dimanche 3 octobre 2010


Psychiatrie : la France régresse
Par Agnès Noël

Le projet de réforme des soins psychiatriques de Roselyne Bachelot sera examiné au Parlement cet automne. Certaines mesures partagent familles et psychiatres. D’autres font l’unanimité contre elles, à l’image de l’hospitalisation d’office.

Le 2 décembre 2008, quelques jours après le meurtre d’un étudiant par un schizophrène échappé d’un asile psychiatrique à Grenoble, Nicolas Sarkozy prononçait un discours annonçant une réforme de l’hospitalisation sous contrainte.

Celle- ci a été présentée le 5 mai 2010 en conseil des ministres et sera examinée au Parlement cet automne. Sa grande nouveauté est de transformer l’hospitalisation forcée en soins sous contrainte. De retour chez eux, des patients  pourront être soumis à un traitement psychiatrique ambulatoire. Contre leur gré.

Soins ambulatoires


Aujourd’hui les soins sous contrainte ne peuvent s’exercer qu’à l’intérieur de l’hôpital. Désormais – si la loi est adoptée –, de tels soins pourront être prodigués par des psychiatres libéraux dans leur cabinet ou par des psychiatres hospitaliers exerçant dans des structures extra-hospitalières. La majorité des familles ne veulent pas faire hospitaliser leurs proches et réclamaient cette possibilité depuis longtemps.

«Souvent, nous voulons juste qu’on fasse une piqûre pour calmer le malade, rien de plus», explique Jean Canneva, président de l’Unafam ( Union nationale des amis et familles de malades psy chiques ). Jean-Claude Pénochet, président du syndicat des psychiatres des hôpitaux et membre de l’intersyndicale des psychiatres publics, se montre assez ouvert à cette nouvelle possibilité :

« Des soins ambulatoires, pourquoi pas ? Si ces soins peuvent alléger le parcours hospitalier, s’ils peuvent éviter les ré-hospitalisations qui se produisent fréquemment par arrêt intempestif du traite ment et limiter les allers-retours du domicile à l’hôpital, c’est plutôt une bon ne chose. Mais il faudra renforcer les structures extra-hospitalières, qui ne sont pas assez développées. »

D’autres, comme le collectif La nuit sécuritaire, dénoncent un changement du rapport entre le patient et le médecin, et des soins qui, faute de moyens, se réduiront à une piqûre. Patrick Chemla, membre du collectif, et fondateur du centre Antonin Artaud à Reims ( lire p. 22 ), s’inquiète aussi de l’extension de la notion d’enfermement : « Celle-ci ne sera plus cantonnée à l’hôpital, mais généralisée à la société dans son ensemble. Désormais, il n’y aura plus de dedans, ni de dehors ; il n’y aura plus de limites à la contrainte. »

Actuellement, il existe deux types d’hospitalisation sans consentement. L’hospitalisation d’office, demandée par le préfet en cas de menace sur la sécurité des personnes et d’atteinte à l’ordre public. Et l’hospitalisation à la demande d’un tiers, à savoir un membre de la famille, un ami ou quelqu’un agissant dans l’intérêt du patient.

La loi prévoit d’en ajouter un troisième : on pourra, sans qu’un tiers soit présent, « interner des personnes ne présentant aucun trouble grave à l’ordre public mais pour lesquelles des soins immédiats sont rendus nécessaires par l’évidence d’un péril imminent ». C’est-à-dire qu’il suffira d’un certificat médical pour faire interner quelqu’un. Cette nouvelle possibilité ne choque pas Jean Canneva : « une crise psychiatrique est une urgence, au même titre qu’une crise cardiaque. Tout le monde doit pouvoir intervenir. »

Certificats


Il faut aujourd’hui deux certificats médicaux pour hospitaliser quelqu’un sans consentement. Le projet prévoit d’alléger la procédure avec un seul. Une partie des psychiatres s’inquiète de cette facilité d’entrée dans le dispositif de contrainte, alors que le processus pour en sortir est de plus en plus lourd.

