jeudi 23 décembre 2010

La guérison psychique, même sur le tard
Par Pascale Senk
13/12/2010

L'âge n'est plus un obstacle à l'entrée en thérapie. Les plus de 50 ans sont de plus en plus nombreux à franchir le pas.

C'est à l'aube de ses 62 ans qu'Hélène a éprouvé «une intense sensation de vide». «Un vertige, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur de moi, décrit-elle. En quelques mois, j'étais partie à la retraite, j'avais rompu avec mon compagnon, et mes deux parents sont décédés à quelques semaines l'un de l'autre. Ne voulant pas peser sur mes enfants, je ne savais plus à quoi me raccrocher .» Orientée par une amie, Hélène a commencé une psychothérapie analytique sous forme d'entretiens hebdomadaires d'une heure. Un an après, elle mesure les apports de ces séances : «La thérapie m'a permis de régler une succession très difficile et de trouver enfin ma place dans ma famille. Mais elle m'a apporté bien plus : moi qui ne cessais de dire “c'est trop tard” dès qu'une opportunité se présentait, je m'étonne de découvrir encore des choses nouvelles sur moi, et sur la vie.»

Il semble donc bien loin ce temps où Freud* n'hésitait pas à déclarer : «L'âge des malades entre en ligne de compte lorsqu'on veut établir leur aptitude à être traités par la psychanalyse. En effet, les personnes ayant atteint ou passé la cinquantaine ne disposent plus de la plasticité des processus psychiques sur laquelle s'appuie la thérapeutique - les vieilles gens ne sont plus éducables et, en outre, la quantité de matériaux à déchiffrer augmente indéfiniment la durée du traitement.»

Aujourd'hui, peu d'aventures semblent impossibles aux baby-boomers. Et la psychothérapie est une de celles qui les attirent de plus en plus, ainsi que l'observent les professionnels de la psyché. Beaucoup l'affirment : leur clientèle vieillit sensiblement et il est désormais fréquent de voir arriver pour une demande de première prise en charge hommes et femmes de 55, 60… voire 70 ans.

Pour Gonzague Masquelier, psychothérapeute et directeur de l'École parisienne de Gestalt, plusieurs facteurs expliquent l'arrivée en nombre des quinquas et plus dans les cabinets de psy : «Les médias ont répandu l'idée qu'une psychothérapie n'est plus réservée aux personnes souffrant de pathologies lourdes, mais permet aussi de développer du mieux-être ; autre facteur, économique cette fois-ci : les seniors peuvent généralement se permettre la dépense de 60-70 euros par semaine nécessaire au processus.»

Nouveau départ

Un élément déterminant concerne aussi l'offre thérapeutique. Il y a trente ans, la psychanalyse détenait le monopole du marché et rechignait à accueillir des patients de plus de quarante ans car les années à passer sur le divan s'annonçaient nombreuses. Aujourd'hui, de nombreuses thérapies brèves sont arrivées à maturité et permettent à tout un chacun d'entreprendre un travail sur soi qui n'excédera pas deux ou trois ans. La démarche s'entreprend le plus souvent à la faveur d'une crise familiale ou de couple. «J'accueille des maris et femmes qui, après des décennies de vie bien organisée chacun de leur côté, se retrouvent à la retraite à devoir cohabiter des journées entières et ont du mal à s'y retrouver», explique Éric Trappeniers, directeur de l'Institut d'études de la famille à Toulouse. Mais ce psychothérapeute familial observe aussi la demande d'enfants de plus de 40-50 ans d'entreprendre des séances avec leurs parents âgés. «Le fait de devenir eux-mêmes parents, voire grands-parents, réveille des non-dits ou des rancœurs dont ils veulent désormais se débarrasser.»

Ainsi, dans le cas de Pascale, 57 ans, c'est l'anorexie de sa fille aînée qui a fait déclic : «Le personnel soignant de l'hôpital où elle était prise en charge m'a suggéré de me faire aider. Aujourd'hui, j'ai l'impression d'être morte à 50 ans, puis née une seconde fois grâce à la thérapie. Je vis à présent avec une intensité que je ne soupçonnais pas auparavant.»

