mérite d'être développé.» En clair, soulager un enseignant en lui octroyant, quelques heures par semaine, un collègue supplémentaire. Autre piste : tendre vers un nouveau modèle de relations humaines, pour mettre fin à un modèle «pyramidal» et «bureaucratique».
(1) «L'école entre bonheur et ras-le-bol», réalisée par l’Observatoire international de la violence à l'école, en partenariat avec la Fédération des autonomes de solidarité.

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