dimanche 7 novembre 2010





Le droit à l'avortement est-il en danger en France ?

Plus de 70 associations de défense de l'avortement appellent à manifester le 6 novembre pour protester notamment contre la diminution du nombre de centres IVG. Comment se porte le droit à l'avortement en France 35 ans après la loi Veil ?




Selon la Dress, le nombre d'IVG effectuées en France en 2007 est estimé à 213 380 en métropole.

L'ANCIC (Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception), la CADAC (Coordination des Associations pour le Droit à la Contraception et à l’Avortement) et Le Planning Familial (MFPF), soutenus par une cinquantaine d'autres d'organisations, appellent à manifester samedi 6 novembre* sous les bannières "Droit à l'avortement !" et "Non au démantèlement de l'hôpital public".  Dans leur ligne de mire, la question de l'IVG aujourd'hui en France et la loi "Hôpital, patients, santé et territoire" (HPST), dite loi Bachelot.

En effet, si le tabou de l'existence de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) s'est quelque peu fendu avec la publication il y a près de 40 ans dans le Nouvel Observateur du "Manifeste des 343". Si depuis la loi Veil en 1975, l'avortement est légal en France et même remboursé depuis 1982, selon ces associations, les difficultés que les femmes rencontrent pour pratiquer une IVG, persistent. 

La loi de 2001 pas appliquée

En 2001, le vote de la loi Aubry allongeant le délai de 10 à 12 semaines, permettant aux femmes de choisir la technique d'avortement (par aspiration ou médicamenteuse), supprimant l'obligation d'autorisation parentale pour les mineures ainsi que l'entretien préalable obligatoire, a laissé penser que "le droit à l'avortement était enfin acquis", expliquent les associations. Mais selon elles, il n'en est rien.

"La loi de 2001 a été pas ou mal appliquée. De nombreux médecins ont refusé et refusent toujours d'effectuer des IVG à 12 semaines", explique Maya Surduts, présidente de la CADAC. "Il faut obliger des établissements publics à les faire, précise Danielle Gaudry (gynécologue obstétricienne, membre de la commission avortement du Mouvement français pour le planning familial), on est dans une phase de totale régression de la loi 2001!". Un constat partagé en partie par l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales) dans son étude intitulée "Evaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de prise en charge des interruptions volontaires de grossesses suite à la loi du 4 juillet 2001", bien que l'institution affirme que "la prise en charge de l’IVG a marqué des progrès réels, mais qui demeurent fragiles".

Selon l'IGAS, la modification introduite par la loi de 2001 qui permet une dérogation à l’autorisation parentale pour les mineures en demande d’IVG a "apporté une réponse à des situations qui avaient été vécues comme très difficiles." Pourtant, "des difficultés persistent néanmoins pour la mise en œuvre opérationnelle de cette disposition, notamment pour assurer la confidentialité, l’anonymat, et la gratuité prévue dans ce cas par la loi".

Le rapport de l'IGAS note également, comme les associations, que concernant l'allongement du délai de 10 à 12 semaines : "tous les établissements ne prennent pas en charge les IVG 'tardives'" et "certains refusent de pratiquer la technique instrumentale pour ces interventions".

De son côté, le docteur André Deseur, président de la section "Exercice professionnel" au Conseil national de l'Ordre des médecins, assure que pour nombre de ses collègues concernés, "il s'agit d'une question de sur-risque technique".

Le ministère de la Santé admet des lacunes sur ce point et affirme que des mesures ont été prises. Elles porteraient notamment sur une circulaire transmise aux ARS (agences régionales de santé) en octobre, afin "qu’elles intègrent la prise en charge des grossesses non désirées dans leur schéma régional d’organisation des soins". Le ministère affirme qu'à cette occasion, il est notamment demandé aux ARS de maintenir systématiquement la prise en charge des IVG dans l’offre de soins de gynécologique-obstétrique et/ou de chirurgie notamment dans le cadre des restructurations; organiser l’offre de soins de manière à permettre la pratique des IVG concernant des grossesses dont le terme se situe entre 12 et 14 semaines, au niveau des territoires de santé.

Le nombre de centres IVG diminue

Mais la non-application ou la mauvaise-application de la loi Aubry depuis neuf ans n'est pas seule responsable des difficultés actuelles. Les associations estiment que l'accessibilité à l'IVG est de plus en plus compliquée avec la fermeture de nombreux centres depuis 10 ans. Selon la Dress (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), la France comptait en 2000, 729 centres IVG contre 624 en 2007 (derniers chiffres disponibles). Pourtant, "le nombre d'IVG en France reste relativement stable depuis le début des années 2000", selon la Dress qui estime le nombre d'IVG à 213 380 en métropole en 2007, 227 050 sur la France entière.