Cette possibilité d'une nouvelle intensité de vie attire particulièrement les post-quinquas : l'évidence de pouvoir vivre encore vingt ou trente ans motive même ceux qui auparavant n'auraient pas osé franchir le pas. La psychothérapie moteur d'un nouveau départ ? «II est évident que le processus psychothérapeutique permet d'éveiller à un certain nombre d'éléments dormants, constate Éric Trappeniers : une envie de chanter ou de faire du piano refoulée depuis des décennies, la capacité à assumer son passé, et surtout l'urgence de trouver du sens pour le temps à venir. »

Gonzague Masquelier confie avoir ainsi accompagné une femme de 74 ans pendant quelques années. «Elle voulait réfléchir à sa vie. Toujours vierge à cet âge, elle n'avait jamais pu laisser s'épanouir de nombreuses facettes de sa personnalité. Un jour, je l'ai vu arriver à sa séance avec un grand sourire…, elle avait rencontré un homme et franchi le pas !» Et pour ce psychothérapeute, tel est bien le message délivré par la plupart de ces patients sur le tard : «Tout est toujours possible !»

* «La Technique psychanalytique», Sigmund Freud (1904), Paris, PUF, 1953.


«Ils veulent donner plus de vie aux années devant eux»
Claudine Badey-Rodriguez (DR).

INTERVIEW - Claudine Badey-Rodriguez est psychothérapeute et auteur de J'ai décidé de bien vieillir (Éd. Albin Michel).

LE FIGARO. - Quelle est selon vous la principale motivation de ceux qui entreprennent tardivement une psychothérapie ?

Claudine BADEY-RODRIGUEZ. - Le besoin de faire la paix avec soi. Ils ont vécu plusieurs décennies avec des troubles anxieux, des sentiments dépressifs ou un manque de confiance en eux. Ils s'en sont accommodés tant bien que mal, se sont dit qu'ils n'avaient pas le temps de s'en occuper, ont fait passer leur famille ou leur carrière avant leur mieux-être et un jour, ils arrivent dans nos cabinets en disant : «Stop ! J'ai assez vécu avec mes souffrances ! Je ne veux plus supporter tout cela.» Ils espèrent aussi profiter pleinement des trente ou quarante ans qui, selon les statistiques, leur restent. Ils veulent donner plus de vie aux années devant eux.
 

Quels éléments déclencheurs les confortent dans cette décision ?

Ce peut être soit une crise de couple ou un problème de santé, de travail… Mais je crois surtout que c'est l'avancée en âge, paradoxalement, qui donne les forces de se remettre en question. À partir de 50 ans, on peut se dire «maintenant, basta, j'ai le courage d'affronter les vieux démons du passé».

Des démons toujours actifs quel que soit l'âge ?


Oui, car le temps en matière de guérison psychique n'est pas un allié. Il ne peut arranger que quelques
difficultés de surface. S'il y a eu des traumatismes vécus dans la petite enfance, ceux-ci sont installés depuis cette période et provoquent des blocages et des mémoires émotionnelles dysfonctionnelles. Les dernières études ont prouvé que ces chocs affectifs sont réellement inscrits biologiquement et neurologiquement en nous. Il a même été considéré que les traumatismes non résolus favoriseraient la maladie d'Alzheimer, certains délires des personnes atteintes n'étant en fait que des reviviscences de ces expériences refoulées…

L'âge du patient implique-t-il de votre part une manière particulière de travailler ?

Il est certain que plus le patient est âgé, plus il est nécessaire de procéder dans un premier temps à un étayage rigoureux. Il faut d'abord travailler à renforcer les ressources dont il dispose pour bien asseoir sa structure intérieure, comme une maison dont on refait les poutres. À ceux qui arrivent depuis peu en thérapie, je demande souvent de me raconter dans un premier temps leurs réussites professionnelles ou amoureuses, de me parler des relations qui ont compté dans leur vie ou représentent toujours des appuis solides… Le but est d'éviter l'un des pièges de l'âge : la tentation du bilan négatif, de considérer toutes les années passées comme un gâchis, une source de remords et de regrets, parce que là on n'avance pas.

Pensez-vous que la psychothérapie aide à mieux vieillir ?

Impossible pour moi de dire le contraire ! Mais, outre la psychothérapie qui permet généralement d'en finir avec des troubles les plus gênants, je pense que des ateliers d'un week-end autour de thématiques telles que «Cultiver son optimisme» ou «Savoir construire des relations à tout âge» constituent une formule très adaptée aux seniors. Je me déplace beaucoup en province et constate que ce public en est très demandeur, car cela va vraiment dans le sens du développement des ressources de chacun. Ce sont des portes d'entrée au travail sur soi, mais plus légères. Et parfois cela amène à des déclics profonds qui donneront envie d'aller plus loin.



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