jeudi 22 décembre 2011


C'est loin, la nouvelle Terre ?

Décodage | LEMONDE | 03.12.10

Les parents conducteurs connaissent bien cette excitation des derniers kilomètres. Quand l'approche de la fin du voyage accélère le rythme auquel est posée la question venue de la banquette arrière : "Quand est-ce qu'on arrive ?"Ces derniers mois, les astronomes spécialisés dans la détection des exoplanètes, et les journalistes qui rendent compte de leurs découvertes, semblent parfois saisis de la même agitation.

Le périple a pourtant été l'un des plus rapides de l'histoire des sciences : il a seulement fallu quinze années pour que le nombre de détections de ces mondes lointains, en orbite autour d'autres étoiles que notre Soleil, franchisse, fin novembre, la barre symbolique des 500. Mais ce succès fulgurant n'empêche pas la toute jeune discipline de trembler d'impatience à l'approche de ce qui pourrait déjà ressembler à son but : la découverte, parfois annoncée comme imminente, d'un astre dont les caractéristiques se rapprocheraient de celles de notre Terre et permettraient, qui sait, le développement d'une forme de vie.
Course aux résultats et erreurs. L'engouement du public et la passion des médias pour cette hypothèse, à haute teneur philosophique, n'incite pas forcément à la prudence. La course aux résultats, entre équipes désireuses designer des "premières", peut même pousser au dérapage. Ainsi, en octobre, des astronomes américains ont-ils annoncé, en des termes très peu nuancés, la découverte de Gliese 581 g. Celle-ci présentait beaucoup d'avantages : de proportions assez similaires à notre Terre, elle semblait située au beau milieu de la zone d'habitabilité de son système, c'est-à-dire à une distance de son étoile laissant espérer des conditions favorables à la vie.
Gliese 581 g n'a en fait qu'un gros défaut : elle n'existe sans doute pas. Les astronomes de l'Observatoire de Genève, qui utilisent l'instrument actuel le plus précis pour la détection des planètes extrasolaires, ne la voient pas dans leurs données. Ses découvreurs ont eu beau maintenir leurs calculs, l'exoplanète est passée en quelques jours du statut d'astre de toutes les promesses à celui de fausse nouvelle.
Jeu sur les mots et confusion. Un peu plus tôt, cet été, quelques phrases avaient connu un retentissement mondial assez proche de l'annonce de la découverte de Gliese 581 g. Dimitar Sasselov, membre de l'équipe étudiant le satellite Kepler, lancé en 2009, avait annoncé, au cours une conférence, que l'engin américain avait repéré 140 exoplanètes semblables à la Terre. Le creux du mois d'août avait servi de caisse de résonance à ces affirmations avant que leur auteur, dépassé par leur écho, ne leur donne une tout autre sonorité en les corrigeant radicalement.
M. Sasselov a reconnu avoir eu tort de parler d'exoplanètes là où il ne pouvait encore être question que de candidats à ce statut. Surtout, il a regretté d'avoirutilisé les termes "semblable à la Terre" (Earthlike) là où il aurait dû dire "de taille similaire à celle de la Terre" (Earth-sized). Ce qui n'est pas du tout la même chose : une planète peut être de proportions proches de la nôtre et, pour une série de raisons (distance avec son étoile, absence d'atmosphère, faiblesse ou excès de l'effet de serre, par exemple), ne pas présenter, comme Vénus ou Mars, les couleurs bleue et verte associées à la prolifération de la vie.
"Ce jeu sur les mots, cette référence permanente à notre planète crée une grande confusion dans le public", constate Franck Selsis, du Laboratoire d'astrophysique de Bordeaux (CNRS), qui déplore que le terme de "Super-Terre" ait été adopté pour décrire les exoplanètes jusqu'à dix fois plus massives que notre monde, faites de matière solide et non de gaz comme la géante Jupiter. Une équipe américaine a ainsi annoncé, jeudi 2 décembre dans Nature, qu'elle avait réussi, pour la première fois, à obtenir des informations sur l'atmosphère d'un de ces astres, GJ 1214b, qui n'excluaient pas la présence de vapeur d'eau.
La prouesse technique, grâce au Very Large Telescope de l'Observatoire européen austral (ESO), est considérable. Mais le terme de "Super-Terre" dit mal à quel point GJ 1214b, 2,6 fois plus grande et 6,5 fois plus massive que notre planète, peut en être dissemblable. "Il y a un "trou" dans le système solaire,explique Franck Selsis. Il n'y figure aucun astre entre la masse de la Terre et celle, 14 fois supérieure, de Neptune. Du coup, nous avons beaucoup de mal àimaginer combien ces exoplanètes, nombreuses ailleurs, peuvent êtreradicalement différentes de la nôtre."
Une discipline qui explose. Cela n'inquiète pas Didier Quéloz, codécouvreur, en 1995, de la première exoplanète officiellement considérée comme telle. Pour l'astronome suisse de l'Observatoire de Genève, ces erreurs et ces approximations "font partie de la vie de la science". La curiosité du public pour les mondes lointains leur vaut simplement un retentissement plus fort que dans d'autres secteurs. "Notre discipline a explosé depuis dix ans, dit-il. Les observations sont si difficiles, on se situe tellement aux limites de la connaissance et des instruments, qu'il y aura encore beaucoup de tâtonnements et de querelles d'interprétation."
Pour repérer dans le lointain la présence d'exoplanètes noyées dans la lumière de leur étoile, les astronomes sont obligés, la plupart du temps, d'avoir recours à des modes de détection indirects. Les découvertes ne représentent parfois qu'un point sur une sinusoïde, à partir duquel nombre de déductions contradictoires sont possibles. "Je vous parie que le jour où l'on trouvera vraiment une autre Terre habitable, on ne s'en rendra pas compte sur le moment, ajoute Didier Quéloz. Auparavant, on en aura annoncé une centaine qui ne le seront pas."
2011 promet des révélations. Le jour de la découverte de la première planète "de taille similaire à la Terre" approche en tout cas. Le satellite Kepler, qui a pris le relais du Français Corot, est en mesure d'en révéler plusieurs cas dès 2011. Les statistiques jouent en faveur des astronomes : des études ont montré que les exoplanètes cousines de la Terre seraient majoritaires dans notre galaxie, où elles se compteraient par milliards.
Ces astres une fois identifiés, comment s'assurer que la vie est possible sur l'un d'eux ? "Il faudrait des mesures très précises de la composition de leur atmosphère, dit Jean Schneider, de l'Observatoire de Paris-Meudon (CNRS).Cela ne sera possible qu'avec une nouvelle génération d'engins spatiaux, ou peut-être d'énormes télescopes terrestres."
Pour l'heure, ces instruments, au-delà de nos capacités techniques actuelles, n'existent que sous la forme de projets. Ils seront difficilement opérationnels avant une quinzaine d'années. D'ici là, seront lancés plusieurs engins voués àaccroître le nombre de découvertes, qui pourrait plafonner aux alentours des 2 000 exoplanètes en 2020. Le passage du quantitatif au qualitatif, et à la démonstration de la réalité d'une vie extraterrestre, n'aura pas lieu avant cette date.
Tant pis pour les impatients : la route sera encore longue.
Jérôme Fenoglio

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