Les familles invoquent le pragmatisme. Comme Jean Canneva, qui explique que les crises des malades arrivent souvent durant la nuit, et « qu’il faut que les choses se passent vite. Obtenir deux certificats, c’est la croix et la bannière. » Cette crainte a d’autant moins lieu d’être, selon lui, que le malade sera réexaminé par plusieurs médecins, qui peuvent valider ou non la décision du premier, durant la période d’observation de 72 heures.

L’entrée dans le dispositif se fera par un « premier temps d’observation et de soins (en hospitalisation complète, NDLR ) d’une durée maximale de 72 heu res, comportant trois certificats médicaux », annonçait Roselyne Bachelot. Durant cette période, les praticiens détermineront si des soins sous contrainte sont nécessaires et s’ils doivent se poursuivre à l’hôpital ou à domicile. L’Unafam y voit la garantie que le malade sera examiné par des médecins dans les jours qui viennent « au lieu d’attendre un mois pour une visite comme auparavant ».

Le problème, pour Patrick Chemla, est que cette « garde à vue psychologique de 72 heures supprime la question de la demande de soins ». Quant à Jean-Claude Pénochet, il estime qu’on étire abusivement de 24 heures (actuellement) à 72 cette période d’observation où « dès la première minute, la personne est privée de liberté et, dans les faits, déjà internée ».

Forces de l’ordre
 
Une fois le mode de traitement déterminé, en l’occurrence les soins ambulatoires, si le patient ne se présente pas à son rendez-vous sans raison valable, le psychiatre peut le relancer mais aussi en référer au directeur de l’hôpital responsable. « Celui-ci pourra prendre toutes les mesures utiles pour remettre le patient dans la chaîne de soins, y compris faire appel aux forces de l’ordre », affirmait la ministre de la Santé.

Encore une fois, les praticiens sont partagés : pour Roland Gori, psychanalyste initiateur de l’Appel des appels (lire page 24), cette disposition modifie la relation du médecin au malade et pose la question de l’encadrement de la médecine par l’autorité publique. Jean-Claude Pénochet, lui, en appelle au principe de réalité : « Si un patient est en danger ou met en danger ses proches, il est nécessaire qu’une contrainte aux soins puisse s’exercer. »

Autre mesure annoncée par la ministre, les sorties d’essai ( quand le malade est autorisé à sortir de l’hôpital pour une durée déterminée ) d’une durée supérieure à 12 heu res seront supprimées. Pour l’Unafam, elles sont remplacées par les soins ambulatoires et ce ne se rait donc pas un problème.

La seule disposition à faire l’unanimité contre elle, c’est l’hospitalisation d’office. Un collège de soignants composé de deux psychiatres et d’un cadre infirmier est institué pour fournir un avis au préfet sur les sorties de patients hospitalisés d’office à la suite d’une décision d’irresponsabilité pénale et de patients placés en unité de malades difficiles. Alors qu’auparavant, le préfet ne pouvait statuer (toujours sur avis d’expert) que sur les cas d’irresponsabilité pénale. Le hic, c’est que le préfet peut aller contre l’avis du collège de soignants.

D’autant que le 11 janvier 2010, les préfets ont reçu une circulaire de Brice Hortefeux qui stipulait : « les considérations qui doivent être prises en compte pour apprécier l’opportunité d’octroyer une sortie d’essai ne sont pas uniquement d’ordre médical. [...] Il vous appartient d’apprécier les éventuelles conséquences en termes de sécurité et d’ordre publics. » Et depuis, les préfets prennent un luxe de précautions pour se couvrir. Quitte à faire sortir moins de patients.

Aussi, l’Unafam préconise un recours systématique au juge des libertés, dès lors que le préfet émet un avis contraire à celui du collège de soignants. Roland Gori prône, lui aussi, le recours au juge des libertés, mais déplore qu’on en arrive à cette mesure.

Quant à Jean-Claude Pénochet, il s’énerve : « Avant, le préfet nous écoutait à 98 %. Maintenant, au nom du risque de troubles à l’ordre public, on élargit les exceptions aux antécédents et aux malades difficiles. Je suis d’accord pour qu’un malade dangereux soit maintenu quand il présente un risque de nature médicale. Mais seul le médecin peut en décider ! »

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