mercredi 2 juin 2010





Article paru
le 1er juin 2010


TRIBUNES &IDÉES

Éloge d’une éthique hospitalière de la folie
FRANCK CHAUMON PSYCHANALYSTE


Chef de service psychiatrique et psychanalyste, Guy Dana combat au quotidien contre l’isolement sécuritaire et plaide pour une approche solidaire de la souffrance psychique.










Quelle politique pour la folie ?
de Guy Dana.
Éditions Stock,
290 pages,
20 euros.

Le discours dominant sur la folie est une caricature de la raison néolibérale. Urgence, risque zéro et rentabilité sont les maîtres mots pour faire taire la folie ou la laisser errer sur les trottoirs de nos villes. Nul doute qu’il faille résister, et l’auteur lui-même s’y emploie, qui est signataire de l’Appel des 39. Mais cela ne suffit pas, il faut rendre compte de la complexité vivante des pratiques qui continuent, malgré tout, d’affronter la question.

L’immense mérite du livre de Guy Dana tient précisément au fait qu’il ne cède en rien sur l’exigence de la pensée pour soutenir l’enjeu d’une hospitalité pour la folie. L’idée que la folie a nécessairement affaire à la politique est ici soutenue au nom d’une pratique psychiatrique référée à la psychanalyse. Il convient d’en saluer l’événement, car il est rarissime que la réponse psychiatrique comme telle soit articulée et pensée du point de vue de la psychanalyse. C’est même à ma connaissance le premier livre qui prétend donner à la pratique de secteur sa dignité de dispositif structural de réponse à la psychose.

Dans une première partie, l’auteur, dans un style très personnel, donne à entendre quelque chose de l’expérience de la psychanalyse et rend sensible à une esthétique de la parole, du silence, de l’espace entre les mots qui constitue l’expérience même de l’analysant. Il l’oppose au discours contemporain de la langue normée, des paroles imposées et du calcul.

La seconde partie de l’ouvrage aborde frontalement la question d’une politique de la folie, c’est-à-dire d’une organisation de l’espace et du temps dans la cité qui puisse faire trame d’une véritable thérapeutique des psychoses. Il s’agit de savoir en quoi les dispositifs du «  secteur  » peuvent opérer comme une architecture trouée, liant des espaces hétérogènes, mettant au travail une pluralité des offres de subjectivation. De l’hôpital au Cattp, du CMP à l’accueil hôtelier les lieux, traversés selon une certaine temporalité, structurent la grammaire d’un parcours, toujours singulier. Une méthode et une éthique s’en déduisent : c’est la singularité d’un parcours qui est recherchée. Le temps n’est pas celui des protocoles et de la rentabilité immédiate, mais de trajectoires de vie, de créations subjectives.

Il faut donc du temps, de la pluralité (soit de la politique), une ouverture à l’événement, donc au risque. Il est heureux qu’un tel livre paraisse aujourd’hui, dans cette période noire où l’on voit la France se couvrir de cellules d’isolement et de camisoles de force ! Guy Dana montre que l’éthique de la psychanalyse objecte au discours libéral, et permet de soutenir l’hypothèse d’une hospitalité pour la folie qui affine à l’utopie démocratique, contre toutes les langues de bois.




Montbert
31 mai 2010

Les agents du CHS de Montbert expriment leur mal-être

Une petite cinquantaine d’agents du Centre hospitalier spécialisé (CHS) de Montbert ont répondu à l’appel de l’intersyndicale CGT-CFDT-SUD et ont fait grève ce midi devant les locaux. Un pique-nique « pour une bientraitance » a été organisé. A l’origine de leur mouvement : une ambiance de travail dégradée et un « certain management » dans des services, avec de la « maltraitance, voire du harcèlement individuel envers des membres du personnel et envers certaines équipes », souligne l’intersyndicale. Et elle reprend : « Ce mouvement n’est pas dirigé contre le directeur, que nous tenons informé de tout cela, et ne vise pas non plus tous les médecins et tous les cadres. Il s’agit pour nous d’enrayer un processus, de dire stop à un certain climat d’irrespect. Puisque nous sommes en psychiatrie, il s’agit aussi de rappeler que pour soigner des patients, il faut aussi prendre soin d’une ambiance de travail. » À cette heure, la direction n’a pu être jointe.




