mercredi 2 juin 2010





Article paru
le 31 mai 2010


TRIBUNES & IDÉES

Les Uhsa ne sont pas des alibis humanitaires
PAR LE DOCTEUR PIERRE LAMOTHE, PSYCHIATRE RESPONSABLE DE LA PREMIÈRE UHSA INAUGURÉE À LYON.


Faire entrer la prison à l’hôpital, est-ce un progrès  ?

Dans un climat de restriction budgétaire, on peut se demander s’il n’est pas scandaleux de créer une structure « de luxe » pour des détenus alors que la psychiatrie publique est en difficulté avec des mois d’attente pour obtenir une prise en charge en CMP (centre médico-psychologique), la désertification du territoire ou le vieillissement de beaucoup d’hôpitaux malgré les rénovations programmées. Ne faudrait-il pas plutôt ne plus envoyer de malades mentaux derrière les barreaux, éviter que la prison n’abîme et ne désespère les détenus et les rende malades ou les pousse au suicide, alors que l’Uhsa (unité hospitalière spécialement aménagée) va peut-être contribuer à justifier cet état de fait, voire susciter des incarcérations « pour soins », du fait de la précarité des possibilités de prise en charge de patients avec des troubles du comportement dans la cité. L’hôpital redeviendrait insensiblement « le dépôt de mendicité » accueillant les trublions, les vagabonds, les subversifs inadaptés et les fous divagants pour la protection de l’ordre public autant que des personnes « saines »… Non, l’Uhsa n’est pas un alibi humanitaire pour ceux qui rêvent d’enfermer  : elle ne prétend en aucun cas, ni dans son principe ni encore moins dans ses moyens, à l’éradication de la psychose en prison ni au contrôle social de la dangerosité. Sauf à se livrer à un véritable « racisme » actif de stigmatisation qui serait une régression désastreuse, il y aura toujours des malades mentaux responsables de leurs actes et la psychose n’est pas moins « à sa place » en prison que dans la société civile  : ce n’est pas elle qu’il faut éliminer par principe, mais la souffrance. Oui, l’Uhsa est une priorité comme institution nouvelle puisque, enfin, elle pourra accueillir sur la base de cette souffrance et non plus seulement sur la base de la dangerosité des malades consentants aux soins autant que sous contrainte parce qu’incapables de consentir. Oui, une Uhsa coûte cher, avec un prix de journée comparable à un service de réanimation, mais il s’agit bien de réanimation sociale au service des plus démunis dont le maintien dans l’abandon ou l’échec répétitif coûterait encore plus à la société. Les soins en Uhsa seront en pointe sur le plan technique espérons-nous, mais tout simplement décents pour les normes que nous voulons offrir à tous dans un hôpital de 2010. Ce n’est pas un luxe mais l’équipement normal que nous souhaitons dans chaque création ou rénovation et si la densité de personnel tient compte de la particularité des patients (de leurs besoins d’ailleurs plus que de leur statut), cette nécessité a aussi ses avantages en termes de carrières, de formations et de conditions de travail des agents de la fonction publique hospitalière confortés dans leur rôle de modèle technique et social.

L’Uhsa ne soigne pas des martiens mais des hommes, et avant tout des pauvres  : 80 % des détenus sont des cabossés de la vie issus de milieux défavorisés affectivement, culturellement ou économiquement, et leur souffrance est bien réelle. Beaucoup d’entre eux sont tellement dans l’incapacité d’entretenir des relations normales qu’ils sont déjà handicapés pour le monde du travail avant tout autre considération. Le détenu est en fait condamné… à sortir un jour  ! Le vécu d’une expérience de considération à travers le soin, de réhabilitation sociale avec l’équipement général qui s’étoffe en prison, et le respect des droits des personnes qui s’améliore avec les règles pénitentiaires européennes font partie du dispositif d’insertion sociale, de retour à la vie civile et de prévention de la récidive bien mieux que les couches successives de lois répressives sur lesquelles quelques événements spectaculaires ont davantage mis l’accent.

L’Uhsa n’a rien d’une réponse universelle ou ultime aux problèmes psychiatriques de la population pénale mais elle est un élément capital d’une palette de plus en plus riche des capacités de la psychiatrie publique, avec une valeur symbolique beaucoup plus importante que le nombre de places offertes.
On reconnaît la qualité d’une société au sort qu’elle réserve à ses fous et à ses prisonniers  : soyons fiers d’ouvrir des Uhsa  !

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