dimanche 19 août 2012

Fuck le cogito : Blaise Pascal, penseur trash

17 août 2012

Par FRANCIS MÉTIVIER Philosophe
Blaise Pascal, mort il y a trois cent cinquante ans jour pour jour [le 19 août, ndlr], est surtout connu en tant qu’homme de foi et mathématicien grâce au Mémorial récit de sa vision divine d’un soir d’hiver et la mise au point du calcul par récurrence. Entre «Joie, joie, joie, pleurs de joie» et «n2 + 2n + 1 = (n+ 1)2», entre l’abstraction théologique et celle des quantités, Pascal a surtout développé une pensée de l’existence qui ne nous fait aucun cadeau, rock’n’roll, impitoyable de réalisme psychologique et social, dure et concrète. Ce pan de son œuvre, qualifié à tort de «moralisme», porte en fait sur ce que nous nommons aujourd’hui les «questions existentielles» - Mon existence a-t-elle un sens ? Ai-je une vraie place dans l’univers ? Le moraliste fait la morale. Pascal, quant à lui, analyse, sous nos comportements visibles, et plus risibles que condamnables, l’universalité de l’âme, fondement de notre humaine condition. Puis il nous laisse à la détermination singulière de notre réflexion sur le moi, à nos angoisses et au silence éternel de ces espaces infinis qui nous effraient. Pascal et nous : il est l’un des grands penseurs de l’existence - plutôt que du concept ou de la méthode -, l’un des plus proches de nos préoccupations intérieures. Morceaux choisis les plus trash des Pensées, sur le moi, l’autre et la philosophie.

«Le moi est haïssable.» Superbe cri d’attaque face aux tendances psychologisantes qui manipulent aujourd’hui par l’évaluation facile l’idée d’une connaissance de soi menant à la confiance en soi voire au bonheur. Travailler à se connaître… le conseil est vieux comme Socrate, mais qui allons-nous trouver ? Une personne équilibrée, amincie par le régime alimentaire de l’année et épanouie grâce à la dernière pratique sexuelle in? Sûrement pas. Pour Pascal, nous savons au fond de nous-même, intuitivement, que nous sommes méprisables : nous ne reconnaissons pas une misère propre qui se mesure à l’aune de l’absolu mystique, une finitude que nous compensons par tous les artifices de la vanité, par tous les caprices de la gloire. La recherche de l’estime de soi nous fait sombrer dans les tromperies de l’amour-propre. C’est un cercle vicieux : plus je me hais et plus j’éprouve le sentiment paranoïaque qu’autrui me hait aussi ; je tente alors par un orgueil maladroit d’arracher sa reconnaissance ; ce que je regrette à nouveau face à moi-même.
Le moi n’est pas le centre du monde ; il ne sera que cendres de lui-même, éparpillées. «Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence.» Incroyable éclaircissement sur l’hypocrisie courtoise, là où règne l’apologie politique du vivre ensemble et de l’échange gratuit. Mon ami… S’il savait comment je parle de lui et ce que j’en dis en d’autres compagnies. La sincérité n’existe pas. Dire la vérité est nuisible. Mentir est utile. «Un prince sera la fable de toute l’Europe, et lui seul n’en saura rien.» Le roi est nu, et désormais il n’y a même plus un enfant pour le lui dire. Mais qu’est-ce qui a le plus de force ? La cachotterie des conseillers ou l’illusion du narcissique ? La flatterie constitue la condition de ma survie morale, et la quête de l’autre est minée par l’ambition personnelle. Tout le monde est implicitement d’accord pour baigner dans les mêmes méprises. S’entretromper : tel est le contrat social pascalien.
Je voudrais tant oublier ma petitesse… Mes connaissances sont limitées, ma taille est insignifiante, mes jours sont comptés. J’aurais beau les allonger, je reste petit devant Dieu. Alors je me mesure à mon prochain et m’acharne à le rabaisser pour me sentir plus grand. Mais ma place dans l’univers est aléatoire et temporaire. Alors je me veux l’empereur de tout, désireux de répandre mes effets hystériques, préférant l’agitation volatile en public à la dépression solitaire et productive, incapable de me tenir tranquille un instant à la place que Dieu ou le hasard m’a assignée, que je devrais pourtant aimer, content au fond de pouvoir me tenir quelque part. «Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos, dans une chambre.»
«Se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher.» Inévitable paradoxe sophiste du penseur qui revendique la démarcation. Pascal a philosophé en se moquant, probablement, un peu de Descartes. Pascal ne sait qu’une chose (pas un truc fumeux du genre «je sais que je ne sais rien»), un phénomène qui fait de Dieu un être «irrité» : «Tout ce que je connais est que je dois bientôt mourir, mais ce que j’ignore le plus est cette mort même que je ne saurais éviter.» Pascal brave les règles de la conscience de soi et un doute révélateur de vérité : «Je pense donc je suis.» Et quand «je» est mort, cela donne quoi ? Fuck le cogito. Reste seulement une incertitude, celle de «l’éternité de ma condition future».Rien de très carré, donc. L’immortalité de l’âme est une hypothèse du cœur qui donne raison - mauvais jeu de mot - au philosophe de la foi. Abandonnant la résistance du «je» et la logique aux cartésiens, Pascal préfère dériver sur la barque du temps, se «laisser mollement conduire à la mort». Nous verrons bien. No future ?
Désormais, mort, il l’est. Happy birthday, Blaise ! Un anniversaire de mort… encore une habitude bien cynique montrant combien nos têtes sont rongées par l’idée du trépas. Mais bon, nous n’allons tout de même pas le commémorer par une soirée de prières jansénistes. Et encore moins par une rencontre autour du calcul différentiel et intégral. Nous irons plutôt sur une montagne, fixer nos yeux sur un point du jour.
Auteur de «Rock’n Philo» et «Sexe & Philo» (éd. Bréal). Rens. :www.francismetivier.com


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