Article paru
le 31 mai 2010


TRIBUNES & IDÉES

Les Uhsa ne sont pas des alibis humanitaires
PAR LE DOCTEUR PIERRE LAMOTHE, PSYCHIATRE RESPONSABLE DE LA PREMIÈRE UHSA INAUGURÉE À LYON.


Faire entrer la prison à l’hôpital, est-ce un progrès  ?

Dans un climat de restriction budgétaire, on peut se demander s’il n’est pas scandaleux de créer une structure « de luxe » pour des détenus alors que la psychiatrie publique est en difficulté avec des mois d’attente pour obtenir une prise en charge en CMP (centre médico-psychologique), la désertification du territoire ou le vieillissement de beaucoup d’hôpitaux malgré les rénovations programmées. Ne faudrait-il pas plutôt ne plus envoyer de malades mentaux derrière les barreaux, éviter que la prison n’abîme et ne désespère les détenus et les rende malades ou les pousse au suicide, alors que l’Uhsa (unité hospitalière spécialement aménagée) va peut-être contribuer à justifier cet état de fait, voire susciter des incarcérations « pour soins », du fait de la précarité des possibilités de prise en charge de patients avec des troubles du comportement dans la cité. L’hôpital redeviendrait insensiblement « le dépôt de mendicité » accueillant les trublions, les vagabonds, les subversifs inadaptés et les fous divagants pour la protection de l’ordre public autant que des personnes « saines »… Non, l’Uhsa n’est pas un alibi humanitaire pour ceux qui rêvent d’enfermer  : elle ne prétend en aucun cas, ni dans son principe ni encore moins dans ses moyens, à l’éradication de la psychose en prison ni au contrôle social de la dangerosité. Sauf à se livrer à un véritable « racisme » actif de stigmatisation qui serait une régression désastreuse, il y aura toujours des malades mentaux responsables de leurs actes et la psychose n’est pas moins « à sa place » en prison que dans la société civile  : ce n’est pas elle qu’il faut éliminer par principe, mais la souffrance. Oui, l’Uhsa est une priorité comme institution nouvelle puisque, enfin, elle pourra accueillir sur la base de cette souffrance et non plus seulement sur la base de la dangerosité des malades consentants aux soins autant que sous contrainte parce qu’incapables de consentir. Oui, une Uhsa coûte cher, avec un prix de journée comparable à un service de réanimation, mais il s’agit bien de réanimation sociale au service des plus démunis dont le maintien dans l’abandon ou l’échec répétitif coûterait encore plus à la société. Les soins en Uhsa seront en pointe sur le plan technique espérons-nous, mais tout simplement décents pour les normes que nous voulons offrir à tous dans un hôpital de 2010. Ce n’est pas un luxe mais l’équipement normal que nous souhaitons dans chaque création ou rénovation et si la densité de personnel tient compte de la particularité des patients (de leurs besoins d’ailleurs plus que de leur statut), cette nécessité a aussi ses avantages en termes de carrières, de formations et de conditions de travail des agents de la fonction publique hospitalière confortés dans leur rôle de modèle technique et social.

L’Uhsa ne soigne pas des martiens mais des hommes, et avant tout des pauvres  : 80 % des détenus sont des cabossés de la vie issus de milieux défavorisés affectivement, culturellement ou économiquement, et leur souffrance est bien réelle. Beaucoup d’entre eux sont tellement dans l’incapacité d’entretenir des relations normales qu’ils sont déjà handicapés pour le monde du travail avant tout autre considération. Le détenu est en fait condamné… à sortir un jour  ! Le vécu d’une expérience de considération à travers le soin, de réhabilitation sociale avec l’équipement général qui s’étoffe en prison, et le respect des droits des personnes qui s’améliore avec les règles pénitentiaires européennes font partie du dispositif d’insertion sociale, de retour à la vie civile et de prévention de la récidive bien mieux que les couches successives de lois répressives sur lesquelles quelques événements spectaculaires ont davantage mis l’accent.

