mercredi 29 juin 2011

Psychiatrie : un lourd transfert sur les familles



La réforme de la loi sur les soins sans consentement innove en obligeant un malade à se soigner en dehors de l'hôpital. Ce qui n'est pas sans conséquence sur la responsabilité sanitaire et sociale des familles, analyse Hélène Davtian, psychologue clinicienne et thérapeute familiale.

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Lors des débats autour de la révision de la loi de 90, la question de ses effets sur la dynamique familiale a été peu évoquée. Dans le prolongement du travail que j'ai mené autour de la prise en compte de l'entourage des patients en psychiatrie et en particulier de leur entourage jeune voici quelques éléments de réflexion.


Tout d'abord il ne faut pas nier la dimension purement économique de cette approche déjà à l'œuvre dans d'autres pathologies (cancer, sclérose en plaques, AVC,..). Le basculement des soins de l'hôpital vers la cité, et plus précisément vers l'entourage familial, est une tendance forte dans lequel s'inscrit cette loi qui acte que les familles peuvent être une alternative à l'hôpital psychiatrique. La charge des familles en psychiatrie n'était-elle pas déjà suffisante ?


Les temps d'hospitalisation du patient représentaient pour les familles un temps de récupération et de répit où elles pouvaient être un peu attentives à leurs besoins et en particulier à ceux de l'entourage jeune ; avec cette loi, ce temps si précieux pour l'équilibre de chacun sera encore rogné. Et l'on semble oublier que ce temps de récupération des familles, après le stress intense vécu lors de la montée de la crise, est essentiel pour le patient lui-même. De nombreuses études (Julian Leff en particulier) ont établi une corrélation montrant que plus le niveau de stress était important dans la famille, plus le taux de rechutes était important pour le patient. Donc l'intérêt porté à l'entourage est aussi un intérêt porté au malade.


Concernant les familles en psychiatrie, l'augmentation de la charge sera de plus majorée par le fait qu'on attendra d'elles de gérer l'ordre public. En effet, si un malade commet un délit alors qu'il est en soin ambulatoire sans consentement chez ses parents, vers qui se tournera la victime pour demander justice ? Qui sera accusé de ne pas avoir alerté assez tôt, de ne pas avoir suffisamment surveillé les allées et venues du malade, voire de l'avoir laissé sortir ? L'Etat se dédouane des risques sécuritaires sur les familles alors qu'il rogne sans cesse sur les budgets de suivi et de soin aux malades et qu'il ne soutient pas les projets d'accompagnement des familles.

Sur le plan de l'organisation des soins ambulatoires sans consentement, les choses restent floues sur le qui fait quoi. Est-ce que ce sera aux membres de l'entourage de surveiller les entrées et sorties du malade ? La famille sera-t-elle placée dans un rôle de surveillant de son proche ? Sera-t-elle auxiliaire des soins (distribution des médicaments, hygiène corporelle,...), doit-elle assurer le gîte et le couvert (fonction qu'assure l'hôpital) ? Si le malade a un logement indépendant, attend-t-on de son entourage une action quelconque ?

En bref, qu'est-ce qui reste à la charge des soignants et qu'est-ce qui est à la charge de l'entourage ? Si l'on pousse plus loin : les aidants familiaux pourront-ils prétendre à une rétribution de leurs services (ce pour quoi milite l'association des aidants familiaux)? On peut imaginer que ceci aura forcément des répercussions sur les relations et le climat familial.


Pour en revenir précisément à la question du sans-consentement, on sait que majoritairement ces situations de danger pour autrui se jouent en direction de l'entourage proche et familial. Or, on légifère sur des événements intervenus dans l'espace public (Grenoble...), alors que la question du danger sur autrui dans la psychose relève le plus souvent de la sphère intime : résultat, on renvoie les malades dans le lieu où ils sont le plus susceptibles d'être violents. Il y a donc un paradoxe que beaucoup de familles que j'ai suivies vivent déjà « votre fils est trop malade pour notre structure, on ne peut pas le gérer, reprenez-le » ; « votre frère est trop dangereux, on n'a pas les moyens de le prendre en charge ». En dix ans de travail auprès des familles, j'ai en tête de nombreux drames dans les familles.

Ce paradoxe vient aussi d'une méconnaissance de la nature de cette violence par ceux qui légifèrent. Tant que cette violence sera traitée comme un acte délinquant à éradiquer, les réponses seront absurdes et inefficaces.


Ce paradoxe en effet est encore plus flagrant en direction de l'entourage jeune des patients (enfants et frères et sœurs). Alors que, du fait de leur jeune âge, ils n'ont pas la possibilité de visiter leur proche malade quand il est hospitalisé, les soins ambulatoires sans consentement feront qu'à l'extrême ils seront dans un contact quotidien avec lui au moment où ses symptômes et son angoisse le débordent et sont projetés sur son entourage. Ils étaient tenus à l'écart, ils seront inclus : deux positions tout aussi excessives et dangereuses.

