mardi 10 juillet 2012

"Certains ne se rendent pas compte de l'isolement des handicapés"

Le Monde.fr | 



Un rapport sénatorial, dévoilé mercredi, évalue l'application de la loi handicap du 11 février 2005.
Un rapport sénatorial, dévoilé mercredi, évalue l'application de la loi handicap du 11 février 2005. | AFP/MYCHELE DANIAU

Présenté mercredi 4 juillet, un rapport sénatorial note "des avancées réelles", mais "une application encore insuffisante" de la loi handicap du 11 février 2005, qui rend notamment obligatoire l'accessibilité des bâtiments publics, et l'emploi de 6 % de salariés handicapés par entreprise, d'ici 2015. 
Si des progrès sont à noter dans plusieurs domaines, comme les maisons départementales pour personnes handicapées (MDPH) et la scolarisation des enfants, certains objectifs, comme l'accessibilité des établissements reçevant du public (ERP), ne pourront être tenus d'ici trois ans. Les sénatrices Isabelle Debré (UMP) et Claire-Lise Campion (PS), auteures du rapport, reviennent sur ses principales conclusions.
Le Monde.fr : dans votre évaluation, vous notez un "réel progrès", celui des MDPH. Mais à quelles difficultés font-elles encore face ?
Isabelle Debré : les MDPH étaient un objectif très ambitieux de la loi de 2005, mais elles sont désormais confrontées à des problèmes financiers et humains. Ces maisons sont submergées de dossiers, et connaissent un très fort problème d'effectifs. Les délais de traitement peuvent atteindre six à huit mois.
Claire-Lise Campion : elles connaissent des dysfonctionnements importants dans leur gestion, du fait de charges de travail considérables. Les MDPH sont également pilotées par des groupements d'intérêts publics, qui incluent aussi bien les conseils généraux, les services de l'Etat que la direction départementale de la cohésion sociale et les associations. Ainsi, les départements ne sont pas les seuls à gérer ces maisons, alors qu'ils les financent de plus en plus.
Il faut regarder ce pilotage de plus près, et noter qu'il y a un vrai manque d'harmonie sur le plan national. D'un département à l'autre, les pratiques sont différentes. Il faut plus d'équité, et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, par exemple, pourrait mieux coordonner tout cela.
Quel est l'impact des actions menées pour les personnes handicapées sur les budgets des départements depuis 2005 ?
Isabelle Debré : le coût pour les départements est très important. La part de l'application de la loi handicap dans les budgets départementaux est en profonde augmentation – c'est un effort constant des conseils généraux. Mais cette loi de 2005 est très ambitieuse, et il est nécessaire de se demander : avons-nous vraiment les moyens de nos ambitions ? Il faut faire preuve de pragmatisme, nous ne pourrons pas tout faire.
Claire-Lise Campion : la prestation de compensation du handicap par exemple – "avancée majeure de la loi de 2005", selon le rapport – coûte extrêmement cher. Elle a représenté une masse financière colossale entre 2007 et aujourd'hui.
Vous dénoncez dans votre rapport "la mauvaise volonté de certains". Qui visez-vous en particulier ?
Isabelle Debré : qu'il s'agisse de collectivités locales ou territoriales, personne n'est vraiment de "mauvaise volonté". Nous l'avons dit pour attirer l'attention. Notre but n'était pas de noter, de faire une hiérarchie entre les collectivités. Les mentalités ont changé, et les principaux problèmes de gestion sont souvent dus à la faisabilité des choses. Il est par exemple très difficile, et extrêmement cher, de rendre des bâtiments construits accessibles aux personnes handicapées. Il faut aussi faire preuve de bon sens.
Claire-Lise Campion : il y a tout de même, à mon sens, un manque de volonté politique depuis cinq ans. Actuellement, aucune donnée n'existe sur l'avancement de la mise en accessibilité des bâtiments, comme prévue par la loi de 2005. Certains projets de loi ont d'ailleurs tenté de revenir sur ces avancées. Nous avons besoin d'un pilotage politique fort, comme la création d'une agence nationale pour l'accessibilité. 
Mais il est indéniable qu'une dynamique est en route. Nous restons pragmatiques : si l'on sait que l'on ne pourra pas rendre certains bâtiments historiques accessibles aux handicapés, aucune dérogation ne sera cependant donnée aux bâtiments neufs. Ils devront tous, sans exception, se conformer aux normes d'accessibilité.
Les entreprises sont-elles plus enclines à recruter des personnes handicapées aujourd'hui ?
Isabelle Debré : les choses vont beaucoup mieux. On constatait en 2009 que 65 % des établissements employaient directement au moins un travailleur handicapé, contre 53 % trois ans plus tôt. Moins d'entreprises paient des amendes pour ne pas employer des salariés handicapés, ce qui signifie qu'un effort est fait. 
Le principal obstacle reste l'accessibilité, et le faible niveau de qualification des personnes handicapées. 83 % d'entre eux ont une qualification égale ou inférieure à un CAP ou BEP. Il y aussi des entreprises qui ne peuvent simplement pas embaucher de personnes handicapées. Pensez aux chantiers, par exemple.
Claire-Lise Campion : il y a des améliorations. L'objectif est de 6 % de salariés handicapés en entreprise d'ici 2015. Nous sommes déjà à 4,2 % dans le secteur public, et à 2,7 % dans le privé. Vous avez, sans doute, des réticences de la part de certaines entreprises. Et il y a aussi une réelle méconnaissance des employeurs, qui préfèrent continuer de payer des amendes, car ils ne savent pas comment s'y prendre pour accueillir des salariés handicapés.
Vous évoquez le manque de formation des travailleurs handicapés. La scolarisation est d'ailleurs un point clef de votre rapport...
Isabelle Debré : on note une progression incontestable, un vrai mouvement d'ouverture dans les écoles : 55 000 enfants supplémentaires ont été accueillis depuis 2006. Mais 20 000 enfants handicapés scolarisables ne le sont toujours pas. Là aussi, il y a disparité : des départements sont beaucoup mieux équipés que d'autres.
Et du fait de certains manques d'équipement ou d'accompagnement, on constate des ruptures dans la scolarisation, notamment au niveau secondaire. Le manque d'auxiliaires de vie scolaire (AVS) est un réel problème, car les budgets ne suivent pas. Ils sont embauchés sous contrat de trois ans, renouvelables une fois. S'ils étaient titularisés, cela représenterait un fonctionnaire de plus par enfant. Les finances ne peuvent pas suivre.
Claire-Lise Campion : en terme de coût financier, la question de la scolarisation et de l'accompagnement des enfants est principale. Il y a un manque énorme, aussi bien humain que budgétaire. C'est pour cela qu'il faut réactiver, dès septembre, un groupe de travail national sur les AVS.
Qu'entendez-vous par la démarche d'"acculturation à la notion d'accessibilité universelle" dans votre rapport ?
Isabelle Debré : certains ne se rendent pas compte de l'isolement dans lequel se trouvent les handicapés. Il faut habituer nos citoyens à la différence, dès le premier âge. Par exemple, accueillir des enfants trisomiques à la crèche. Mais il y a déjà eu une prise de conscience radicale. Le regard sur le handicap a changé.
Claire-Lise Campion : il y a dans notre société un manque de connaissances, de perception des réalités du monde du handicap. Cela passe par un meilleur accès à la connaissance et à l'information. Il est temps que l'on intègre dans nos têtes que le handicap n'est pas un poids.
Propos recueillis par Valentine Pasquesoone

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