lundi 25 avril 2011

L'hôpital sans la charité

20.04.11

Ce livre est dédié "à tous les futurs malades", et c'est sur l'histoire de ceux qu'il a croisés et de soignants que Laurent Sedel, chirurgien, s'appuie pour démontrer pourquoi notre système de santé part à la dérive. On y croise Yvon, sans-abri sans couverture sociale, dont aucun centre de convalescence ne veut et qui reste des mois à l'hôpital, privant d'un lit d'autres patients.
Il y a aussi Samir, 25 ans, travailleur tamoul qui a laissé s'aggraver un panaris pour ne pas payer les 6 euros de franchise chez le médecin généraliste et doit subir une lourde opération. Un exemple qui montre la dérive comptable du système. Nul ne sait si l'instauration de franchises médicales permettra une réelle économie pour la Sécurité sociale.

Il y a encore Salima, rencontrée il y a vingt ans, qui avait subi une greffe de moelle pour traiter une leucémie et à laquelle l'auteur avait posé des prothèses de hanche. Il se demande si dans un système "de moins en moins solidaire" des cas semblables, "machines à perdre de l'argent" pour les hôpitaux, seront toujours vus d'un bon oeil. Il y a aussi Henriette, aide-soignante, trois enfants, 43 ans, qui prend sa retraite mais n'abandonne pas son métier : elle va faire de l'intérim et gagner plus en travaillant moins.

Laurent Sedel, ancien chef du service orthopédique et traumatologique de l'hôpital Lariboisière (Paris), dénonce les dysfonctionnements du système de santé en décrivant le quotidien d'un hôpital. Le ton est sans retenue, ce qui parfois irrite, mais le livre a le grand mérite de rendre compréhensible un fonctionnement hospitalier difficile à appréhender pour les non-initiés (notamment la tarification).

Absurdités

Les absurdités se révèlent criantes : multiplication des réunions sur la qualité des soins et les "événements indésirables", qui aggravent la pénurie de personnel dans les services ; obligation, pour la pose de deux prothèses de hanche, d'opérer en deux fois, car la tarification d'une double intervention n'existe pas dans la grille, ce qui permet à l'hôpital de gagner plus avec deux opérations, mais coûte plus cher à la collectivité, etc.

Ce que décrit avant tout M. Sedel, c'est l'accroissement des pressions. Pressions dues aux gains, qui ont pour conséquence la réalisation d'actes inutiles pour équilibrer les budgets ; pressions dues à la peur aussi, source d'une multiplication des examens afin de se protéger d'un éventuel procès.

L'intérêt du récit tient aux quarante ans d'exercice de son auteur car, des épisodes anciens aux plus récents, c'est l'évolution de l'hôpital qu'il dessine : comment la logique comptable s'y est imposée, comment, aussi, le principe de précaution et la "médecine défensive" ont émergé.

Parfois brouillon, souvent militant, l'ouvrage cherche à alerter sur le risque du système à deux vitesses à l'américaine, avec les pauvres, les urgences et les cas complexes pris en charge par l'hôpital public, et le reste, solvable et rentable, par le privé. Dans le prologue et l'épilogue, l'auteur a opté pour des fictions provocantes.

On y voit un patient refoulé de l'hôpital public qui, ne pouvant payer les dépassements d'honoraires du privé, se voit proposer une opération à l'étranger ou un crédit. On y voit aussi un grand assureur se féliciter d'avoir pris le pouvoir sur le système de santé, un formidable marché. Et l'auteur de conclure : "Face à une catastrophe possible, sinon annoncée, soyons vigilants, sinon optimistes."
Laetitia Clavreul

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