L’Uhsa n’a rien d’une réponse universelle ou ultime aux problèmes psychiatriques de la population pénale mais elle est un élément capital d’une palette de plus en plus riche des capacités de la psychiatrie publique, avec une valeur symbolique beaucoup plus importante que le nombre de places offertes.
On reconnaît la qualité d’une société au sort qu’elle réserve à ses fous et à ses prisonniers  : soyons fiers d’ouvrir des Uhsa  !

« Un meurtre tous les jours en pensée et bonne santé vous garderez ! »

31 mai 2010

Théodore Reik a écrit plusieurs ouvrages, « Écoutez avec la troisième oreille ; L’expérience intérieure du psychanalyste » est le plus connu. C’est en effet là qu’il décrit très finement le processus psychique qui permet à l’analyste de participer au travail de l’analysant, à ce que Lacan a appelé la tache psychanalysante, et ce sous la forme de l’interprétation. Cette interprétation est aussi bien pour l’analysant que pour l’analyste une vraie surprise. Elle doit les prendre tous les deux littéralement au dépourvu.

Mais surtout Théodore Reik  a un grand humour et il nous en donne maints exemples dans cet ouvrage. Il démontre, s’il en était encore besoin à quel point l’humour est fait pour détourner la censure vis-à-vis de nos mauvais penchants. Sous la forme de l’humour, notre méchanceté native peut s’exprimer en toute impunité puisqu’elle rencontre justement l’assentiment de l’Autre, de l’Autre comme interlocuteur.

Pour vous donner envie de le lire, voici un rêve et ses associations qui donnent la dimension de ce qui est mis en jeu dans l’humour, peut-être tout spécialement dans l’humour juif, en tant qu’il se porte sur le sujet lui-même, plus que sur l’autre, l’objet rival ou l’objet aimé.

Reik raconte donc ce rêve et l’analyse longuement : «  Je me vois debout, devant des juges, et je fais un long plaidoyer. Je suis accusé de meurtre et j’ai commis ce crime… A mon réveil, je me souvenais que, dans mon rêve, je quittais ma chaise et qu’au moment où je commençais mon discours, j’étais envahi d’un grand sentiment de rédemption et de soulagement » (p.45).

Dans le fil des associations de ce rêve qui bien sûr permettent son interprétation, Reik nous donne tout d’abord une sorte de conseil d’hygiène, peut-être tout spécialement à l’usage du psychanalyste «  Chaque jour un meurtre en pensée nous garde en bonne santé » (p.49).
Je trouve cette formule vraiment amusante et si profondément juste ! Elle rime comme ces vieux dictons énoncés dans l’Almanach Vermot.

Reik nous explique que ce rêve était une réponse à des collègues qui n’avaient pas accepté ce qu’il avait démontré dans l’une de ses études, le fait que le sentiment de culpabilité du sujet peut précéder le crime, et que le plus souvent, une fois réalisé il allégeait ce sentiment de culpabilité et qu’il le précédait donc au lieu de le suivre.
Donc dans sa démonstration il avançait que c’est à cause du sentiment de culpabilité qu’on pouvait tuer et non pas l’inverse. C’est ce que son rêve démontre. Il est son plaidoyer.

Il nous explique donc qu’il a l’esprit d’escalier et qu’il n’est jamais aussi brillant avec ses interlocuteurs que lorsqu’ils ne sont plus là pour l’entendre. Et à ce propos il évoque bien sûr ce qu’il en est des désirs de vengeance qui s’expriment dans ce rêve. C’est ce passage que j’ai retenu :
« Tout comprendre c’est tout pardonner » a dit Madame de Staël. Cette affirmation me semble, avec son caractère féminin, sentimentale et fausse. L’explorateur allemand, Karl von der Steinen, étudiant la langue des indigènes du centre du Brésil en 1883, découvrit qu’ils n’avaient aucun mot pour dire « pardon ». Il eut toute sorte de difficultés à leur expliquer ce que cela signifie chez nous. Après mûre réflexion, le plus vieux des hommes de la tribu déclara que la meilleure des traductions pour « je pardonne » était « je rends les coups ». (p.47)

En tout cas, souvenez-vous : « Une mort en pensée tous les jours, bonne santé, vous garderez »  Cet adage pourrait même faire faire beaucoup d’économies à la sécurité sociale, en évitant d’utiliser trop d’antidépresseurs. Comme le rappelait Freud, c’est toujours l’autre qu’on tue au travers de soi-même. Alors autant ne pas se tromper d’adresse.