Il faudrait au minimum exiger, avant de prendre une décision de soin en ambulatoire sans consentement, que l'on prenne en compte la configuration familiale et que l'on travaille avec tous les membres de la famille qui vivent sous le même toit (et pas uniquement ceux qui sont en position adultes de décideurs et d'interlocuteurs).

C'est à la société et aux adultes de protéger les jeunes. Cette loi renforce leur proximité avec la souffrance psychotique et nie ses retentissements sur la santé et l'équilibre de ces jeunes. En évacuant cette question, elle va totalement à l'encontre du travail que l'Unafam avait amorcé en direction des jeunes proches.


Enfin, concernant le climat familial, on peut se demander sur qui porte le non-consentement, sur le patient ou sur ses proches, et qu'en est-il si un des proches vivant sous le même toit ne se sent pas en capacité d'assurer cette charge, est-ce à lui de partir ? (C'est ce que font beaucoup de frères et sœurs: « je lui ai laissé ma famille et moi je n'en ai plus », ai-je entendu). Par ailleurs mettre l'entourage et notamment les jeunes en position de choisir peut les plonger dans des conflits de loyauté vis-à-vis de leur proche malade qui seront très couteux psychiquement et affectivement: « si tu refuses, à cause de toi je serai obligé de rester à l'hôpital ».

Mais surtout on sait que pour une personne souffrant de troubles psychotiques, toute intrusion dans son intimité est une violence. Violence qui peut en engendrer d'autres et le plus souvent envers elle-même. Leur seul refuge est leur chambre, leur studio. Faire de leur seul lieu d'intimité un lieu possible de privation de liberté me semble éthiquement contestable et représente une solution de court terme qui se paiera dans le long terme. Que leur restera-t-il comme espace de liberté : la rue, l'errance ?

On peut anticiper une augmentation du recours au sans consentement, car à quoi bon s'en priver alors que c'est si simple et que ça dédouane les soignants mais bien plus la société et les politiques.
Certes par cette loi les familles peuvent se sentir reconnues, mais à quoi bon être reconnu si le renforcement de la charge augmente et si cela induit une instrumentalisation des aidants familiaux?

Par ailleurs, quelles contre parties seront exigées à l'aide fournie gratuitement par les familles (d'ailleurs cette aide n'a-t-elle jamais été évaluée depuis la réduction des lits en psychiatrie : De 300 jours par an en moyenne par patient à moins de 30 jours de soin en institution actuellement?) ? Accès gratuit à des groupes de parole? Psychothérapie de soutien (comme dans certains réseaux ville hôpital pour le cancer)? Appui professionnel pour soutenir les familles dans les démarches d'hospitalisation en cas de crise comme le propose la Ffapamm, (équivalent de l'Unafam au Québec) ? Ou juste des ateliers d'entraide fonctionnant sur la bonne volonté d'une poignée de bénévoles, mais qui permettent à l'état de dire: « on vous a aidé, maintenant débrouillez-vous ».

Il faudrait arrêter de banaliser les troubles psychotiques en niant leur dimension projective. En cette période où l'on fait face aux effets d'une crise nucléaire majeure, je dirai que le trouble psychotique a ceci de bien particulier qu'il émet des radiations sur l'entourage, parfois sans laisser de traces apparentes. « J'ai absorbé ses délires comme une éponge », « j'étais la confidente de tous ses délires » sont des phrases qui revenaient constamment dans mon travail auprès des jeunes proches. Toutes les équipes soignantes en psychiatrie le savent, le Dr Racamier dans sa formation aux équipes le disaient: « celui qui côtoie le malade peut avoir la sensation de vivre en perpétuel déséquilibre, dans l'incertitude, l'étrangeté, la perplexité, de ne rien comprendre, d'être dans le flou et la confusion ». On ne peut pas exposer les familles et notamment les jeunes mineurs de l'entourage du malade sans soutien, sans information spécifique, sans temps de répit.

Le plus étonnant, c'est que le pendant de cette banalisation pour les familles est la dramatisation de chaque fait divers impliquant une personne souffrant de troubles psychotiques. Comme me disait un garçon de 13 ans dont le père souffrait de troubles bipolaires sévères « pourquoi il existe des cellules psychologiques quand il y a un accident et pour moi il n'y a rien! ».

Banalisation à l'intérieur des familles, dramatisation sur l'espace public : il faut sortir de ces positions extrêmes et infondées et arrêter de légiférer sur l'émotion. Il faut prendre toutes les données du problème, être attentifs à toutes les personnes impliquées dans la situation. Rassembler et non pas diviser.

Hélène Davtian, psychologue clinicienne et thérapeute familiale.
A été pendant 10 ans au siège national de l'Unafam
chargée du développement de l'aide aux familles en psychiatrie.

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