samedi 21 avril 2012


Les usagers-patients de la psychiatrie font appel aux futurs élus.

20 Avril 2012 Par guy Baillon
Les usagers-patients de la psychiatrie font appel aux futurs élus.
Guy Baillon, psychiatre des hôpitaux
La souffrance des usagers. (1) Il faut que les futurs élus sachent que la souffrance des usagers de la psychiatrie est encore partiellement méconnue.
Certes les usagers sont le plus souvent des électeurs timides, se manifestant peu, ce n’est que depuis peu qu’ils osent s’exprimer en groupes, ou dans une grande Fédération la FNAPSY, née en 1992. Le plus souvent, isolés, ils ne demandent rien.
Pour cette raison et au moment aujourd’hui où la psychiatrie est si malmenée par l’Etat, il est temps d’être attentif à la spécificité de leurs besoins, encore faut-il les connaître et commencer au moins par comprendre leurs souffrances. D’autant plus que nous avons fait auparavant la même démarche à l’égard de leurs familles.
Certes, dit-on, lors d’une élection ‘présidentielle’ les candidats ne se préoccupent pas, des ‘petits problèmes’, comme la psychiatrie, la prison, la justice, …
Pourtant, chacun le sait, l’un de ces candidats, le Président actuel, s’y est intéressé et s’est même montré d’une rare cruauté : d’une part en ‘prédisant’ (contre les avis des experts) que certains d’entre eux seraient de futurs criminels, ceci lors d’un discours télévisuel exterminateur le 2-12-2008, d’autre part en mettant en acte cette ex-communion sociale par la loi du 5-7-2011. Dans cette loi les malades psychiques sont traités comme des délinquants qui doivent avouer leur ‘faute’ (avouer leur maladie alors qu’ils ne se savent pas malades !) ; en cas de refus, ils se voient internés afin de subir un traitement chimique contre leur gré. La loi prévoyait même que ce traitement obligatoire pourrait se poursuivre à domicile : mais il semble que le Conseil Constitutionnel, saisi, apporte la contradiction à la loi, par une décision publiée ce 20 avril 2012  « la loi ne peut imposer des soins ‘en ambulatoire’ » affirme le communiqué !  Heureusement ! Car, étant sans contrôle, il n’y aurait eu plus aucune limite à la maltraitance chimique.
Pour éviter les abus de ces internements (idée louable) la loi nouvelle a aussi demandé aux juges de vérifier le bien fondé de chaque internement, depuis ces malades sont après 10 jours d’internement envoyés devant le juge. Mais le résultat est inhumain ! Le juge Portelli s’en est publiquement offusqué : il a décrit ce qu’il voyait maintenant, racontant comment des personnes hospitalisées contre leur gré en psychiatrie venaient dans tous les tribunaux solidement encadrées par deux personnes, comme les prisonniers de droit commun qu’ils croisent, menottes aux mains entre deux policiers, les malades se sentent virtuellement enchainés, sans comprendre ce qui leur arrive, mais s’en trouvant profondément blessés. Spectacle qui provoque notre indignation. Dans ce pays où Pussin et Pinel ont, selon les récits de l’époque, libéré en 1793 les malades mentaux de leurs chaines : un tableau le montre à la Faculté de Médecine de Paris, comme une grande victoire médicale ! Deux siècles plus tard les malades sont à nouveau enchainés.
Il faut que les élus sachent aussi que dans les hôpitaux, aussitôt après cette loi, la contention et les cellules se sont multipliées : « Dans son rapport publié le jeudi 19 avril 2012, le Comité de prévention de la torture (CPT), organe du Conseil de l'Europe, relève des dysfonctionnements dans les unités de psychiatrie qu'il a visitées en France : port systématique du pyjama, patients en hospitalisation libre accueillis en pavillon fermé et, souvent, recours abusifs à l'isolement et à la contention ». La France se trouve ainsi reléguée aujourd’hui parmi les pays les plus mal notés d’Europe ! Les avancées de la psychiatrie de secteur ont donc déjà été effacées par cette loi décidée à la suite ‘d’un fait divers’, pour servir en fait la quête éperdue d’une politique dite sécuritaire d’un Président qui voulait déjà asseoir une future élection sur une gigantesque peur, cultivée par ses soins.