L'esprit de Chimères

Cette revue accueillera les travaux des individus et des groupes se réclamant de près ou de loin de la “schizoanalyse”, science des chimères : les travaux de tous ceux qui entendent renouer avec l'inventivité première de la psychanalyse, en levant le carcan de pseudo-scientificité qui s'est abattu sur elle comme sur l'ensemble des pratiques et des recherches en philosophie et en sciences humaines. À la manière des arts et des sciences en train de se faire. Work in progress. Les textes émanent ici de psychanalystes, de philosophes, d'ethnologues, de scientifiques ou d'artistes. Pas pour une inter-disciplinarité de galerie. Retour au singulier. À chacun sa folie. Les grands phylums théoriques finiront bien par y retrouver les leurs. De toutes façons, par les temps qui courent, nous n'avions plus le choix, il fallait repartir de là.

Félix Guattari, Chimères n°1

Sommaire N°72 Clinique et Politique

04/22/2010

Edito : Nous ne sommes pas sortis des années d’hiver

Concept
Claire Nioche, L'institution des insoumis
Anne Bourgain, Depuis Foucault, les loges de la folie
Igor Krtolica, Deligny, la tentative
Anne Sauvagnargues, Les symptômes sont des oiseaux qui cognent du bec contre la fenêtre

Politique
Entretien avec Jean Oury
Entretien avec Roger Ferreri
Elie Pouillaude, Le concept d’aliénation en psychothérapie institutionnelle. L’apport de Bourdieu
Caterina Réa, Daniel Beaune, Un destin post-œdipien de la psychanalyse ? Possibilités et limites
Clara Duchet, Florian Houssier, Vincent Estellon, Psychanalyse et politique, regards croisés

Terrain
Anick Kouba,
Mireille Rosaz, De beaux draps
Pedro Serra, Une rencontre décisive

Agencement
Entretien avec de Cusset
Guy Trastour Trois focalisations
Mendelshon Ligne de conduite ou lignes d’erre ?

Fiction
Antonella Santacroce, Esquisse d'un voyage parmi les bûchers des âmes
Francis Bérezné Un élève indiscipliné reçoit du bâton
Covu, Dans la ligne de fracture de mes paysages-psychiques

Esthétique

Jacques Brunet-Georget, Du Trieb au trip : eXistenZ, ou comment « liquider » la pulsion

Clinique
Patricia Janody, Les cahiers pour la folie
Adrienne Simar, Ceci n'est pas une cure
Florent Gabarron-Garcia, « L’anti-oedipe», un enfant fait par Deleuze-Guattari dans le dos de Lacan, père du« Sinthome »
Patricia Attigui, Penser le thérapeutique et la formation clinique aujourd’hui

LVE
Livio Boni, Sur la production du désir de Guillaume S-Blanc
Tajan, Etre psy
Pirangelo di Vitorio, L'uniforme et l'âme
Pierre Marshall, Filmer la psychanalyse ?

* N°72 Clinique et politique





Lisa Mandel ausculte l’hôpital psychiatrique

Lisa Mandel a grandi en entendant des récits à la fois drôles, fascinants et effrayants. Ceux de sa mère, de son beau-père et de leurs amis, infirmiers en hôpital psychiatrique. Aujourd’hui, l’auteure de Nini Patalo couche ces histoires sur le papier, dans le premier tome de la trilogie HP. En plongeant dans cet « asile d’aliénés » (le sous-titre de cet épisode), le lecteur découvre les pratiques effrayantes des années 60. Et « un système rétrograde et carcéral, complètement agonisant » – comme le pointe l’un des personnages – brillamment dépeint via un trait piquant et élastique. À la veille de son départ pour l’Argentine, Lisa Mandel, 32 ans, raconte la genèse et la lente maturation de son nouveau livre.