Alors la situation a t-elle empiré depuis le vote de la loi Bachelot ? Oui, selon les associations. "Le nombre de centres d'IVG ne cesse de diminuer", explique Jean-Claude Magnier, co-président de l'ANCIC". Pas du tout, selon le ministère de la Santé.

Interrogé sur la question par Nouvelobs.com, le cabinet de Roselyne Bachelot ne nie pas que le nombre d’établissements, qui pratiquent des IVG, diminue. Mais selon le cabinet de la ministre de la Santé "ce sont les petits établissements, qu’ils soient publics ou privés, qui ont cessé ou réduit cette activité au fil des ans, alors que le nombre des gros établissements (essentiellement des établissements publics) est resté stable".

Polémique

Mais les avis divergent sur le pourquoi et les conséquences de ces diminutions.

Selon le ministère de la Santé, les regroupements de centres, notamment en Rhône-Alpes et Ile-de-France, qui ont été effectués visent à "une meilleure prise en charge des patientes par des équipes plus étoffées et plus habituées à effectuer ce type d'acte".

Jean-Claude Magnier de l'ANCIC évoque lui "les politiques de diminution des coûts et le manque de personnel médical".  "On regroupe les centre mais avec moins de moyens et donc des pertes d'accès des femmes à l'IVG. Plusieurs centres ont fermés depuis 2007 (une vingtaine selon le MFPF) tel que Tenon en 2009. Celui de Saint-Vincent-de-Paul et de Bicêtre sont également menacés", explique-t-il. Des problèmes particulièrement importants pour les petites villes ou à la campagne selon les associations. "De plus en plus de femmes se trouvent à plus d'une heure d'un centre d'IVG", précise le co-président de l'ANCIC.

Le ministère de la Santé estime lui que les centres sont bien répartis sur tout le territoire.

La position d'André Deseur de l'Ordre des médecins est proche de celle des associations. "Cette problématique [du manque de centres et de médecins pratiquant des IVG,ndlr], elle existe et il est de la responsabilité de l'Etat de créer des postes suffisants en fonction des besoins et de la demande. Mais on n'est là en plus dans une problématique plus large de l'accès aux soins pour des raisons démographiques et cela vient du nombre insuffisant de médecins formés depuis 25 ou 30 ans. Elle a été formée sur l'idée fausse qu'en réduisant l'offre, on réduirait la demande". Selon lui, la solution ne réside pas dans la multiplication de petits centres, mais dans le développement de la permanence des soins et l'organisation du transport des personnes.

Le forfait IVG et la formation du personnel

Si l'avortement est désormais remboursé en France par la Sécurité sociale. L'aspect financier ne peut-être négligés.  L'acte est payé au forfait au médecin et aux hôpitaux qui le pratiquent. Cependant, le montant de ce forfait est insuffisant, de l'avis même de la ministre de la Santé qui a promis le 8 mars 2010 après la sortie du rapport de l'IGAS, une augmentation du forfait de 50%.

Ce rapport estime que l’écart serait de l’ordre de 50% pour l’IVG chirurgicale par comparaison avec une activité médicale de technicité comparable comme la prise en charge des fausses couches spontanées.


"L'IVG est payé deux fois moins que cela ne coûte aux hôpitaux et c'est aussi pour cela que de plus en plus de centres publics et privés n'en réalisent plus", affirme Jean-Claude Magnierl et "cela n'a fait qu'augmenté avec la logique de rentabilité instaurée à l'hôpital public par la loi Bachelot".

La promesse de Roselyne Bachelot devait rentrer en vigueur dès juillet 2010. "Ce n'est toujours pas le cas", explique l'ANCIC.

A ce sujet, le cabinet de la ministre de la Santé a affirmé à Nouvelobs.com : "la promesse faite par la ministre sur la hausse des 50% sera tenue d'ici fin 2010."

Mais selon l'ANCIC, cette mesure demeure de toute façon insuffisante. "Pour que le forfait IVG soit ramené à son coût réel, il faudrait l'augmenter non pas de 50% mais de 100%", explique Jean-Claude Magnier.

Selon le Dr André Deseur de l'Ordre des médecins, "des contrats sont passés entre gynécologues ou médecins en ville pour faciliter les IVG médicamenteuses. Ce sont des structures qui n'ont pas problèmes de rentabilité, pas de coût de structures. C'est un moyen de répondre au manque de centre. Notre société n'est pas à même d'assurer ce type de répondre dans la situation socio-économique actuelle. Le coût médicamenteux inférieur à une IVG par aspiration. " Ce serait mieux d'avoir le choix", reconnaît André Deseur.

