mercredi 24 novembre 2010

Mal-être et malaise dans la psychiatrieMidi-Pyrénées
Pierre Challier et Sébastien Barrère

le 24/11/2010
Manque de moyens, pénurie d'infirmiers, dérives du discours sécuritaire, exigences de rentabilité: la politique de santé rend malades les soignants du secteur psychiatrique.

Le malaise dans la psychiatrie ? Patent dès le premier coup de fil. « Comprenez-moi. C'est déjà dur tous les jours au boulot... si je vous parle, je vais en prendre plein la gueule et j'ai une famille, des enfants… » répond la voix d'infirmier qui décline le rendez-vous. Ambiance…

Un cas isolé ? Voire. Car secret de polichinelle, aujourd'hui, l'institution psychiatrique va mal en France. Et Midi-Pyrénées n'échappe pas à la règle. L'approche humaniste qui prévalait depuis l'après-guerre ? La «rentabilité» veut la ranger au rayon « souvenirs ».

« On attend de plus en plus de soignants de moins en moins formés. Une psychiatrie sécuritaire. », résume ainsi Roland Cazeneuve. Qui, à l'instar de ses collègues, n'a jamais signé pour « ça ». Lui ? Il est cadre de santé à l'hôpital de Lannemezan et infirmier psychiatrique depuis 1978. à 54 ans, il appartient à la génération qui a passé un diplôme spécifique pour exercer son métier. « Mais depuis 20 ans, la politique d'austérité veut qu'on ne forme plus d'infirmiers psychiatriques, ce qui a aussi été un moyen de s'attaquer à la psychiatrie publique » explique-t-il.

Alors concrètement… « Le soignant fait ce qu'il peut » poursuit-il comme certains jours l'infirmier «généraliste» se retrouve seul avec deux aides-soignants pour 25 malades. Et qu'à la formation insuffisante, au manque de psychiatres, au déficit de lits, s'ajoute désormais la tension constante de l'urgence.

« Le souci, c'est l'intensification des hospitalisations dans un contexte de raccourcissement des temps de séjour. On ne voit plus les malades qu'en situation de crise et la crise passée, ils ressortent jusqu'à la prochaine.

Or la psychiatrie, ça ne se résume pas à des cachets et à une camisole chimique : il faut du temps. Pour écouter le patient, entamer de vrais soins; pour que les équipes parlent de chaque cas notamment lorsqu'elles se transmettent le service.

Or ce temps-là, on ne l'a plus, d'où les risques d'erreur, la mise en danger potentielle des malades et les personnels épuisés, aussi. », détaille Roland Cazeneuve, notant comme tous « la dérive sécuritaire » vers laquelle on veut entraîner la psychiatrie, sans l'avouer, comme on recriminalise le malade mental.

Du coup « pleins de collègues écœurés partent vers le libéral » constate-t-il. Ou craquent dans des locaux dépassés, vétustes. « Redonner du temps, humaniser les lieux, reformer des spécialistes : l'urgence, elle est là», conclut-il.
Pierre Challier

La phrase
«Sur 10 personnes hospitalisées dans mon service psychiatrique à l'hôpital Marchant, neuf le sont d'office » Gérard Rossinelli, médecin psychiatre.

Le chiffre : 6 %Selon un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, 6% de la population française aurait connu des troubles anxieux. 1,2 million de personnes bénéficient d'un suivi psychiatrique.


Marchant : 38e jour sous la tente
Des tentes, une caravane, un barbecue… L'entrée de l'hôpital Marchant, route d'Espagne à Toulouse, ressemble depuis cinq semaines à un campement de fortune. Pour protester contre la réforme des retraites, le personnel a décidé de « squatter » les lieux jour et nuit (1). « Cette action nous donne une certaine visibilité, explique Cyril Moulin, infirmier en psychiatrie. Beaucoup d'automobilistes klaxonnent en passant devant le camp en signe de solidarité ou nous donnent du bois pour alimenter le brasier. »

Des revendications sur les conditions de travail sont venues se greffer à la contestation contre la réforme des retraites. « Nous avons obtenu quelques avancées après de longues discussions avec la direction, reconnaît Claire, infirmière en psychiatrie. Mais, selon nos calculs, cinquante-quatre postes sont encore à pourvoir. »