Pourquoi vous êtes-vous plongée entre les murs des hôpitaux psychiatriques ?
Enfant, j’ai beaucoup entendu de récits hauts en couleur. Ma mère et mon beau-père étaient infirmiers en hôpital psychiatrique à Marseille, ils partaient chaque soir pour travailler la nuit. Quand j’allais me coucher, forcément, je pensais à ce qu’ils faisaient…  Ma mère étant bonne conteuse, j’ai entendu beaucoup d’anecdotes sur ce qui se passait dans les dortoirs et les couloirs de l’institution. Je porte donc ce projet en moi depuis toute petite. J’ai été très marquée par leur métier, porteur de nombreux fantasmes.

Y a-t-il eu un élément déclencheur qui vous a décidée à vous lancer ?

Oui. J’avais commencé à évoquer le projet dès 2002, car j’étais lassée de la BD jeunesse et avais envie d’un projet plus « adulte » et sérieux. Mais tout s’est emballé en 2004, quand ma mère et mon beau-père ont pris leur retraite. Le soir de leur pot de départ, deux infirmières de Pau, travaillant elles aussi en hôpital psychiatrique, ont été décapitées par un ancien patient. Ce fait divers glauque m’a poussée à donner la parole aux soignants, à travers la bande dessinée.

Comment avez-vous procédé pour recueillir leurs histoires ?
Je les ai filmés tous les cinq ensemble, plusieurs fois. Chacun pouvait ainsi rebondir sur les propos des autres. Puis j’ai retranscrit leurs témoignages, en essayant de vérifier que ce qui m’était dit concordait avec la réalité. J’ai mis du temps à me jeter à l’eau en dessinant mais, dès que je l’ai eu entamé, j’ai mis trois mois seulement à réaliser le premier album.

Dans HP, vous mettez votre humour habituel en sourdine et faites la part belle au témoignage.
J’ai tenté de m’effacer totalement derrière les récits des infirmiers. J’ai utilisé un procédé théâtral, l’aparté, pour qu’ils puissent raconter leurs impressions et sentiments, et apporter ainsi des précisions sur les scènes vécues.

Vous êtes-vous documentée sur la psychiatrie ?
Non, pas du tout. Je ne voulais pas prendre parti par rapport à ce que mes « témoins » me racontaient. Et puis, leurs récits sont déjà des pépites, ce n’était pas la peine d’en rajouter.

Leur avez-vous soumis votre ouvrage avant impression ?
Oui, et j’ai d’ailleurs dû supprimer ou corriger certaines choses. Il m’a fallu ainsi adoucir le discours qu’ils tiennent contre les syndicats. Ils se sont partiellement rétractés, par peur de représailles.


Comment avez-vous trouvé le ton juste pour traiter ce sujet ?
Au début, j’imaginais quelque chose de léger, enrobé d’humour noir, avec des anecdotes décalées. Mais, en creusant un peu, je me suis retrouvée aux prises avec un univers très sombre. Le processus de création de HP a été très perturbant: j’ai eu le sentiment de traiter d’une humanité qui touche le fond, et cela m’a affectée, imprégnée, déprimée. Je n’étais pas vraiment consciente de la réalité du lieu avant de m’y plonger: j’ai découvert les services vétustes, les douches à l’eau froide, le dénuement le plus total… Ce qui est tout aussi choquant, c’est que la parole ne sort pas des couloirs de l’hôpital psychiatrique. Les soignants s’expriment peu, et les malades ne sont pas écoutés.


Vous représentez cette humanité sans fioriture, en dessinant des personnages effrayants physiquement…
À l’époque, l’échographie et l’avortement thérapeutique n’existaient pas. Naissaient donc des « monstres », qui étaient placés en hôpital psychiatrique, comme les autistes ou les trisomiques. La distinction entre handicapés et fous n’était pas faite. Ce mélange de patients formait une véritable cour des miracles…

Pourquoi utiliser l’orange comme couleur unique dans votre album ?
Il paraît que c’est celle de la folie. Plus prosaïquement, user d’une seule couleur permettait d’attirer le regard du lecteur sur une scène en particulier. Et puis cela m’a permis d’identifier plus facilement les personnages principaux – ma mère par exemple, qui a les cheveux roux.

