mercredi 23 mars 2011

Vote de la réforme contestée des soins sous contrainte en psychiatrie
23 Mars 2011

La réforme des soins psychiatriques non consentis par le patient a été votée à l'Assemblée Nationale le 22 mars, malgré les contestations des professionnels de la psychiatrie, mais aussi d'acteurs de la société civile. Cette réforme crée de nouvelles conditions d'hospitalisation et de soins sous contrainte, ce qui concerne une minorité de patients et ne résout pas les nombreuses difficultés actuelles de la psychiatrie. Cependant la secrétaire d'Etat à la santé, Nora Berra, a promis lors des débats un "plan santé mentale" à l'automne qui pourrait compléter ce texte.

Des débats houleux jusqu'au vote
Une manifestation de professionnels de santé, en particulier du collectif des 39 "contre la nuit sécuritaire", a eu lieu le 16 mars, lors du début des discussions sur cette réforme contestée (voir notre reportage devant l'Assemblée).

Puis les orateurs se sont succédés au Parlement, les uns défendant une approche équilibrée d'un texte à la fois protecteur et offrant de nouvelles possibilités, comme l'administration de soins sous contraintes à domicile, les autres contestant une approche qualifiée de sécuritaire, à l'instar de l'ensemble des syndicats de psychiatres publics et privés (voir notre article : Réforme de la psychiatrie à l'Assemblée : les professionnels s'indignent). Le 22 mars, plusieurs amendements ont été proposés aux députés, émanant de l'UMP comme de l'opposition.

Les soins à domicile sous contrainte et l'hospitalisation pour "péril imminent" entérinés

La possibilité de soins sous contrainte à domicile, et non à l'hôpital, a été maintenue dans le texte de loi, ce qui créé donc une nouvelle possibilité thérapeutique. Cependant en pratique il n'est pas évident d'imaginer comment ces soins vont être administrés, et si cette mesure va compenser le manque de structures d'accueil ouvertes, qui représentent pourtant une solution intéressante de suivi des patients non internés (certains risquent de nier leur maladie et donc de cesser leur prise en charge thérapeutique, un suivi ouvert peut donc les aider à maintenir le contact).

Autre nouveauté, la création d'une possibilité d'hospitalisation sans consentement pour "péril imminent". Jusqu'à présent, l'hospitalisation forcée était possible à la demande d'un tiers (proche, famille) ou en cas de danger pour autrui (hospitalisation d'office). Cette nouvelle notion donne donc la possibilité aux médecins de faire interner un patient qu'ils estiment en danger pour lui-même, mais non dangereux pour les autres, que sa famille ne souhaite pas hospitaliser et qui ne souhaite pas lui-même être hospitalisé.

Le "droit à l'oubli" conservé

La notion de "droit à l'oubli", ajoutée en commission des affaires sociales afin d'éviter d'accoler à vie les pathologies psychiatriques au dossier d'un patient, a été maintenue malgré les velléités de suppression de plusieurs députés. Mr Jean-Paul Garraud, magistrat et député UMP, a pourtant soutenu que "les personnes déclarées pénalement irresponsables ou hospitalisées en unités pour malades difficiles peuvent rester dangereuses" et qu'il était donc important de pouvoir les suivre.

Il souhaitait donc, au titre de cette dangerosité potentielle, un maintien du suivi (une sorte de fichier psychiatrique) sans limitation de durée, négligeant de fait les possibilités de guérison (ou de vie normale avec la pathologie) qui heureusement existent, comme pour de nombreuses maladies non psychiatriques. Son amendement a été repoussé.

L'intervention du juge maintenue pour les renouvellements d'hospitalisation forcée

Le Conseil Constitutionnel a décidé en novembre 2010 d'instaurer l'intervention d'un juge dans les 15 jours pour les renouvellements des hospitalisations sous contrainte, ce qui évitera que ce soit uniquement le préfet qui décide, en particulier si les médecins ne sont pas de cet avis.

En effet, comme l'a souligné le député et médecin socialiste Serge Blisko, "depuis la publication d'une circulaire en janvier 2010, nous sommes confrontés à une situation aberrante : des personnes considérées comme aptes à sortir, à condition de bénéficier d'un suivi, encombrent les lits, pourtant rares en hospitalisation complète, parce que le préfet n'a pas daigné répondre à la demande que lui ont adressée les psychiatres de l'hôpital".

Suite à cette décision du Conseil Constitutionnel, la Commission des Affaires sociales a introduit un amendement permettant cette intervention du juge dans les 15 jours, ce qui pourrait être utile en cas de désaccord entre le psychiatre (qui veut autoriser la sortie du patient) et le préfet (qui souhaite le maintien de son enfermement). Les amendements de limitation de cette disposition, également proposés par Jean-Paul Garraud, ont été repoussés.

Une majorité en faveur de cette réforme

Le texte de loi a été voté par 266 voix (députés UMP et Nouveau Centre) contre 147, en première lecture le 22 mars. Deux ans après le drame de Grenoble et le souhait présidentiel de renforcer la sécurisation de la psychiatrie, de nouvelles possibilités de soins sous contrainte pour les pathologies psychiatriques les plus lourdes sont donc créées, sous réserve de vote similaire des Sénateurs bien sûr. Les amendements votés en Commission des Affaires Sociales et confirmés lors des discussions à l'Assemblée ont permis de corriger les aspects les plus unidirectionnels de ce texte, avec en particulier une limitation du rôle des préfets et des possibilités de "fichage".

Par ailleurs il est permis de s'interroger, comme l'a fait le député du Nouveau Centre Jean-Luc Préel lors du vote de cette loi, sur la possibilité de mettre en œuvre cette réforme qui "multiplie le nombre de certificats requis alors que la démographie des psychiatres est problématique" et que les juges des libertés sont déjà débordés...

Un plan santé mentale annoncé pour l'automne 2011

Cet aspect soulevé par Mr Préel a été évoqué par plusieurs intervenants lors des discussions sur ce texte, qui ne concerne que les soins sous contrainte (13 % des cas seulement) : quid d'une véritable nouvelle loi sur la santé mentale, alors que la France manque en particulier de psychiatres, de pédopsychiatres, de lits en psychiatrie ? A cause de cette situation, de nombreux patients, bien qu'en crise, ne peuvent être soignés avant "plusieurs semaines, voire plusieurs mois pour les adolescents", comme l'a rappelé Serge Blisko.

Le secteur psychiatrique a été exclu de la dernière grande réforme de la santé (la loi HPST), malgré les engagements initiaux de Madame Roselyne Bachelot. Mais Nora Berra, devant les demandes et interrogations répétées des députés, a promis le 16 mars à l'Assemblée nationale un "plan santé mentale pour l'automne prochain".

L'occasion de faire un premier bilan de la réforme votée le 22 mars, de mettre à plat tous les problèmes, actuels et à venir, de la psychiatrie en France et de proposer de nouvelles solutions afin de répondre aux enjeux et besoins majeurs soulevés depuis des années par les professionnels de cette spécialité médicale.
Jean-Philippe Rivière

Sources :
"Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques", compte-rendu intégral des différentes sessions, accessibles sur le site de l'Assemblée Nationale : 1ère séance, 2ème séance et vote solennel

Photos:

- (illustration) Déplacement d'un patient dans les couloirs du service Psychiatrie du Centre hospitalier Belair, Charleville-Mezieres, 2005, © MULLER FREDDY/SIPA
- Jean-Paul Garraud, 2010, © OBARD/SIPA
- Serge Blisko, 2006, © IBO/SIPA

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