Ces salariés « en colère » ont rendez-vous aujourd'hui avec Xavier Chastel, directeur de l'Agence régionale de la santé (ARS), et espère obtenir satisfaction. « Nous manquons cruellement de moyens financiers et humains, souligne Isabelle Morère, éducatrice spécialisée. C'est peut-être anecdotique, mais, dans mon service de pédopsychiatrie, les enfants ne peuvent plus manger de kiwis parce que les cuillères en plastique se cassent. »

Selon les syndicats, seuls 4 infirmiers veillent sur les patients du service long séjour, qui compte 47 lits. « Cette politique de rigueur a des répercussions dramatiques sur la qualité des soins dispensés », poursuit Isabelle Morère.

La grogne du personnel de Marchant pourrait se répandre aux autres hôpitaux toulousains. Des agents du service cardiologie de l'hôpital Rangueil et des aides-soignants de l'hôpital des Enfants de Purpan dénoncent également la « dégradation » de leurs conditions de travail.

Alors qu'il passera ce soir sa 38e nuit sous la tente, le personnel de l'hôpital Marchant assure qu'il fêtera « Noël au campement si rien ne bouge ».
Sébastien Barrère

(1) La direction de l'hôpital Marchant n'a pas souhaité s'exprimer.


L'expert : Gérard Rossinelli, psychiatre, expert auprès de la cour d'appel de Toulouse.

« Le syndrome Kleenex »


Le malaise de l'hôpital toulousain est-il symptomatique du malaise de la psychiatrie hospitalière en France ?


Oui. Le malaise est national. la psychiatrie hospitalière souffre en quelque sorte du syndrome Kleenex. On pleure mais on ne fait rien. Depuis la loi de juillet 2009, tout ce qui est médical est en quelque sorte inféodé à la maîtrise comptable des dépenses. Il y a incontestablement un manque de moyens. Quand quelqu'un arrive de lui-même aux urgences psychiatriques, l'hospitalisation se fait majoritairement dans les cliniques car l'hôpital est saturé.

Les personnels évoquent un manque de respect ou de reconnaissance ?


Un infirmier psychiatrique assume une charge difficile, travaille en 3x8, et, en effet, ne se sent pas vraiment considéré. La pression est forte, et puis ils ont le sentiment que la société est plus encline à occulter la folie, à la stigmatiser ou la pénaliser plutôt qu'à la soigner. Il est de plus en plus difficile de faire quitter l'hôpital à des malades.

Quelles seraient selon vous les solutions ?


Il faut réfléchir à une loi de santé mentale. Elle doit prendre en compte la spécificité de la psychiatrie dans ses différentes composantes. Les malades mentaux, plus fragiles et vulnérables, doivent être mieux considérés.


Ailleurs dans le Grand Sud


Dans le Tarn, le plus gros établissement psychiatriqu, la fondation Bon Sauveur à Albi (1 300 salariés), suit déjà un plan de retour à l'équilibre. L'établissement va avoir du mal à financer les 90 postes réglementaires nécessaires pour l'unité pour malades difficiles (UMD). Les Hautes-Pyrénées disposent d'une offre importante en matière de lits. Mais l'alternative à l'hospitalisation est plus faible (26 %) que sur le plan national (30 %).

La démographie médicale inquiète aussi avec des médecins âgés. En Ariège, le service psychiatrie est regroupé au CHAC (centre hospitalier Ariège-Couserans). Les conditions d'hospitalisation sont souvent dénoncées par les patients. L'Institut Camille Miret, à Leyme dans le nord du Lot, regroupe tout le secteur psychiatrique.

Sur Cahors, l'institut a ouvert des appartements thérapeutiques et un hôpital de jour pour adultes. La structure est l'un des plus gros employeurs du Lot avec 850 salariés. Au mois d'août, les délégués CGT de l'établissement avaient critiqué le manque de moyens. Dans l'Aveyron, le secteur pèse 850 salariés, 310 lits à l'hôpital Sainte- Marie de Rodez et 20 à Millau. Là encore, comme partout, sont pointés : le manque de moyens, le vieillissement des personnels médicaux et le problème du recrutement.

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