Autant de souffrances qui s’ajoutent à la souffrance de fond de chacun des usagers.
Le gouvernement en a ajouté d’autres : dans son Plan de Santé Mentale paru en ce début d’année, le gouvernement a rendu publique son intention de créer des ‘aidants-familiaux’, sur la proposition irresponsable de l’UNAFAM, des familles vont jouer le rôle de contrôleur du soin dans les différents espaces de soin, et seront rémunérés. Les usagers perdront toute confiance en leur famille : ils se sentiront plus dépendants de ces parents qui outre leur rôle familial joueront un rôle officiel dans le soin, étant payés pour cela, tant que leur enfant sera malade ils auront bien du mal à décider que leur enfant va mieux, ce qui reviendra à n’être plus payés !
Les usagers souffrent plus encore de l’autre projet du gouvernement avancé dans ce même Plan, insoutenable, celui des ‘médiateurs de santé pairs-aidants’, désignant de ‘bons malades’ choisis par lui avec pour mission d’inspecter les services psychiatriques de mauvaise réputation ; comme ils seront rémunérés pour cela ils seront incapables de refuser les compromissions dans lesquelles ils se verront entrainés, critiquant mauvais malades et mauvais soignants. Kapo malgré eux.
La psychiatrie a fait depuis la dernière guerre des progrès considérables qu’il s’agit, aujourd’hui à la veille des élections, de demander aux candidats de consolider, alors que la Politique de secteur qui avait rendu possible cette évolution est depuis plusieurs années dégradée par le Ministère de la Santé lui-même, dont certains agents zélés ont été au-delà même des désirs du Président. Il faudra le leur rappeler.
Messieurs les candidats aux élections ! N’oubliez pas au passage que ces électeurs timides sont tout de même relativement nombreux : plus de deux millions. Leurs voix comptent. Ce n’est pas une cause minime.
Et en effet il ne suffira pas de demander l’abrogation de la loi du 5-7-2011 et l’annulation du Plan de Santé Mentale qui la conforte.
Il faudra ensuite élaborer une nouvelle politique de Santé Mentale. Certes celle-ci consolidera la Politique de secteur qui a fait avant ses preuves ainsi que la loi du 11-2-2005 sur le handicap, tout en corrigeant leurs dérives et surtout en redonnant confiance à leurs différents acteurs si malmenés par ce Ministère.
Mais il faudra solidement prendre en compte la réalité de la souffrance des usagers.
Nous avons déjà montré que les psychiatres et la société ne tenaient pas compte de la souffrance des familles, en particulier la violence de leur sentiment de culpabilité inconsciente et leur rivalité exacerbée avec les soignants.
Il nous appartient de faire le même travail avec les usagers.
Leur souffrance est complexe.
Les psychiatres ont pris position sur ce point : ils ne veulent se préoccuper que des troubles, et laissent la question de la souffrance à la charge de chacun. Cette attitude s’explique. La souffrance psychique fait partie de la vie de chacun, soit elle est en relation avec un trouble et va bénéficier des effets de son traitement, soit elle est existentielle et ne doit pas être objet de traitement puisqu’elle est en lien avec la vie. C’est juste, si ce n’est que tout comme les conséquences sociales des troubles psychiques graves se sont montrées telles que des compensations sociales ont paru justifiées (c’est ce qu’apporte la loi de 2005 sur le handicap), les souffrances psychiques des usagers ont aussi besoin d’une attitude psychique accueillante de la part de leur entourage, allant à l’encontre de la stigmatisation par la société.
Nous pourrions différencier ainsi une souffrance psychique objective contemporaine des troubles et donc transitoire, et une souffrance psychique subjective, correspondant à notre souffrance existentielle, mais permanente et malmenée par la division que le trouble psychique grave entraine dans la personnalité des usagers. Il est essentiel de  la comprendre.
Ce sera l’objet d’un second volet.   La souffrance des usagers (2) (suite) 

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