mercredi 8 août 2012

" ILS CHANGENT LEUR MONDE " 2/6

Diagnostiquer Parkinson bientôt simple comme un coup de fil

Le mathématicien Max Little veut créer une application pour aider au dépistage et au suivi d'une maladie qui touche 6,3 millions de personnes

La maladie de Parkinson est dégénérative et ravageuse. Les traitements s'attaquent aux symptômes, retardent l'échéance inéluctable pour ses 6,3 millions de victimes dans le monde. L'augmentation de l'espérance de vie laisse présager une flambée de cette pathologie. Médecins et laboratoires tâtonnent. Les patients sombrent. Aucun traitement n'a raison du mal. Pour mieux comprendre la maladie, il faudrait pouvoir tester les soins de façon plus rapide, et pour cela bénéficier de larges échantillons de malades. Un rêve dans cette période de crise pour les Etats et les groupes pharmaceutiques.

Un projet en bonne et due forme pour Max Little, chercheur au MIT (Institut de technologie du Massachusetts) en mathématiques appliquées. " Aujourd'hui, on ne sait pas comment aider les malades de Parkinson, notamment parce que l'on ne sait pas lire l'évolution des symptômes. Nous n'avons pas les moyens accessibles et faciles pour suivre cela de façon objective. "

Max Little a inauguré la conférence avec une promesse comme on n'en entend qu'à TED : bientôt diagnostiquer la maladie de Parkinson et suivre son évolution sera, littéralement, simple comme un coup de fil. Et quasiment gratuit. Il fait partie des " TED Fellows ", ces hauts potentiels aux idées plus grandes qu'un océan, repérés et invités par l'organisation. La petite quarantaine, Max Little pense comme un énorme processeur. Il raconte ses travaux, l'application des mathématiques aux troubles de la parole, avec une patience rare. Pédagogique, jovial, il n'a rien d'un théoricien réfugié dans sa tour d'équations. Son humilité et son pragmatisme épatent.

Ses recherches démarrent en 2003 lors de son PhD (doctorat de recherche) à Oxford. Il pense que les mathématiques peuvent aider à mieux comprendre la voix. " Je cherchais un terrain d'application. Je me suis intéressé aux dysfonctionnements. Par exemple, comment un chirurgien qui intervient sur des cordes vocales - après un cancer notamment - peut-il savoir, objectivement, qu'il a réussi ? " Max Little se lance dans l'analyse clinique, travaille avec des médecins, publie, crée des modèles algorithmiques.

En 2006 à Toulouse, lors de la conférence International Conference on Acoustics, Speech and Signal Processing (Icassp) sur l'électronique, l'acoustique, la parole, il est abordé dans les couloirs par un chercheur d'Intel. La firme travaille sur des outils pour suivre l'évolution de la maladie de Parkinson. L'un de ses fondateurs investit une bonne partie de sa fortune depuis qu'il se sait atteint. Précisément, les chercheurs d'Intel ont enregistré la voix de cinquante patients, une fois par semaine, pendant six mois. Mais ils ne savent pas quoi faire des données. Du pain bénit pour Max. Intel le met au défi, organise un test à l'aveugle. Avec l'aide de son système, il doit identifier les malades. Il répond avec 86 % de fiabilité.

" La voix est le résultat d'une coordination du larynx, du diaphragme, des cordes vocales, de la langue et des lèvres. Chez un malade de Parkinson, cette coordination est altérée. La voix a des rigidités, des faiblesses et des tremblements. Elle est un bon marqueur de la maladie. Il est possible qu'elle soit même l'une des premières fonctionnalités affectées. Je n'en suis pas encore sûr, mais, en tous cas, Parkinson se détecte par la voix, même à un stade très précoce. "

Max Little travaille à partir d'enregistrements. Il y applique une batterie d'algorithmes (300 !) pour transformer un signal sonore en nombre. " On cherche une dizaine de données qui caractérisent votre voix, comme la régularité de la vibration de vos cordes vocales, l'amplitude de mouvement de vos lèvres. Et ensuite on utilise le "machine learning" (l'apprentissage autonome des machines) pour mettre en lien ces données avec des informations concrètes, comme la présence ou non de la maladie, sa sévérité. "

Le champ des questions s'ouvre : quelles sont les causes de cette pathologie ? Les populations à risque ? Comment optimiser les traitements ? Pour y répondre, la recherche a besoin d'un échantillon conséquent : " Les méthodes utilisées pour diagnostiquer et suivre les maladies sont bien trop onéreuses. Pour Parkinson, il faut aller voir un neurologue. Le test dure vingt minutes, mais il coûte 300 dollars - aux Etats-Unis - . Pour confirmer la maladie, il faut que le médecin essaie un traitement. A peu de chose près, un mois après, si les symptômes empirent, il dira que vous avez Parkinson. C'est long et compliqué à diagnostiquer, quant à savoir à quel stade de la maladie vous êtes, oubliez ! On a besoin d'un outil simple, à bas coûts, à diffuser de façon la plus large possible pour une réponse objective et rapide. "

Et, selon Max Little, cet outil est le téléphone, utilisé par cinq milliards d'individus. A terme, il veut créer une application qui permettra à quiconque de réaliser de chez lui un test de diagnostic ou de suivre l'évolution des symptômes. Il a lancé à TED un appel à dons particulier :" On a besoin de récupérer 10 000 voix pour construire notre échantillon. L'idée, c'est de recenser les problèmes qui pourraient conduire à une mauvaise interprétation (interférence sur la ligne de téléphone) et définir le test optimal (durée, fréquence). Et puis on veut être sûr de regarder les bons critères. " La Parkinson's Voice Initiative a déjà récupéré 6 200 contributeurs en un mois. " Mais j'ai vraiment besoin que vos lecteurs nous téléphonent ", conclut-il dans un sourire. Pour pouvoir participer, il suffit d'appeler le 02-49-88-05-76, que vous ayez la maladie ou pas, et de répondre aux questions. Le test est anonyme et gratuit.

Pour Max Little, la fortune serait-elle à portée de main ? Ce n'est pas l'objectif. " L'idée est de rendre cette technologie accessible à tous, individus comme laboratoires. On réfléchit à la meilleure façon de le faire : faut-il ou non nous associer avec le mouvement des logiciels libres pour établir une application gratuite sur iPhone ? Se rapprocher des compagnies pharmaceutiques pour qu'elles l'utilisent et baissent leurs coûts de recherche ? Notre but, c'est d'accélérer la découverte d'un traitement. Aujourd'hui, ce n'est plus seulement un problème d'argent, mais d'accès aux données. "

Ce mathématicien veut révolutionner le diagnostic et accélérer le traitement des maladies neuronales. Des sommes astronomiques sont en jeu. Il travaille sur la voix. La sienne est claire, son raisonnement limpide. Il est sûr de réussir. On a envie de le croire. Sur parole.
Flore Vasseur

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