samedi 31 mars 2012

Les craquements de doigts étudiés sur 50 ans
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 


A force d'entendre l'antienne "ne fais pas craquer les articulations de tes doigts, ça donne de l'arthrite", un allergologue californien a de la mettre à l'épreuve de la science.
A force d'entendre l'antienne "ne fais pas craquer les articulations de tes doigts, ça donne de l'arthrite", un allergologue californien a de la mettre à l'épreuve de la science. | ASSOCIATED PRESS/LEFTERIS PITARAKIS

Ne louche pas : s'il passe un courant d'air, tu resteras comme ça !" "Cesse de te tripoter, ça rend sourd" (ou bien aveugle, ou chauve, suivant les pays...). Si l'on dressait un palmarès des idées reçues ineptes, les parents décrocheraient haut la main la médaille d'or dans la catégorie "médecine". Sans doute faut-il être indulgent et sentir une inquiétude latente pour la santé des enfants à travers ces phrases toutes faites, dont une des plus célèbres est : "Mange tes épinards, c'est plein de fer !" On a beau savoirdepuis les années 1930 qu'il s'agit d'une légende due à une erreur de virgule qui, mal placée, a multiplié par dix la teneur en fer de cette plante potagère, l'exemple de Popeye - lequel, pour avoir sa dose, aurait mieux fait de mâcher les boîtes de conserve plutôt que leur contenu - a toujours des répercussions dans le cercle familial...
S'il est un médecin qui a été profondément marqué par l'influence de sa parentèle, c'est probablement Donald Unger. Né à la fin des années 1920, cet allergologue californien a très longtemps entendu cette antienne : "Ne fais pas craquer les articulations de tes doigts, ça donne de l'arthrite."Comme il l'a expliqué dans une correspondance publiée en 1998 par la revue spécialisée Arthritis and Rheumatism, cet avertissement lui a été successivement donné par sa mère, ses tantes et, pour finir, sa belle-mère. De quoi renoncer pour toujours à faire exploser les petites bulles de gaz qui se forment lorsqu'on se tord les doigts. Mais Donald Unger est un chercheur dans l'âme. Y avait-il quoi que ce fût de scientifique - ou, au minimum, de juste - dans ce conseil de bonne femme ?
Le mieux était encore de le tester. Sur soi-même. Voici donc le protocole qu'a mis au point notre médecin américain, tel qu'il le décrit dans cette lettre : "Pendant cinquante ans, l'auteur a fait craquer les articulations des doigts de sa main gauche au moins deux fois par jour, en ne touchant pas à celles de sa main droite afin qu'elle serve de contrôle. Par conséquent, les articulations de la main gauche ont craqué au moins 36 500 fois, pendant que celles de la droite n'ont craqué que rarement et de manière spontanée. A la fin des cinquante années, ses mains ont été comparées pour juger de la présence ou non d'arthrite." Résultat d'un demi-siècle d'expérience : aucun signe d'arthrite et pas de différence entre les deux mains.
Donald Unger reconnaît que l'échantillon étudié - cinq doigts d'une seule main - est quelque peu restreint et que, même si son étude au long cours n'a pas montré de lien entre craquements d'articulations et arthrite, il faudrait, pour le confirmerpratiquer le même type d'analyse sur un groupe plus large. Son appel a été entendu puisque, en 2011, un article paru dans le Journal of American Board of Family Medicine a montré que, sur un échantillon de plus de 200 personnes âgées, celles qui se faisaient régulièrement craquer les jointures n'étaient pas plus victimes d'arthrite que les autres.
Quant à Donald Unger, il a, grâce à son étude, connu son quart d'heure de gloire en 2009, en recevant un IgNobel, ce prix couronnant les champions de la science improbable. Alors âgé de 83 ans, il a pris cette récompense avec humour : "Mère, a-t-il lancé vers les cieux, je sais que tu m'entends. Mère, tu avais tort ! Et puisque j'ai ton attention, puis-je cesser de mangerdes brocolis, s'il te plaît ?"


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