mercredi 7 septembre 2011


Lacan ou la portée historique de la psychanalyse
entretien avec Julia Kristeva
  Kristeva Le Point Lacan

Vous arrivez en France en 1966. Que représente alors pour vous Lacan ?

Un événement qui, comme la psychanalyse, fascine et dérange.  Je préparais une thèse sur le Nouveau Roman et j’ai rencontré Philippe Sollers qui m’a emmenée aux séminaires de Lacan.  Lévi-Strauss avait « structuré » les mythes et l’échange des femmes dans les sociétés dites primitives. Benveniste confrontait la linguistique structurale et générative à l’inconscient freudien et au panthéon indo-européen ; Goldmann  remontait de Marx à Hegel ; la délicatesse de Barthes, attentif à Tel Quel, énervait beaucoup la Sorbonne; Derrida, lui aussi à l’écoute  de ces expériences de langage,  réécrivait la phénoménologie de Husserl et Heidegger en grammatologie. Mais l’événement c’était Lacan.  Il ne professait pas les classiques, ne récitait pas du préfabriqué, mais prêtait sa présence et sa parole aux rêves et aux angoisses  de son auditoire, pour les transformer en pensée. Et cette pensée se construisait à haute voix devant nous, dans la chair d’une  langue française aussi exigeante qu’onirique. J’avoue qu’au début le rituel théâtral, mi-surréaliste mi-catholique, de ce grand bourgeois me soulait. Mais puisque j’ai un seul vice, la curiosité, j’ai essayé de comprendre. Je me suis donc accrochée, et toujours avec  les lumières de Sollers j’ai suivi son séminaire à l’Ecole normale, puis à la Fac de Droit.

Vous vous êtes alors lancée dans la psychanalyse ?

Pas toute de suite. J’ai d’abord commencé par lire Freud puisque son enseignement s’intitulait « Retour à Freud ». Mon éducation en Bulgarie m’avait orientée vers la philosophie allemande, mais ma connaissance du freudisme se limitait à la traduction bulgare de L’interprétation des rêves que mon père avait pris soin de me faire lire, non sans l’avoir caché dans « l’enfer » de la bibliothèque familiale, car la psychanalyse était à l’Est considérée comme une science bourgeoise…

Lacan est devenu l’ami du couple que vous formez avec Philippe Sollers. Comment se comportait-il avec la jeune intellectuelle que vous étiez.

  « Ami » c’est trop dire et quant au  « couple», la psychanalyse en fait une perpétuelle refondation. Chacun de nous entretenait avec Lacan des amitiés  fondées sur une réelle séduction intellectuelle.Lire la suite ici

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