mercredi 9 novembre 2011


Sibylline raconte l’hôpital psychiatrique

Posté par  le 7 nov 2011 dans À la uneMagazine • Pas de commentaires
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Après l’érotique Premières Fois et le joli conte Le Trop Grand Vide d’Alphonse Tabouret, Sibylline change radicalement de registre. À 33 ans, elle revient sur un des épisodes les plus douloureux de sa vie : ses quelques semaines d’hôpital psychiatrique après une tentative de suicide, à l’âge de 17 ans, une décennie après le propre suicide de sa mère. Magistralement dessiné par Natacha Sicaud, Sous l’entonnoir est tour à tour instructif et flippant, toujours juste et touchant. Rencontre avec une jeune femme qui occupe toujours un poste de standardiste chez Delcourt, et qui ne sent toujours pas scénariste. À tort, ce livre en est la preuve.


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Comment en êtes-vous venue à raconter cette histoire, votre histoire ?
Après Premières Fois et son succès, j’ai ressenti un énormevide. Je me suis dit que je n’y arriverai plus, et dans le même temps, je ressentais le besoin impérieux de faire à nouveau des livres pour le bonheur qu’ils apportent. Mon éditeur, David Chauvel, m’a alors dit : « N’attends pas de pondre Guerre et paix, écris n’importe quoi, mais écris ! »J’ai suivi ses conseils, et comme j’avais déjà vaguement l’idée de parler un peu de mon histoire, j’ai choisi d’évoquer ce mois d’internement à Sainte-Anne. Et rapidement, à ma grande surprise, David Chauvel s’est enthousiasmé pour ce projet.

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À quelles difficultés vous êtes-vous heurtée?
Pour moi, écrire est toujours un acte hyperdouloureux. Je ne sais pas comment faire, je ne connais pas les trucs… et ça me fait peur. Même pour ce livre-là, alors que c’est quand même un peu de la triche, car je connais forcément cette histoire par coeur… D’ailleurs, ce fut sans doute ma plus grosse appréhension durant l’écriture : je ne trouvais pas mon récit intéressant, il m’ennuyait, je me demandais ce que les lecteurs pourraient bien y trouver.

Mise à part votre expérience, le sujet de la psychiatrie vous intéressait-il ?
Pas tellement. Pour moi, l’épisode de Saint-Anne fut comme un bon coup de pied aux fesses, pour me dire qu’il fallait que je fasse en sorte d’aller bien. C’est très loin tout ça… Mais entre temps, je suis devenue amie avec une psychiatre, et discuter des relations entre médecins et patients m’a beaucoup intéressée.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre séjour en hôpital psychiatrique ?
La contention. Le sentiment terrible de comprendre à quel point on perd tout pouvoir décisionnaire et physique et que c’est un inconnu qui va décider à notre place. C’est l’enfer. Et puis, il y a l’ennui. Ces journées qui s’étirent, qui n’en finissent pas… Le silence aussi, et la difficulté de se concentrer sur quoi que ce soit, notamment à cause des médicaments.

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Il y a les autres patients aussi. Dans le livre, on sent un danger planer…
C’est surtout parce que les autres sont imprévisibles et qu’on ne connaît pas leur pathologie. Certains sont dépressifs, d’autres profondément déconnectés de la réalité, et on ne sait pas comment interagir avec eux. Et certains sont grands et forts, et peuvent être impressionnants. C’est comme quand on se promène tard le soir dans un endroit inconnu en se demandant qui on va croiser. Ou quand on est dans la salle d’attente d’un médecin et qu’on se demande s’il vaut mieux s’asseoir à côté de la dame qui a l’air d’avoir une gastro ou du type qui crache ses poumons. Et cela, tous les jours, à chaque instant.

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Votre livre cherche-t-il à dénoncer ce mode de prise en charge ?
Pas du tout, c’est vraiment un livre de souvenirs, et je suis même retournée à Sainte-Anne pour récupérer mon dossier et chercher à légitimer ma démarche. Il y a une grande différence entre le ressenti d’une ado mal dans sa peau qui sort d’un mois d’internement, et mon point de vue aujourd’hui : j’enverrai la Terre entière voir un psy, c’est super utile ! C’est d’ailleurs curieux ce truc honteux, en France, avec les maisons de repos ou les cliniques privées. En Angleterre ou aux États-Unis, on peut annoncer sans honte qu’on part un mois se reposer, en cure, en désintox, car on n’en peut plus. Ici, ça ne se fait pas, c’est dommage.

Sortir Sous l’entonnoir, quinze ans après les faits, est-ce une façon de tourner définitivement la page ?
Je n’ai pas l’impression d’avoir fermé ou réparé quelque chose avec ce livre, ni même d’avoir réglé des comptes… Mais quand je dis ça, ma copine psy me traite d’hypocrite ! Il y a sans doute un processus à l’oeuvre…

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Comment s’est passé le travail avec Natacha Sicaud ?
Je me suis sentie un peu coupable de lui confier une histoire si peu drôle et si personnelle… Car je voulais qu’elle puisse s’approprier vraiment l’histoire. Et puis elle m’a demandé si je voulais qu’elle donne mes traits à l’héroïne, que j’avais baptisée Aline pour créer une distance. Je lui ai dit de faire comme elle le sentait, et finalement c’est bien moi dans l’album, ça fait bizarre… Ce que j’aime dans le dessin de Natacha, c’est son intelligence des postures et des corps.

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D’où vient ce titre, un peu étrange au premier abord, Sous l’entonnoir ?
Au tout début du projet, le livre devait s’appeler HP. Mais je rencontre alors Lisa Mandel, nous échangeons sur nos projets respectifs et j’apprends qu’elle s’apprête aussi à sortir un livre intitulé HP ! Ensuite, pendant presque deux ans, nous n’avons pas trouvé autre chose. Et puis, quand c’est devenu un petit peu urgent de donner un titre au livre, nous avons commencé à faire des blagues. Nous nous sommes inspirés des classiques de la littérature française. Par exemple : « Longtemps je me suis couché de bonheur, mais ce n’était pas ma faute, c’est parce que je prenais des médicaments. » Bref, nous avons quitté Proust pour Zola, sommes tombés surL’Assommoir… qui a ensuite fait apparaître L’Entonnoir. Et David Chauvel a suggéré Sous l’entonnoir. Au final, j’adore ce titre !

Propos recueillis par Benjamin Roure

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