Selon le ministère de la Santé, le montant des dépenses d’assurance maladie au titre de la prise en charge des IVG en 2009 était d’environ 51 millions d'euros.

L'association "Paris 20e" assure elle qu'il s'agit là d'une remise en cause des droits des femmes à choisir la méthode abortive utilisée. "Que les femmes est le choix, c'est leur droit", insiste une membre de l'association.

Le coût d'un IVG

Pour la patiente, l'acte est entièrement gratuit si celle-ci bénéficie d'une mutuelle. Selon la méthode choisie, le coût d'un avortement varie entre 190 euros et 275 euros.  La sécurité sociale prend en charge 80% des frais de l'intervention. Il est également possible de demander l'aide médicale gratuite et les mineures peuvent bénéficier d'une prise en charge financière totale par l'Etat.

Mais, pour les femmes qui n'ont pu trouver un médecin ou un hôpital acceptant de la prendre en charge à 12 semaines de grossesse, délai pourtant légal, celles qui le peuvent doivent partir dans d'autres pays européens où le délai est plus long comme en Angleterre [un nombre estimé à 5000 avant la loi de 2001, ndlr.]. Cette solution coûte chère et toutes les femmes ne peuvent se le permettre. Elles se trouvent alors dans une grande situation de détresse. "Il faut refuser les inégalités croissantes", accuse Maya Surduts de la CADAC.

Les non-assurées sociales peuvent également bénéficier de cette prise en charge.  Cependant, ceci est en train de changer notamment pour les femmes étrangères sans couvertures sociales. Danièle Gaudry de la (MFPF) affirme, qu'il a été demandé à des femmes sans-papiers, des chèques de caution pour avoir un rendez-vous, alors qu'elles n'ont évidemment pas de chéquiers.

Les nouvelles lois européennes

Mais les associations de défense du droit à l'avortement, les lois françaises ou leur application ne sont pas les seuls fautives. Selon Danièle Gaudry, la menace qui pèse sur le droit à l'avortement en France est triple et l'une d'elle vient de l'Europe.

Le 7 octobre 2010, le Conseil de l'Europe a rejeté un projet de résolution visant à limiter le droit à l'objection de conscience notamment dans les hôpitaux (concernant essentiellement l'avortement et l'euthanasie). C'est la résolution 1763 qui a finalement été adoptée portant sur "Le Droit à l'objection de conscience dans le cadre des soins médicaux légaux". Celle-ci protège et réaffirme le droit à l'objection de conscience, et interdit toute pression ou discrimination à l'égard du personnel médical qui pour des raisons de conscience choisirait de ne pas pratiquer un avortement ou une euthanasie.

Mais celle-ci permet aussi à des établissements d'invoquer l'objection de croissance pour ne pratiquer d'avortement par exemple, réduisant ainsi encore le nombre de centre IVG.

"Ce vote a été souligné par un communiqué de l'ordre des médecins approuvant ce vote", s'inquiète Danièle Gaudry du MFPF. "Cela ne fait qu'augurer de nouvelles difficultés", ajoute-t-elle.

De son côté, le Dr André Deseur de l'Ordre des médecins, assure que "cette position ordinale n'est absolument pas une position d'opposition à l'IVG.  Il s'agit en fait du respect d'une situation antérieure qui allait être battue en brèche".

"Le professionnel de santé doit pouvoir ne pas effectuer un certain nombre d'actes qui n'est pas en accord avec sa conscience et ne pas avoir à se justifier", déclare-t-il.

"L'objection de conscience est un acte individuel. Mais il relève de la responsabilité de l'Etat d'organiser la possibilité que ces actes puissent être effectués par un autre praticien", explique-t-il. L'Etat doit permettre l'accès aux soins et mais il est de la responsabilité du médecin d'orienté le patient comme il se doit si celui-ci ne veut pas réaliser un acte et lui en faciliter l'accès", ajoute André Deseur.

Concernant, l'objection de conscience applicable à tout un établissement, André Deseur explique : "Il est parfaitement concevable que cela puise s'appliquer à tous les médecins d'un établissement."

Mais dans tous les cas, les associations de défense du droit à l'avortement restent mobiliser. "On n'est pas optimiste mais on est déterminé", conclut José de l'association 20e.

* La manifestation pour le droit à l'avortement doit rejoindre le cortège contre la réforme des retraites au niveau de la place de la Bastille à Paris.
(Anne Collin – Nouvelobs.com)

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