lundi 19 décembre 2011



Le Point.fr - Publié le 15/12/2011 à 14:32

Le manuel américain des troubles mentaux déshumanise la médecine et veut à tout prix faire entrer les malades dans des "cases".

Le Pr Maurice Corcos part en guerre contre le fameux DSM (Diagnostic and Statistical Manuel) américain. Ce psychiatre et psychanalyste, qui dirige le département de psychiatrie de l'adolescent et du jeune adulte à l'institut mutualiste Montsouris de Paris, s'insurge contre "le nouvel ordre psychiatrique", tel qu'il est enseigné aujourd'hui dans les facultés de médecine. Et il le fait savoir dans le livre qu'il vient de lui consacrer*. Il regrette la seule prise en compte des faits et donc la disparition de toute interprétation subjective, ce qu'il considère comme une grave régression pour les malades. Et il s'emporte contre la réduction des existences à de simples accidents biologiques.
Dès l'introduction, le ton est donné : "La pensée stérilisée par l'apprentissage à répondre efficacement à des QCM (questionnaires à choix multiples) pour valider leurs examens" réduit les étudiants en psychiatrie à "collecter les symptômes que leur impose le DSM, les additionnant sans fin, puis les soustrayant pour aboutir à un résultat qu'ils livrent joyeux comme le bon élève qui a vaincu une équation à une inconnue. Mais l'équation a plusieurs inconnues et l'homme, surtout quand il devient "fou", sont une machine déréglée qu'aucune check-list ne parviendra à résumer..."

Système pervers

Le Pr Corcos compare le DSM à l'invention d'une notice universelle pour les machines délirantes détraquées, à l'usage de médecins informaticiens phobiques de la clinique... Rien de moins. Avec cet instrument, l'ambition du psy n'est plus d'entrer dans l'expérience intérieure du patient, mais de répondre à son excentricité par une cohérence objective. Ce spécialiste dénonce donc ce système pervers qui a été mis au point pour que les chercheurs des différents pays puissent travailler sur une base de critères diagnostiques commune et ainsi comparer efficacement leurs travaux. Mais les malades, dans tout ça ?
La manière de les observer, Maurice Corcos la compare à celle des touristes qui, dans les musées, les sites archéologiques ou les mariages, passent la plus grande partie de leur temps l'oeil rivé au viseur de leur caméra, sans jamais regarder vraiment ce qui se passe et sans se l'approprier sensoriellement. "Aux tableaux mentaux, ils substituent mentalement des images électroniques, c'est-à-dire un imaginaire virtuel, car sans affect." Le réel n'est donc jamais abordé directement par ces psychiatres, qui se réfugient aussi très souvent derrière des imageries médicales (notamment l'IRM) pour tenter de comprendre la situation.
Les deux premiers DSM (en 1952 et en 1968) étaient "inscrits dans leur époque, où les questions de la subjectivité et du sens n'étaient pas encore considérées comme accessoires", souligne le spécialiste. D'ailleurs, les différents courants de pensée avaient été invités à participer à leur rédaction. Mais, depuis, le monde "scientifique" a pris le pouvoir. L'Amérique est parvenue à promulguer un nouvel ordre mental. L'ultrascientisme, la rentabilité aveugle, la frénésie technologique, voire la barbarie mécanique et froide règnent en maîtres. C'est pourquoi Maurice Corcos espère que les psychiatres - au moins français - vont finir par dénoncer "le nouveau contrat social qui veut les aliéner" et qui tente d'enfermer l'humain dans des cases, afin de répondre aux demandes d'une société qui ne veut plus de désordre ni de folie. Sera-t-il entendu ?
L'homme selon le DSM, éditions Albin Michel, 234 pages, 20 euros

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