dimanche 8 avril 2012

"Il faut dédiaboliser le marketing hospitalier !"


Caroline Merdinger-Rumpler, maître de conférences à l'École de management de Strasbourg"Il faut dédiaboliser le marketing hospitalier !"

Interview 16.01.12 - 17:28 - HOSPIMEDIA 
Trop souvent, le marketing est assimilé à une manipulation des individus, déplore Caroline Merdinger-Rumpler, sans en percevoir le processus, plus global, visant à connaître un marché, faire des choix puis les accompagner pour que l'action hospitalière réponde pleinement aux besoins et aux attentes.
Hospimedia : "Comment concilier "hôpital" et "marketing" ?
Caroline Merdinger-Rumpler : En France, c'est une association qui fait pour le moins hurler, avec des connotations souvent très péjoratives accolant au marketing les termes "manipulation", "vente", "communication" et "marchand", en conflit total avec la culture professionnelle et la mission de l'hôpital public. L'introduction du management n'y a déjà pas été sans mal. Or, le marketing, c'est aller un peu plus loin encore sur l'affirmation de la relation de son organisation avec le marché. Toutefois, il s'opère souvent sans être nommément appelé "marketing". Certains CHU ou CH disposent d'une direction de la clientèle. Les travaux des Commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUCQ-PC), en s'intéressant aux bénéficiaires d'une prestation et réfléchissant aux processus de création de valeurs, relèvent eux-aussi pleinement du marketing.
H. : Comment se définit-il ?
C.M.-R. : Tout d'abord, par une approche opérationnelle présentant le marketing comme fonction d'une organisation avec tout un ensemble de processus de vente et de communication (distribution, définition de l'offre, fixation des prix...). Puis, l'une des préoccupations de l'hôpital, par une dimension plus managériale : arriver à identifier et choisir ses marchés cibles. À défaut d'être toujours formalisé, c'est en filigrane dans les projets d'établissement avec des prémices plus ou moins aboutis d'analyses de marché : parts de marché, objectifs d'activité, taux de fuite, fidélisation des patients, acquisition de ressources pour attirer le personnel... Un troisième point, beaucoup plus large, définit le marketing comme un processus sociétal à même de créer, offrir et échanger des produits, services et valeurs. Soit, clairement des missions hospitalières.
H. : Les termes "patient" et "client" ne sont-ils pas antinomiques ?
C.M.-R. : Non. Le mot "client" commence à être accepté par le plus grand nombre. Dans la notion de "patient", il y a celles de "client consommateur", "client malade" et "client citoyen". Celle de malade est bien réalisée par les hôpitaux. Celle de citoyen n'apparaît pas. Quant à la notion de "client consommateur", elle émerge dès que le patient exprime ses besoins et est en capacité de faire des choix.
H. : Quelles sont les cibles du marketing hospitalier ?
C.M.-R. : Ce sont les bénéficiaires (patients, proches et résidents en long séjour) et tous les prescripteurs, les médecins adresseurs voire même la concurrence en cas de coopérations, ainsi que les financeurs. Par exemple, l'ARS est un marché cible pour un hôpital dans l'octroi d'autorisations d'activité et de financements d'investissements. Sans oublier le marché cible des praticiens et personnels soignants, des ressources rares sur certaines activités. L'analyse de ces marchés, de leurs besoins et toutes les actions qui en résultent, relèvent clairement du marketing.
H. : Comment cela s'organise-t-il ?
C.M.-R. : Les concepts marketing de base sont "segmentation", "ciblage" et "positionnement". Les actions opérationnelles comptent quatre leviers, les "4P" : prix, produit, promotion (communication) et place (distribution). Le levier prix est contraint sauf pour des prestations de services annexes, où il existe certainement des opportunités de réflexion : facturation des chambres individuelles, menus à tarifs différents, etc. Le produit concerne tout l'environnement physique dans lequel se déroule la prestation de soins : qualité de l'accueil, prestations hôtelières... Mais il reste des freins très forts en termes de culture hospitalière, avec des propos comme "Nous ne sommes pas un hôtel !" Non, l'hôpital n'est pas un hôtel mais offre des prestations hôtelières. S'il n'y a pas possibilité de communication publicitaire, tous les autres leviers hors médias sont mobilisables : brochures d'information, site Internet, événements liés à la vie de l'hôpital... C'est en général la seule action qui est comprise, pas toujours bien formalisée, mais structurée. Enfin, la distribution se partage entre les instances de régulation (ARS) et les hôpitaux. Les ARS ont une préoccupation de choix stratégique de distribution, même sur la manière d'opérer les missions de service public : quelle prestation à quel endroit pour quel type de population avec un raisonnement quasiment de chalandise, quelles collaborations... Ces questionnements touchent chaque établissement : quelle accessibilité sur un territoire donné par rapport à telle population ?
H. : La formation au marketing des décideurs hospitaliers vous satisfait-elle ?
C.M.-R. : Non, il faut renforcer la formation initiale mais surtout dédiaboliser le marketing pour éclairer les acteurs hospitaliers sur les enjeux que représente un positionnement concurrentiel sur leur territoire de santé. L'objectif principal d'un hôpital n'est peut-être pas la rentabilité mais l'équilibrage des comptes financiers est un objectif recherché de tous et le marketing peut assurément les y aider."
Propos recueillis par Thomas Quéguiner

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