samedi 25 décembre 2010

La revue "Prescrire", lanceur d'alerte insuffisamment écouté

Le directeur de la rédaction est un homme modeste. Il trouve Prescrire "un peu lent à réagir à l'actualité". Dans le numéro de décembre, pas un mot sur le Mediator. "En revanche, nous essayons d'anticiper", poursuit Bruno Toussaint. Là, on le soupçonne d'excès de modestie : treize ans d'avance - le premier gros dossier sur le Mediator date de 1997 -, c'est plus que de l'anticipation.

C'est en feuilletant la revue Prescrire qu'Irène Frachon a commencé à s'interroger sur le lien entre le Mediator et les attaques de valves cardiaques. La pneumologue de Brest qui a dévoilé le scandale avait lu un article, datant de juin 2006, sur les effets indésirables du produit. Rétrospectivement, une question s'impose : pourquoi Prescrire savait-il ce qu'apparemment les autorités sanitaires ne savaient pas ?

Prescrire, mensuel à destination des professionnels de la santé, n'est pas une publication de son époque. Sa maquette mériterait la palme de la ringardise. La publicité est proscrite. Aucun article n'est signé. Se prémunir contre toute influence, fuir l'éventuel conflit d'intérêts, telle est la ligne éditoriale. Avoir eu raison des années avant les autorités sanitaires, tel est le résultat.

En 1997, la toxicité du Mediator n'est pas encore établie. Mais la revue conclut son dossier en affirmant que le produit n'apporte rien et que mieux vaut le retirer du marché, ses effets n'étant pas connus. Une des multiples notes, au pied de l'article, est particulièrement intéressante : en 1995, la direction générale de la santé a pris un arrêté interdisant l'utilisation d'anorexigènes dans les préparations magistrales (effectuées dans les pharmacies). Sur la liste des produits prohibés figure le benfluorex. C'est-à-dire le Mediator, qui n'est que le nom commercial du benfluorex. Voilà donc une molécule interdite de commercialisation, sauf si elle est produite, mise en boîte et vendue par le laboratoire Servier. Premier mystère. Une plongée dans les archives de Prescrire, et les signaux d'alarme virent ensuite au rouge.

En 2005, le directeur de -l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) exerce son droit de réponse. Dans un éditorial, l'agence a été mise en cause pour avoir maintenu sur le marché quatre médicaments, dont le Mediator. Ce produit, l'Afssaps s'en préoccupe, affirme en substance Jean Marimbert : les données ont été actualisées, une commission va à nouveau se pencher sur la question. La méthode (sans cesse commander de nouvelles études, éventuellement au laboratoire Servier) est à l'opposé de celle de Prescrire.

Dans les locaux de la rédaction, boulevard Voltaire, à Paris, des cellules de veille et de documentation nourrissent le travail des enquêteurs. Chaque rédacteur discute du sujet qu'il traite avec un référent, vérifie ses données avant de les soumettre à des lecteurs internes et externes (parfois une trentaine de personnes), puis à un autre rédacteur, et enfin à la direction. Pour les gros dossiers, le processus peut prendre jusqu'à neuf mois.

Le mensuel emploie 90 salariés, dont beaucoup, médecins ou pharmaciens en exercice, à temps partiel. Il a été créé en 1981 par un couple, Gilles et Danielle Bardelay - lui était médecin, elle pharmacienne - parti en retraite depuis trois ans. Son financement provient exclusivement de ses lecteurs, qui paient l'abonnement 257 euros par an. Avant l'affaire du Mediator, le nombre d'abonnés était de 29 000. A-t-il augmenté depuis ? La direction de la rédaction n'en a aucune idée - c'est dire si ses préoccupations sont loin d'être commerciales.

Dans le milieu de la santé, les rédacteurs de Prescrire sont considérés ou comme des "ayatollahs" hostiles à l'industrie, ou comme des résistants. Deux approches autour d'une question philosophique : à qui doit profiter le doute ?

Bruno Toussaint, le directeur de la rédaction, estime que, "pour les autorités sanitaires, quand il y a doute, il ne s'agit pas de mettre les patients à l'abri, mais de préserver les firmes pharmaceutiques".
Marie-Pierre Subtil 


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