Pourquoi publier HP à L’Association ?
Il y a plusieurs années, j’avais parlé de ce projet à Lewis Trondheim, avant son départ de L’Association. Lui-même en avait discuté avec le patron, Jean-Christophe Menu, qui m’avait proposé de signer un contrat avant même que le livre soit commencé. J’étais très contente, car j’adore le documentaire dessiné, et je me suis particulièrement enthousiasmée pour Persepolis de Marjane Satrapi, La Guerre d’Alan d’Emmanuel Guibert ou L’Ascension du Haut-Mal de David B., tous publiés par L’Association.


À quand la suite ?
Le deuxième épisode devrait paraître en octobre 2010, je vais m’y atteler dès février prochain. Il sera plus riche que le premier, et s’attachera à décrire l’état d’esprit post-soixante-huitard, qui influence les méthodes de traitement. Le troisième parlera des hôpitaux psychiatriques actuels. Je ne sais pas encore ce que je ferai des années 80-90, qui ont vu le déclin de l’institution.

Avez-vous d’autres projets ?
Je pars en Argentine pour quatre mois: un mois de vacances, puis trois de travail. Je vais avancer sur différents scénarios. Ceux de la série animée qui devrait être tirée de Nini Patalo, d’une aventure classique dessinée par Marion Mousse, et d’une histoire pour Hélène Georges (chez KSTR) – le voyage initiatique et un peu métaphysique d’une jeune fille. Et puis je compte reprendre mon blog autour du 15 novembre. Je l’avais mis en sommeil faute de parvenir à me renouveler. Mais l’envie de faire des notes régulières, d’avoir ce lien avec les lecteurs est revenue. De plus, un blog aide à prendre du recul par rapport à la vie. Ça dédramatise tout !

Propos recueillis par Laurence Le Saux
 



La Psychanalyse aux enchères le 15 juin 2010 à PARIS

Nous attirons votre attention sur la superbe vente qui aura lieu le mardi 15 juin 2010 à 14 heures, à l’Hôtel Marcel Dassault à Paris :
Lien http://www.artcurial.com/

Entre les lots 124 et 280, on trouvera notamment de magnifiques documents de :
Alfred Adler, René Allendy, Marguerite Anzieu (le « cas Aimée »), Marie Bonaparte, Carl Einstein, Sándor Ferenczi, SigmundFreud, Ernest Jones, René Laforgue, Eugène Minkowski, Sophie Morgenstern, Sacha Nacht, Georges Parcheminey, EdouardPichon, Otto Rank, Theodor Reik, Raymond de Saussure, et bien d’autres…
Beaucoup proviennent d’archives constituées jadis par René Allendy.

Également réunis à cette occasion, de nombreux documents sur le surréalisme et la vie artistique et intellectuelle des années 1900 à 1950 :
Antonin Artaud, André Breton, Henry Moore, Gertrude O'Brady, Paul Bowles, Juan Gris, Francis Picabia, Max Jacob, Paul Eluard, Fernand Léger, Le Corbusier, Georges Mathieu, Anaïs Nin, Camille Bryen, Romain Weingarten, Giorgio De Chirico, Hans Bellmer, Max Ernst...
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P. J. : Article « Enchères sur la Psychanalyse », paru dans Le Magazine du Bibliophile, mai 2010












Psychanalyse et philosophie, des liaisons dangereuses ?

La psychanalyse s'est développée à la faveur de ses interactions avec la philosophie pas seulement comme un instrument critique, mais aussi comme une pratique qui bouleverse les critères du normal et du pathologique, et la pensée elle-même. Néanmoins, la psychanalyse doit reconnaître que ses concepts exigent d'être mis à l'épreuve philosophiquement, qu'elle peut être interrogée sur sa spécificité et sur ce qu'elle invite à concevoir autrement : la sexualité, l'exercice de la pensée, les relations nouées entre les hommes dans le registre de la vie commune et des pouvoirs.

Ce double mouvement est analysé ici selon deux axes principaux : Qu'est-ce qui fait l'originalité de la conception freudienne de la sexualité ? Quel regard neuf la psychanalyse apporte-t-elle sur les rapports entre le réel et la pensée ?

Marcus Coelen, Monique David-Ménard, Tomas Geyskens, Kazuyuki Hara , Philippe van Haute, Juan Manuel Rodriguez Penagos, Vladimir Safatle, Charles Shepherdson.