mercredi 2 novembre 2011


Premiers pas d'une loi sur les soins psychiatriques et le contrôle des internements

le 28/10/2011par Dossier : Grégory Lobjoie et Annick Woehl

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Au centre hospitalier de Rouffach, Thérèse Bailly, juge au tribunal de grande instance de Colmar, tenait audience lundi avec sa greffière. Photo Hervé Kielwasser
Au centre hospitalier de Rouffach, Thérèse Bailly, juge au tribunal de grande instance de Colmar, tenait audience lundi avec sa greffière. Photo Hervé Kielwasser

Depuis août, pour certaines hospitalisations sous contrainte ou sans consentement, le juge mulhousien des libertés et de la détention, accompagné de sa greffière et d’un avocat, tient audience, le jeudi, dans les hôpitaux psychiatriques de la région mulhousienne.

« Bon, nous sommes au complet. On peut aller prendre la voiture du tribunal. » Ziad El-Idrissi, nouveau juge des libertés et de la détention (JLD) de Mulhouse, est également chauffeur d’un taxi pas comme les autres, certains jeudis après-midi. Avec sa greffière et un avocat, ils se rendent dans les hôpitaux psychiatriques de la région mulhousienne pour rendre visite à des malades internés sous contrainte ou sans leur consentement.
« Notre rôle est de contrôler le fond du dossier, explique Ziad El-Idrissi. Il faut être clair : on en discute en amont avec les médecins pour savoir de quoi on parle. » À Mulhouse, la justice a décidé d’aller vers les malades, et non l’inverse. « C’est plus commode pour les hôpitaux, avoue Ziad El-Idrissi. Et je trouve cela normal. »
Arrivée à Altkirch, au centre médical du Roggenberg, le 10 e secteur de psychiatrie du Haut-Rhin, pour la première audience. Elle se passe au 3 e étage, dans une salle de réunion. « La malade ne souhaite pas d’avocat », lance une infirmière. « Cela arrive très souvent, répond le JLD. Allez-y, Maître, et expliquez-lui. » Pour le barreau de Mulhouse, c’est M eChristelle Hardouin qui s’y colle en ce jour. Pendant ce temps, la greffière, Pauline Pelissier, branche l’ordinateur portable du tribunal, avant de prendre des notes en direct lors de l’audience.
« Nous sommes prêts », lance M e Hardouin, après que sa nouvelle cliente a accepté son « aide ». Cette dernière, hospitalisée sous demande d’un maire, explique calmement pourquoi elle se retrouve « enfermée ». « Et avec les médecins ? », lui demande Ziad El-Idrissi. « Avec les infirmières, ça va, mais je ne veux pas trop parler aux psychiatres, répond la patiente. Je sais ce que j’ai fait. Mais je ne comprends pas pourquoi on me garde… » L’audience est suspendue le temps du délibéré. « Madame, je pense que vous allez rester encore quelques jours à l’hôpital, trancheZiad El-Idrissi. Discutez avec les médecins et tout se passera bien. »
Direction l’hôpital du Hasenrain à Mulhouse pour la seconde audience. Elle ne se passe pas au service de psychiatrie de l’hôpital, mais au 1 er étage du bâtiment de la direction. Cette fois, il s’agit d’un homme hospitalisé à la demande d’un des membres de sa famille. Alors que l’on pouvait se demander, lors du premier dossier, pourquoi la patiente était hospitalisée, la question ne se pose pas pour celui-ci : ses propos sont totalement incohérents. Avec diplomatie — normal puisque cet homme se prend pour un diplomate —, le juge motive sa décision. « Je comprends ce que vous me dites, mais je pense qu’il faut que vous restiez ici. Vous allez être très bien soigné. Respectez ce qu’on vous demande et tout ira bien. »
Cinq dossiers étaient prévus : deux seulement ont été traités. « Soit les médecins ont très bien fait leur travail, sourit Ziad El-Idrissi, soit les patients ont finalement été d’accord pour être hospitalisés. »
le 28/10/2011 à 05:01 par Dossier : Grégory Lobjoie et Annick Woehl





Vilipendée ou approuvée

le 28/10/2011

La loi sur la psychiatrie a soulevé une très vive polémique, principalement du côté des psychiatres. Une pétition contre elle a réuni plus de 10 000 signatures. Pourtant, plusieurs de nos interlocuteurs la défendent.
Pour Sonia Garrigue-Peress, présidente du TGI de Colmar, « cette loi n’est pas répressive dans son principe qui est déjà appliqué dans d’autres pays. Mais on est au milieu du gué. Je suis pour la suppression des arrêtés préfectoraux pour les hospitalisations d’office. Je suis pour l’institution d’un juge dédié qui décide de tout : du placement d’office, des levées… Je pense que cela va évoluer jusque-là. On sera alors purement dans la question de la liberté. »
Le directeur de l’hôpital psychiatrique de Rouffach est plus que ravi d’être interviewé à propos de la loi sur la psychiatrie : « Enfin ! », s’exclame-t-il avant de maugréer : « Les médias n’ont écouté que les opposants. » Pierre Wesner parle de « grande innovation », d’avancée en termes de liberté, de droits du malade.
« En 2010, 42 patients de chez nous ont demandé la levée de leur placement, le JLD [qui avait déjà cette compétence] a prononcé trois levées. Depuis début août, excepté une situation de désaccord entre le préfet et le psychiatre, tous les malades ont été maintenus. Ce qui prouve bien que nous ne sommes pas un établissement où on enferme les malades, mais un établissement où on les soigne. Et que s’ils sont là, c’est qu’ils ont besoin d’être soignés. C’est mon message fort. »
Pour le directeur, il semble que le contrôle d’un juge démontrera au fil du temps l’inexistence de placements abusifs et la bonne qualité de l’hôpital haut-rhinois. « On peut toujours dire liberté, liberté individuelle, je vois qu’elle est parfaitement garantie puisque le JLD intervient, que le malade peut donner son avis. »
Le dr Paul Bailey dirige une unité fermée à Rouffach. Contrairement aux quelque 30 000 signataires d’une pétition contre la loi sur la psychiatrie, il se déclare plutôt favorable au nouveau texte. « Le principe est bon, on peut critiquer une mise en œuvre un peu bureaucratique. Il est positif que chaque hospitalisation soit revue par un juge des libertés ». Concernant la levée de boucliers, il commente : « Ce type de dispositif existe dans la plupart des pays européens. En Angleterre, en Allemagne, c’est la France qui était jusqu’alors dans une situation particulière. Mais, je peux comprendre, c’est discutable… Je me demande si cela n’a pas à voir avec la culture française et sa grande séparation entre la santé et la justice. Pour moi qui suis britannique, cette loi est une garantie supplémentaire pour les droits des patients ».

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