jeudi 2 août 2012

La "gérontechnologie" : surveiller pour assister ?

Le Monde.fr | 

Selon l'INSEE, 12 millions d'individus sont âgés de plus de 60 ans, ce qui représente 20 % de la population française. Autres chiffres indicatifs : 800 000 personnes sont touchées par la maladie d'Alzheimer ou apparentée. Parmi elles, 350 000 hommes et femmes sont classés en affection longue durée (ALD) ce qui leur permet de bénéficier d'une prise en charge à 100 % de leurs frais de santé.
En lien avec ces évolutions démographiques et médicales, le secteur de la gérontechnologie est en pleine expansion. Celui-ci a pour objectif : "d'appliquer les nouvelles technologies de communication, de compensation, de prévention aux soins des personnes âgées et en situation de handicap et ainsi de contribuer à leur bien-être, au maintien de leur anatomie" (Plaquette présentation D.I.U. gérontechnologies, Montpellier).
La société Link Care Service est l'un des leaders sur le marché gérontechnologique français, notamment grâce au développement d'un dispositif de vidéo-vigilance dénommé "EDAO". Ce système vise à veiller sur les personnes en perte d'autonomie notamment celles atteintes de la maladie d'Alzheimer à leur domicile ou en établissement spécialisé. Le dispositif "EDAO" a pour objectif principal d'offrir des moments de répit aux "aidants" professionnels ou familiaux en permettant de surveiller la personne malade et/ou vulnérable par l'intermédiaire de capteurs autonomes. Ces caméras sont reliées à un serveur d'analyse qui permet de détecter les comportements"anormaux" des individus maintenus sous vigilance. Une chute, un mouvement suspect, la personne monte sur une chaise, un temps trop long dans les toilettes, la vidéo-vigilance, cryptée le reste du temps, se déclenche, l'enregistrement est aussitôt visionné par un centre d'appel spécialisé. Dès lors, l'opérateur signale le "cas" suspect à un proche de la personne, un soignant ou un centre de secours.
À première vue ce dispositif "EDAO" de vidéo-surveillance qui a reçu en 2009 le grand prix Malakoff Médéric paraît plutôt pertinent. Cependant, le développement exponentiel de ce type de dispositif de"surveillance-assistance" dans le domaine du sanitaire et social peut susciter quelques craintes légitimes de plusieurs ordres.
L'ACCOMPAGNEMENT HUMAIN EN QUESTION
Selon un communiqué de presse de la société Link Care Service, en France plus de 1 000 chambres réparties dans 28 établissements spécialises seraient actuellement équipées de caméras de vidéo-vigilance. Depuis quelques années, les institutions de secteur sanitaire et social subissent une rationalisation drastique de leurs moyens humains et financiers. La "bonne gestion" induit la déqualification de certains postes d'"aidants", le non-remplacement de "soignants" qui partent à la retraite et donc en conséquence l'augmentation de nombre de prises en charge par professionnel (etc.) Ces remaniements"fabriquent" des nouvelles pratiques. Des logiques prescriptives et normatives se diffusent au détriment de l'accompagnement humain. Les échanges informels avec les personnes prises en charge deviennent rares faute de temps et/ou de reconnaissance (car relevant du non-technique).
Ce type de dispositif tel que la vidéo-vigilance pourrait favoriser également la disparition du métier par exemple de "veilleur de nuit" qui ne serait sollicité qu'en cas d'alerte du centre d'appel. Pourtant, il est indéniable que ces métiers de la proximité sont indispensables pour des personnes "souffrantes" et/ou en situation de handicap.
Le micro-geste d'hospitalité qu'est par exemple le partage d'une tisane avec un résident angoissé en pleine nuit n'est pas formalisable, mais est un des moyens de prévention des crises et autres troubles comportementaux. Le développement du lien social est primordial pour des personnes en situation de vulnérabilité. Ces individus ne peuvent être réduits à des "symptômes" ; à des logiques comportementales de"patients" malades dont l'environnement de vie devient une donnée secondaire.
En conclusion, les remaniements économiques en cours dans l'action sanitaire et sociale s'accompagnent du développement exponentiel d'outils de gestion "bio-informatique" : des bracelets électroniques, aux bases de données numérisées en réseaux dans les services publics, etc. Les outils numériques sont de plus en plus utilisés pour gérer les comportements des individus perçus comme vulnérables et/ou déviants.
On peut également émettre quelques craintes quant au développement de ce type de dispositif de "surveillance intelligente automatisée" au sein d'institutions spécialisées, pour personnes handicapées mentales, physiques, ou adolescents ayant des troubles du comportement. En effet, il est probable que ces technologies numériques soient utilisées à l'avenir pour sécuriser, mais également pour établir des analyses diagnostiques sur des adolescents en Maison d'enfants à caractère social, et/ou Centre éducatif fermé.


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