mercredi 2 novembre 2011


SDF : La situation est alarmante

Une enquête révèle qu’un tiers des sans-domicile présente des troubles psychiatriques sévères. Un constat préoccupant qui va à l’encontre des idées reçues.
Les troubles psychotiques, de type schizophrénie, concernent 13 % des SDF
Les troubles psychotiques, de type schizophrénie, concernent 13 % des SDF SIPA
On les croise sans les voir. Pire, on détourne les yeux. Ivres, puants, laids, en un mot, dérangeants. Les sans-abri nous renvoient à nos pires angoisses d’isolement, d’abandon, de précarité. Et surtout de perte de la raison. En effet, dans le métro ou le long d’un trottoir, nous butons contre ce type qui invective un interlocuteur invisible, ou cet autre déclamant de grandes tirades sur la société, le complot des puissants ou toute autre obsession connue de lui seul, sans susciter le moindre écho des passants. Ils nous font rire… jaune. Ils nous effraient un peu, aussi.
Est-ce la rue qui conduit à la folie, ou la folie qui conduit à la rue ? La question se trouve au cœur de l’étude Samenta (santé mentale et addictions chez les personnes sans logement d’Ile-de-France), menée par l’Observatoire du Samu social et l’Inserm. Une première parmi les recherches effectuées régulièrement auprès des sans-abri.
Les épidémiologistes ont travaillé en remettant volontairement en cause l’assimilation habituelle entre folie et exclusion. Or, malgré cette démarche, ils ont observé une surreprésentation des troubles psychiatriques sévères par rapport à la population générale. « Un tiers environ des SDF présentent des pathologies mentales. Mais le plus impressionnant, ce sont les troubles psychotiques, de type schizophrénie, qui concernent 13 % d’entre eux, c’est-à-dire dix fois plus que dans la population générale ! », constate Anne Laporte, épidémiologiste au pôle prévention et promotion de la santé de l’ARS (agence régionale de santé) d’Ile-de-France. Les psychiatres de l’enquête ont également diagnostiqué 21 % de troubles de la personnalité, contre 4,4 % de moyenne nationale.

Les troubles graves entraînent l’exclusion

« La plupart des sans-abris qui ont des problèmes psychiatriques présentaient déjà ces symptômes avant de se retrouver à la rue, affirme Anne Laporte. On peut même considérer que c’est ce qui les a mis en situation d’exclusion sociale. » De fait, les personnes présentant des pathologies mentales graves, s’ils ne sont pas soutenus par leur famille, ont des difficultés à conserver un emploi, un logement, une vie sociale. Or, si on constate généralement dans la population SDF un grand nombre d’enfances difficiles, constellées de ruptures, de maltraitance ou de placements en foyer, ce que l’enquête Samenta révèle, c’est que ces caractéristiques s’appliquent essentiellement à ceux en souffrance psychiatrique, « ce qui confirme un risque important de désocialisation chez les personnes atteintes de troubles psychiatriques actuellement insérées », s’inquiète l’épidémiologiste. Lors du colloque international « Santé mentale des sans-domicile : un état des lieux préoccupant », qui s’est déroulé mardi et mercredi à Paris, des solutions ont été envisagées. « Les deux tiers des malades ont eu recours aux soins à une période de leur vie, mais 18 % seulement sont encore suivis, note Anne Laporte. Il est urgent de repérer la souffrance psychiatrique. L’ARS donne la priorité à la prévention de l’exclusion sociale en aidant ceux qui ont encore un travail et un logement à le conserver. » L’ARS projette également de financer la formation des travailleurs sociaux des associations qui prennent en charge les SDF afin de repérer les personnes atteintes et de les confier aux équipes mobiles de Psychiatrie et précarité.

Sans parler du risque suicidaire trois plus élevé

Par ailleurs, les sans-abri qui ne sont pas concernés par ces pathologies, montrent des profils qui se rapprochent beaucoup plus des populations résidant dans les quartiers ouvriers ou dans les zones urbaines sensibles. « Si l’on compare les caractéristiques des SDF et des précaires, on retrouve la même proportion d’événements de vie difficiles, explique Anne Laporte, ce qui confirme qu’il existe une continuité entre du logement à la rue chez les plus fragiles. »
Hélas, une bonne santé mentale ne signifie pas « zéro trouble ». Dépression (12 pour cent), alcoolisme (21 pour cent), drogue (16 pour cent) sont tous observés dans des proportions plus importantes que dans la population générale. Sans parler du risque suicidaire trois plus élevé.
Des chiffres rébarbatifs, impersonnels, qui masquent la détresse majeure de dizaines de milliers d’êtres humains réduits à un acronyme : SDF. « Ceux-là, déplore Anne Laporte, ont développé leur pathologie dans la rue, à force de solitude. »

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