Les gènes de l’intelligence remis en question
Avec l'explosion des analyses génétiques, de nombreux travaux ont associé des variations dans plusieurs gènes impliqués dans le fonctionnement du cerveau avec le niveau d'intelligence. Prochainement publiée par la revue Psychological Science,une étude internationale revient sur ces "gènes de l'intelligence" : elle a essayé de retrouver leur lien avec le QI en utilisant trois jeux de données indépendants qui totalisent presque 10 000 personnes. En bref, ces chercheurs ont suivi le traditionnel et indispensable chemin de la science : répliquer l'expérience pour voir si l'on aboutit au même résultat.
Pour schématiser, ce genre d'études fonctionne de la manière suivante. On relève certaines variations génétiques dans une population et on regarde si elles ont un impact statistiquement significatif sur les capacités cognitives générales (CCG) des participants, mesurées par différents tests. Il s'agit sans doute d'une définition très restrictive de l'intelligence, mais c'est celle sur laquelle ces chercheurs se sont mis d'accord depuis longtemps.
Les auteurs de l'article à paraître dans Psychological Science se sont concentrés sur 12 variations génétiques et les ont donc traquées dans trois échantillons de populations pour laquelle il existait également une évaluation chiffrée précise de ces CCG. Ils ont tout d'abord travaillé sur les données d'une étude longitudinale dans le Wisconsin qui a suivi des milliers de personnes depuis 1957. Au total, les chercheurs disposaient des données sur ces 12 variations pour 5 571 personnes. Résultat : aucune corrélation significative avec le QI et ce pour toutes les variations ! Le deuxième échantillon comptait un peu moins de monde (1 759 personnes) et était extrait de la Framingham Heart Study, une étude célèbre qui surveille depuis 1948 la santé de milliers d'habitants de la ville de Framingham, dans le Massachusetts, censée être représentative de la population américaine. L'objectif premier consiste à s'intéresser aux maladies cardio-vasculaires et à leurs causes, mais des prélèvements à des fins génétiques ont également été effectués. Sur les 12 variations retenues, 10 étaient documentées et 1 seule s'est avérée liée à une augmentation statistiquement significative des capacités cognitives. Pour le troisième et dernier échantillon, l'étude est allée chercher des données en dehors des Etats-Unis en choisissant de piocher des informations dans le registre des jumeaux suédois. Là encore n'étaient disponibles que 10 des 12 variations génétiques. Résultat : aucune corrélation avec les CCG pour aucune d'entre elles. Le seul gène s'approchant d'un résultat significatif était le même que pour l'échantillon de Framingham mais... la corrélation avec l'intelligence marchait dans l'autre sens, dans le sens d'un QI plus bas !
Comme le disent très bien les auteurs de cette étude dans leur conclusion,"le contraste entre le résultat attendu de la littérature et le résultat que nous avons effectivement obtenu dans notre enquête est frappant". Sur 32 vérifications, 31 ont échoué et la seule variation génétique qui ait réussi à franchir l'obstacle n'a pu le faire que sur un seul des trois tests... Autant dire que les expériences qui ont permis, à une certaine époque, d'affirmer que les 12 variations génétiques en question étaient significativement liées à une amélioration du QI étaient toutes des "faux positifs". Comme le suggère l'article, ces résultats erronés sont très probablement dus au fait que "les études originales que nous avons cherché à répliquer ne disposaient pas d'échantillons de taille suffisante".
Il ne faut pas en conclure pour autant que rien, dans les capacités cognitives, ne se transmet de manière génétique. En compilant et analysant des centaines de milliers de données, les auteurs de cette étude confirment que les variations génétiques sont responsables de près de la moitié des variations de QI entre individus, un chiffre déjà avancé par un article paru dans Molecular Psychiatry en octobre. Mais contrairement à ce que l'on constate dans certaines maladies génétiques comme la myopathie de Duchenne, l’hémophilie ou la mucoviscidose, il ne faut pas chercher l'action d'un gène unique. Tout comme dans le cas de la taille d'un individu pour laquelle intervient tout un cocktail de gènes, la part génétique de l'intelligence est le produit de nombreux facteurs, chacun intervenant probablement de manière modeste en parallèle avec l'éducation, l'affection et l'attention des proches, le milieu socio-culturel, etc.
"A l'époque où la plupart des résultats que nous avons essayé de répliquer ont été obtenus, lit-on dans la conclusion de cette instructive étude, les travaux sur des gènes candidats à l'explication de traits complexes étaient courants dans la recherche génétique. De telles études sont désormais rarement publiées dans les revues importantes. Nos résultats ajoutent le QI à la liste des caractères qui doivent être approchés avec une grande prudence dès lors qu'il s'agit d'évaluer des associations génétiques. (...) Les associations de gènes candidats avec des traits étudiés par la psychologie ou d'autres sciences sociales doivent être considérées comme des tentatives tant qu'elles n'ont pas été répliquées dans plusieurs grands échantillons. (...) La dissémination de faux résultats en direction du public risque de créer une perception incorrecte de l'état des connaissances dans le domaine, spécialement pour ce qui est de l'existence des gènes "de quelque chose"." Par conséquent, quand certains journaux (scientifiques ou pas) titreront sur le gène de l'infidélité (très élégamment baptisé "gène de la salope" par Fox News), sur celui dela prise de risques financiers ou sur celui de la délinquance violente, méfiez-vous un peu...
Pierre Barthélémy
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