lundi 27 août 2012

L'éducation vue depuis l'œilleton de la prison

LE MONDE | 

Il n'est pas rare que des médecins intervenant en prison alertent l'opinion publique sur l'état sanitaire des hommes et des femmes qui entrent en détention. Les cas de tuberculose ou l'importance des pathologies liées aux addictions nous renseignent sur les défis de la santé publique bien au-delà des murs de la prison.
Peu nombreux sont les témoignages sur l'"état scolaire" des personnes incarcérées. Quel constat dresser et quels enseignements peut-on en tirer pour la société et pour l'école ?
Cinquante-six pour cent des entrants en détention ont un niveau inférieur à celui du CAP, plus de 12 % sont illettrés et 15,5 % ont des difficultés de lecture. C'est donc l'école primaire qui doit être prioritairement renforcée. La rupture avec le système éducatif et le décrochage scolaire sont l'aboutissement d'un processus amorcé dès l'école primaire, comme en témoigne le faible niveau de maîtrise des savoirs fondamentaux des entrants en détention.
Les élèves qui ne maîtrisent pas le fameux triptyque lire, écrire, compter sont très handicapés. Dans le même temps, les rapports de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Programme international de recherche en lecture scolaire ne cessent de souligner le déclassement de la France : 4 écoliers sur 10, soit environ 300 000 élèves, sortent du CM2 avec de graves lacunes.
On a beaucoup incriminé les méthodes et la pédagogie. Il faut prendre en compte ces critiques et soulever l'absurdité de l'alourdissement des programmes chargés de compétences nouvelles en informatique ou en histoire de l'art, alors que le temps passé à la lecture et l'écriture décroît sans cesse.
Des pistes d'évolution ont été avancées : développer l'aide aux devoirs, revoir les rythmes scolaires, renforcer la formation continue des professeurs et leur donner la souplesse du temps libre pour qu'ils puissent adapter les enseignements à leur public.
Un autre point semble fondamental : l'école, skholè en grec, doit être le lieu de l'arrêt, de la trêve, qui permet la maîtrise de soi et l'occupation studieuse dont rêve Platon. Apprendre à se concentrer, à déchiffrer, à lire, c'est éprouver une rupture avec le monde, ce qui est très difficile dans un univers qui ne se rêve qu'en connexion permanente à l'autre. La difficulté de trouver le calme et la sérénité nécessaires à l'enseignement dans un monde en perpétuelle effervescence est un réel problème.
Grandir et forger sa personnalité, c'est se trouver et se reconnaître différent face à l'autre, c'est aussi faire l'épreuve de la frustration, des limites, des règles de vie... exercice difficile quand nos publicitaires ciblent les enfants et accablent les parents pour qu'ils cèdent à la pulsion consommatrice, le "tout, tout de suite". On manque de considération pour des instituteurs dévoués sans s'interroger sur le cadre de vie des enfants ni sur la télévision publicitaire qu'ils regardent 956 heures par an en moyenne, c'est-à-dire plus qu'ils ne voient leur maître ou leur maîtresse !
C'est au collège que la majorité des détenus a décroché. Le collège produit trop d'échecs et son architecture est à revoir.
Les interrogations sur le collège unique sont encore vécues comme une insupportable remise en cause de l'effort de démocratisation de l'enseignement. Il faut dépasser ces vieilles querelles : l'insupportable atteinte à la démocratisation se situe dans les 40 000 sorties de l'éducation nationale sans qualification, puis les 140 000 sorties sans diplôme, dans l'accroissement des élèves de faible niveau (de 16,5 % en 2003 à plus de 22 % en 2006), dans le retard scolaire à 15 ans, le plus élevé des pays de l'OCDE. Ce n'est pas le noble objectif d'offrir à tous un socle de connaissances et de compétences qu'il faut remettre en cause, c'est l'uniformisation des moyens pour y parvenir.
En France, on imagine difficilement que la réussite soit possible hors du cursus théorique, avalé d'un bloc, de 3 à 16 ans. L'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder a, lui, commencé par un apprentissage à 14 ans puis il a repris des études et a connu le destin que l'on connaît ; difficilement imaginable en France, hélas. Cependant, certaines structures ont accepté que des jeunes élèves puissent rester assis sur une chaise huit heures par jour. Sans renoncer à une haute exigence de formation, elles ont mis en place des systèmes d'alternance dès la quatrième.
Ainsi, dans les maisons familiales rurales, l'expérience du terrain redonne sens au savoir théorique des salles de classe. Faut-il se battre pour le symbole d'un collège unique qui fait naufrage ?
Mieux vaut se battre pour que tous ces jeunes aient une formation et s'inspirer de l'existant pour inventer des structures en alternance, former les travailleurs de demain, en lien avec le monde de l'industrie et des services. On peut affirmer que l'enseignement obligatoire jusqu'à 16 ans est une chance et dire parallèlement que l'on a trop dévalorisé l'enseignement technique, qui peut être une très belle voie de réussite.

Pierre Méheust est un ex-membre du Comité d'orientation restreint sur la loi pénitentiaire.

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