mercredi 16 février 2011

Un jour dans leur monde

C'est l'hôpital psychiatrique au sens populaire du terme. Ils y séjournent quelques jours ou des années : les patients affectés par des maladies mentales diverses y vivent dans un rapport à la réalité généralement altéré, voire annihilé.

Reportage.


Dans le hall de Bellevue, une dame âgée est assise à une table, elle ne bouge pas, absorbée par ce qu'elle seule sait. « Elle reste là toute la journée, comme ça. C'est sa place. Parfois, un autre patient la rejoint », indique Pierre Girardet, le chef de la psychiatrie. Aux temps ignorants où l'on parlait encore des « fous », on eut désigné Bellevue du mot « asile ». Tout ceci est révolu. Surtout à Bayonne où la psychiatrie est un service du centre hospitalier. Mais l'homme du dehors ne peut le nier : y pénétrer relève de la confrontation.

Toute l'hospitalisation publique du Pays basque se fait entre ces murs, dans le quartier Cam de Prats. « Vous avez en ce moment 119 patients. Ils sont ici pour des durées variables. Cela peut-être pour quelques jours. Certains sont là depuis deux ans. » La variété des cas explique celle des séjours. Un seul point commun à tous : ces patients « décompensent » (lire par ailleurs), ont un commerce souvent difficile avec la réalité.

« Des millions… »


Bien des peurs se greffent sur la notion très vaste de maladie mentale. La faible fraction des cas spectaculaires nourrit craintes autant que fantasmes. La statistique, elle, reste imperméable : « Sur les 119 patients actuellement hospitalisés, une ou deux personnes sont potentiellement dangereuses», situe le médecin psychiatre. «J'ai connu ailleurs un patient qui avait mangé sa fille. Ici, ce sont plutôt les patients qui sont victimes d'une société qui n'est pas faite pour eux. »

Au premier étage, l'aile « Errobi ». « C'est un service difficile, avec des pathologies lourdes. » On y entre comme dans n'importe quel autre : pas de verrou, l'attention des infirmières et aides médico-psychologiques (AMP) suffit. « C'est un service ouvert », insiste Josiane, infirmière depuis vingt ans en psychiatrie. « On n'est pas sans arrêt à les surveiller. Les patients nous suivent de très près. C'est même plutôt nous qui essayons de nous en défaire. »

Passe justement l'un d'eux, papy à l'air goguenard. A notre adresse : « Des millions, des millions, des millions… » Puis s'en va. « Vous avez de la chance, sourit Josiane. Il vient de remplir votre compte en banque de millions d'euros. Patrick (1) fait la fortune des gens par le pouvoir de la pensée. » Force mentale également employée à guérir de mille maladies. Patrick fait aussi les rois. Lors d'un précédent passage, nous étions pour lui « M. le maire ».

Cigarette autorisée

Le bonhomme tient dans ses mains un paquet de « Lucky Strike ». La cigarette compte parmi les singularités des « la psy ». Un patio permet d'en griller une. « C'est une dérogation à l'hôpital », éclaire Pierre Girardet. Et « une sorte d'anxiolytique », reconnaît Laure, une autre infirmière. Elle travaille dans le pavillon voisin, « la Rhune », équipé d'un fumoir. L'équipe médicale y traite la crise. Souvent, les malades arrivent du service des urgences psychiatriques, basé sur le site de Saint-Léon. « Un délire peut durer dix, quinze jours. »

La crise peut-être violente. Une « chambre d'isolement » vient d'être créée. Dans une chambre « classique », on observe des détails qui situent ce service de la raison évaporée : une caméra, le miroir de la salle de bain facilement amovible, le lit n'a pas d'angles mais des arrondis, il est scellé au sol… Dans une porte, un trou, œuvre d'un malade. Sur un mur, une couche de peinture détonne : « Le mur a été refait, il était défoncé », renseigne Laure.

Retour à « Errobi ». Quelques chambres demeurent fermées. « Des patients dangereux pour eux-mêmes et les autres », désigne Jessy. Parmi eux, il y a Mickaël. « Vous voulez le rencontrer ? On va le lui demander. » Avant d'entrer : « Vous devriez enlever vos lunettes, il aime bien. » Ni meubles, ni effets. Tout objet présente un potentiel de blessure pour ce garçon d'une vingtaine d'années. Le jeune homme est couché dans un coin, sur un matelas. « Tel que vous le voyez, il a beaucoup progressé. Je l'ai vu dormir nu sur une simple bâche », confie Josiane.

Mickaël porte un casque, pour le protéger lorsqu'il se cogne la tête contre les murs. La vitre de la porte d'entrée est brisée : c'est lui. « Du verre sécurité… » Le garçon peut développer une force terrible. Josiane relève sa manche droite sur un avant-bras rougi. « Il ne m'avait pas vue depuis longtemps, il m'a saisi le bras et a serré très fort. Ça n'avait rien d'agressif. »

Seul

Il ne parle pas, Mickaël. « mais il communique et il comprend ». Le regard et les gestes permettent l'échange. A ces attitudes, les infirmières comprennent qu'il n'a pas vraiment envie de nous voir. Alors nous sortons. Depuis le couloir, on entend son cri profond.

Quel sens a la vie de Mickaël ? Quelles possibilités d'accomplissement ? Plus simplement de plaisir ? « Son état oscille. Dans les bons moments, on peut l'amener à la piscine, manger au Mc Do. Il faut être modeste », préconise Pierre Girardet. L'ordinaire parfois bousculé n'est pas rien. Et c'est toujours avec le personnel de l'hôpital. Car plus personne ne vient voir Mickaël. « Les gens, comme lui, dont plus personne ne veut, on les trouve ici. »

(1) Tous les noms des patients ont été modifiés dans cet article.

IMMERSION Le Centre hospitalier de la Côte basque, grand vaisseau aux 3 000 employés et 1 200 lits est en pleine restructuration. Pendant sept semaines, tous les lundis, « Sud Ouest » pose son regard sur quelques aspects de sa vie. Aujourd'hui, la psychiatrie.

Bayonne · Pyrénées-Atlantiques


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