samedi 23 juin 2012

Plaidoiries bouleversantes des parties civiles au procès des parents de Marina
Le Monde.fr | 22.06.2012
Devant la cour d'assises de la Sarthe où sont jugés depuis le 11 juin Virginie Darras, 33 ans, et Eric Sabatier, 40 ans, pour "actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort" de leur fille Marina, 8 ans, et"dénonciation d'infraction imaginaire", Me Olivier Godard a ouvert les plaidoiries bouleversantes des parties civiles, vendredi 22 juin. L'avocat qui porte la voix des frères et sœurs de la fillette, morte des suites des coups portés par leurs parents en août 2009, les a décrits comme des "bouts de chou  bâillonnés, robotisés et instrumentalisés". Ces quatre enfants aujourd'hui âgés de 13 à 4 ans sont parties civiles mais absents du procès en raison de leur jeunesse. Et ils peinent à trouver leurs marques hors de l'infernal huis clos familial qu'ils considéraient comme "normal", selon les éducateurs qui les suivent.
"Ils ont un besoin terrible de dire ce que Marina a toujours tu, ces spectateurs impuissants du calvaire de leur sœur, ces figurines exposées dans la vitrine d'une famille ordinaire, a expliqué Me Godard.Ils s'interdisent d'être victimes car [ce qu'ils ont vécu] leur paraît dérisoire au vu de ce que Marina a souffert, et ils culpabilisent toujours [de n'avoir pas parlé]." L'avocat a rappelé les "2 000 journées de calvaire" de la petite fille - dont il a été établi qu'elle était martyrisée depuis l'âge de deux ans et demi -, l'humiliation, les privations, "jusqu'à cette nuit où elle a été frappée à mort""J'ai longtemps cherché, a-t-il soufflé, mais dans l'enfer de Marina, je n'ai trouvé qu'un démon à deux têtes."
Le conseil s'est alors approché du box des accusés. "Marina vous vouait un amour aveugle et vous avez été en permanence aveugles à cet amour, a-t-il lancé aux parents. Elle vous aimait tellement qu'elle vous protégeait. Vous deviez la vérité à la mémoire de votre fille, mais vous vous taisez pour vous protéger."
Les parents de la petite n'ont pas réagi. Eric Sabatier, escogriffe de 2 mètres souvent très agressif à l'audience, n'a jamais apporté la moindre explication à ses actes. "Je suis un monstre", s'est-il contenté de répéter. A l'isolement depuis le début de sa détention, il a dit, jeudi, avant les plaidoiries des parties civiles, rencontrer un aumônier "une fois par semaine".
Virginie Darras, 1,58 m, n'a cessé de pleurer sans s'expliquer non plus pendant ces neuf journées de débats. Elle aurait récemment "retrouvé la foi" en prison. Depuis, a-t-elle révélé dans un stupéfiant lapsus, elle parvient à prier "pour me demander pardon".
DYSFONCTIONNEMENTS DES SERVICES SOCIAUX
Me Pierre-Olivier Sur, avocat, avec Me Clémence Witt, d'Innocence en danger - une des quatre associations de protection de l'enfance parties civiles au procès -, a qualifié le couple Darras-Sabatier d'"à peu près normal""Pour eux, Marina était un doudou à l'envers, a-t-il estimé. Ils avaient besoin d'elle pour la détruire et c'est de cette destruction que se consolidait leur relation."
Conseil de L'enfant bleu-Enfance maltraitée, Me Vanina Padovani a pointé la faillite des institutions, et plus particulièrement celle du conseil général de la Sarthe destinataire de deux signalements concernant Marina en 2008 et en 2009. Le service d'aide sociale à l'enfance (ASE) qui en dépend n'a déclenché qu'une enquête sociale très tardive. L'avocate a réclamé "la création d'un droit d'ingérence des travailleurs sociaux dans les maisons lorsqu'il y a un signalement", et la multiplication des "unités d'accueil médico-judiciaires".
Entendue dans une de ces structures spécialisées - dont une à été créée au Mans depuis l'affaire - , la fillette aurait pu être sauvée, a estimé l'avocate. "Son comportement gestuel et son rire métallique auraient alors pu être analysés par des professionnels", a expliqué MePadovani, faisant référence à la vidéo projetée à l'audience d'une audition de l'enfant par les gendarmes dans le cadre d'une enquête classée sans suite, faute d'éléments probants, par le parquet du Mans, en octobre 2008. "Des fonctionnaires frileux ont mal évalué la situation de danger dans laquelle se trouvait Marina", a déploré l'avocate.
"MARINA EST MORTE À LA NAISSANCE"
Me Anastasia Pitchouguina, conseil de la sœur d'Eric Sabatier et de l'association La voix de l'enfant, a insisté sur la responsabilité conjointe des parents de Marina dans les faits qui ont entraîné la mort de la fillette. "Vous n'avez eu de cesse de rejeter la faute l'un sur l'autre, sur vos familles, votre passé, votre enfance, mais Virginie Darras et Eric Sabatier ont toujours agi à deux, a-t-elle lancé aux accusés qui, au temps de leur vie commune, s'affublaient des surnoms respectifs de 'mon diable' et 'ma diablesse'. Ce sont vos coups, votre acharnement à tous les deux qui ont fini par tuer Marina."
Pour l'association Enfance et Partage, Me Rodolphe Costantino  a rappelé que "Marina est morte à la naissance". Séparée d'Eric Sabatier à l'époque, Virginie Darras avait en effet accouché sous X affirmant que la fillette était décédée. Avant de la récupérer un mois plus tard et de reprendre la vie commune avec le père de l'enfant... "Virginie Darras ne voulait pas de cette enfant qui symbolisait l'échec de son couple, a tonné Me Costantino. Marina était une tache indélébile dans la vie de cette femme, inscrite sur une page du livret de famille qu'il aurait fallu pouvoir déchirer. Et Eric Sabatier n'a pas trouvé sa place de père, car leur relation était claudicante."
Selon l'avocat, "les tortures infligées étaient une communion, les souffrances de Marina une jouissance partagée" pour le couple. "Ils se sont unis dans le sadisme jusqu'à la déraison, jusqu'à l'abomination, jusqu'au meurtre, a-t-il poursuivi. Ni la présence de leurs autres enfants, ni la crainte d'être découverts, ni les suppliques de Marina, ni ses blessures [ne les ont arrêtés]. C'était plus fort que tout. Il y avait leur histoire, et Marina n'a jamais rien été."
UNE "DÉLIVRANCE"
Juste avant les plaidoiries, la cour présidée par Denis Roucou avait donné lecture de SMS échangés par le couple étayant l'hypothèse de Me Costantino. Le 30 août, dans la perspective d'un énième déménagement pour échapper à la vigilance des enseignants de plus en plus curieux de leurs enfants, Eric Sabatier avait notamment pianoté à Virginie Darras : "Je t'aime. Enfin, une maison pour être heureux avec notre petite famille..." Le corps de Marina, leur fille aînée, était alors recroquevillé depuis trois semaines dans un carton, au fond du congélateur familial.
Dos à une salle d'audience en larmes, Me Costantino a conclu que Marina est "de ces enfants dont on se réjouirait presque de la mort, parce que celle-ci est une délivrance""Elle est passée de vie à trépas dans le silence et dans le froid, a-t-il martelé. Elle est morte comme elle est née. Toute seule."
Le réquisitoire de l'avocat général Hervé Drevard et les plaidoiries de la défense sont prévues lundi 25 juin. Le verdict est attendu mardi 26 juin. Les accusés encourent la réclusion criminelle à perpétuité.

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