dimanche 8 mai 2011

Polémique au vitriol sur un médicament de la dépendance aux opiacés
Publié le 02/05/2011  

Les polémiques violentes sont rares dans les colonnes des grandes revues médicales. Et il n’est donc pas étonnant qu’elles attirent l’attention des lecteurs…et du Jim.

L’article du Lancet qui fait débat aujourd’hui est signé par une équipe russo-américaine de spécialistes de la toxicomanie aux opiacés (1). En résumé, Eugène Krupitsky et coll. ont cherché à évaluer l’intérêt clinique d’un traitement par de la naltrexone retard injectable (XR-NTX) chez des toxicomanes aux opiacés sevrés. La naltrexone est un antagoniste des opiacés (récepteur µ) qui, dans sa forme orale a reçu une AMM en France pour le soutien à l’abstinence des patients alcoolodépendants. Elle a été utilisée également pour le maintien du sevrage aux opiacés mais ses résultats ont été généralement médiocres en raison d’une mauvaise observance au long cours chez les patients traités en ambulatoire. De ce fait un laboratoire américain, Alkermes, a développé une forme injectable retard de la molécule ne nécessitant qu’une administration intramusculaire mensuelle.

250 toxicomanes recrutés en Russie

C’est cette forme galénique qui a été testé dans le cadre d’un essai randomisé en double aveugle contre placebo chez 250 patients recrutés dans 13 centres russes. Pour être admis dans l’étude, les sujets, tous volontaires, devaient avoir été sevrés avec succès en milieu hospitalier depuis au moins 7 jours. Étaient notamment exclus de l’essai, les patients ayant un test à la naloxone injectable positif (signes de manque indiquant une absence de sevrage réel), un sida ou une atteinte hépatique sévère. Ces malades ont reçu toutes les 4 semaines durant 24 semaines une injection intramusculaire de 380 mg de XR-NTX ou de placebo. Tous bénéficiaient également de séances bihebdomadaires de conseils pour maintenir le servage. 

Le critère principal de jugement était l’abstinence entre la 5ème et la 24ème semaine. Celle-ci était confirmée par une recherche d’opiacés négatives dans les urines et par le carnet de suivi tenu par le patient en ambulatoire.

168 jours d’abstinence contre 96

Sur ce critère le XR-NTX a été nettement supérieur au placebo avec une abstinence confirmée pour 90 % des semaines contre 35 % dans le groupe placebo (p=0,0002). De même le score de manque s’est amélioré de 10,1 points dans le groupe naltrexone retard contre une aggravation de 0,7 point dans le groupe placebo tandis que le test à la naloxone injectable était positif (signe d’une rechute de la dépendance) chez un seul malade contre 17 dans le groupe placebo. Enfin, la durée médiane d’abstinence a été de 168 jours pour le groupe traitement actif contre 96 pour le groupe placebo (p=0,0042). Durant l’essai, les effets secondaires ont été rares et n’ont conduit à l’arrêt du traitement que chez deux malades de chaque groupe.

Pour E Krupitsky et coll. la naltrexone retard peut donc constituer une alternative thérapeutique utile pour les toxicomanes aux opiacés sevrés. Elle pourrait être particulièrement intéressante dans les pays où, comme en Russie, les agonistes des opiacés (méthadone ou buprenorphine) ne sont pas autorisés ou pour les sujets pour qui un traitement substitutif est interdit pour des raisons professionnelles (personnels médicaux, pilotes, pompiers, militaires…).
Sur les bases de cette étude (et avant sa publication) la Food and Drug Administration américaine a autorisé cette forme galénique de la naltrexone dans le traitement de la dépendance aux opiacés.

Un travail non éthique et sans évaluation correcte de la sécurité

Cette publication et cette décision ont suscité de très vives réactions des 6 spécialistes américains et français qui signent un éditorial au vitriol dans le même numéro du Lancet (2). 

Daniel Wolfe et coll. estiment en substance que ni en terme d’efficacité, de sécurité et d’éthique cette étude ne pouvait justifier l’AMM américaine.

Sur le plan de l’efficacité, ils soulignent que plus de la moitié des patients n’ont pas achevé l’essai ce qui rend nettement moins démonstratif les chiffres présentés.

C’est surtout sur le plan de la sécurité que l’étude de Krupitsky et coll. pèche selon eux. En effet le nombre d’overdoses survenues après la phase thérapeutique n’est pas spécifié. Or Wolfe et coll. rappellent qu’un risque d’overdose mortelle semble bien exister comme en témoignent les cas mortels rapportés aux Etats-Unis avec ce médicament dans le cadre du sevrage alcoolique. De plus, avec la naltrexone orale prescrite pour le maintien du sevrage aux opiacés en Australie le taux d’overdoses aurait été plus de trois fois plus élevé qu’avec des agonistes des opiacés durant le traitement et plus de 7 fois plus fréquent après la phase de traitement.

A leurs doutes quant à l’efficacité et l’occultation des risques, les signataires de l’éditorial ajoutent une préoccupation éthique. Il leur paraît en effet contraire à l’éthique d’avoir conduit cet essai contre placebo alors que le traitement par agonistes des opiacés est aujourd’hui recommandé dans ces cas. Et le fait que ces agonistes ne soient pas disponibles en Russie ne justifie  pas ce choix mais renforce selon eux la suspicion sur une étude qui était destinée en fait à obtenir une autorisation de prescription aux Etats-Unis…

On le voit, les publications sur la prise en charge des addictions (qu’il s’agisse de nouvelles thérapeutiques ou de traitement substitutif) ne sont jamais l’objet de consensus. Et la France n’est pas le seul pays où les décisions des autorités de tutelle du médicament sont la cible de critiques véhémentes !

Dr Anastasia Roublev

1) Krupitsky E : Injectable extended-release naltrexone for opioid dependence : a double-blind, placebo-controlled, multicentre randomised trial. Lancet 2011; publication avancée en ligne le 28 avril 2011 (DOI:10.1016/S0140-6736(11)60358-9).
2) Wolfe D et coll. Concerns about injectable naltrexone for opioid dependence. Lancet 2011; publication avancée en ligne le 28 avril 2011 (DOI:10.1016/S0140-6736(10)62056-9).

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